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Et si les animaux prenait le pouvoir : l'envers du décor
©Reuters

Bonnes feuilles

"La nouvelle ferme des animaux" est un clin d'oeil au célèbre livre de George Orwell publié en 1948 dénonçant le communisme stalinien. En prenant le pouvoir dans la ferme, les animaux souhaitent établir une république où la liberté de chacun se conjugue avec la prospérité économique. Extraits de "La nouvelle ferme des animaux", d'Olivier Babeau, aux éditions Les Belles Lettres 1/2

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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La première décision de Platon après l’élection fut d’aller loger dans le manoir. Il fit du grand salon son bureau et, pour plus de commodité, fit aussi sienne la chambre du fermier. Il se faisait servir ses repas dans la salle à manger, et commanda qu’on utilisât la vaisselle en argent du fermier, celle que Louis ne sortait qu’en de rares occasions.

Platon s’en expliqua lors de l’allocution publique qu’il avait pris l’habitude de faire tous les soirs à 20 heures précises, lorsque chacun était rentré du travail. Comme il évitait de pénétrer désormais dans la cour de la ferme – ce qui, disait-il, n’aurait pas convenu à la dignité de sa fonction –, il parlait du haut du balcon en fer forgé du premier étage. Quand tout le monde était rassemblé devant la façade de la vieille maison, deux poules ouvraient la porte-fenêtre à travers laquelle brillait un vieux lustre. Le jeune verrat, qui engraissait à vue d’oeil – à cause du stress, expliquait-il –, posait alors les deux pattes avant sur le garde-corps et toisait la foule d’un air pénétré.

« Vous comprenez, chers compatriotes, que je suis indifférent à ce confort et que s’il ne s’agissait que de me loger, l’abri le plus modeste aurait fait l’affaire. Mais c’est ma fonction qui est symboliquement honorée à travers ce luxe dont je ne m’entoure, croyez-moi, qu’avec réticence. D’ailleurs, cette maison n’est pas la mienne, elle est celle de tous. Si j’y habite, c’est bien à vous qu’elle appartient, et vous pouvez légitimement en être fiers. La magnificence du manoir n’est que le signe extérieur de la grandeur de la république à laquelle nous appartenons. Un signe indispensable au prestige du Lac auprès des autres fermes. » Pour marquer quotidiennement cette grandeur, Platon insista aussi pour être désormais appelé Monsieur le Fermier.

La deuxième décision du cochon fut d’annoncer qu’il allait créer une vingtaine de postes d’Agents de Fonctionnement. On appellerait ainsi les animaux spécialement recrutés pour assurer les Services Communs. Ils disposeraient d’un statut particulier et seraient naturellement financés par un prélèvement opéré sur le travail des autres animaux.

On prit l’habitude d’utiliser le mot Ferme, avec une majuscule, pour désigner le groupe d’animaux spécialement dédiés à sa gestion. Par une confusion qui ne déplaisait pas à Platon, ce terme devint d’ailleurs assez vite synonyme de la collectivité animale dans son ensemble, puisqu'après tous les employés à sa gestion et ses élus en étaient les représentants. Par définition, ce qui était bon pour la Ferme – c’est-à-dire les employés chargés de gérer les Services Communs – était bon pour tous les animaux du Lac.

« La Ferme, déclara Platon un soir qu’il était particulièrement inspiré, doit être la coordinatrice des actions individuelles.

» Si nous laissons faire chacun à sa fantaisie, la société ne sera plus que chaos. Il est du devoir de la Ferme – et j’entends par-là de nous autres qui sommes spécialement désignés pour la guider – d’organiser les choses, de piloter la production, d’orienter les actions. Or comment pourrait-elle accomplir cet immense travail sans en avoir les moyens ? Je dois donc développer nos Services Communs. »

Une dizaine de poules furent embauchées et tout le rez-de-chaussée du manoir fut converti en bureaux. On acheta spécialement de nombreuses échelles qui furent disposées le long des murs dans chaque pièce. Chaque poule y occupait un barreau, par ordre hiérarchique ; la chef de service, naturellement, occupait le barreau le plus élevé. Goupil fut nommé directeur de cabinet du Fermier et reçut comme logement de fonction l’une des autres chambres du premier étage.

« Nous devons aussi structurer l’organisation de notre appareil productif afin qu’il soit plus efficace. Certes, le travail est libre et chacun est désormais autonome, mais nous courons toujours le risque que les plus faibles d’entre nous finissent par être influencés, voire forcés par d’autres qui n’auraient que leur propre profit en tête. La liberté des plus faibles est malheureusement un risque pour eux, un fardeau que nous devons les aider à porter. Il est malheureusement dans la nature animale de poursuivre son propre intérêt. Cette tendance égoïste est mauvaise pour la collectivité, puisque les intérêts sont antagonistes. Ce que l’un gagne est toujours perdu par l’autre, et l’on ne parvient jamais à ses fins qu’en désavantageant d’une façon ou d’uneautre l’un de ses compatriotes. Il est du devoir de la Ferme de canaliser, contrôler et réduire cette tendance égoïste afin d’assurer l’intérêt général.

» Il faut donc que nous désignions au sein des animaux ceux qui auront la charge de les représenter et de les protéger pour garantir qu’ils continueront à être des travailleurs libres. Or en matière de protection, personne n’a plus d’expertise que nos amis les chiens. Je propose donc qu’à partir de maintenant, les chiens soient nommés représentants permanents de tous les animaux. À ce titre, ils recevront une ration quotidienne. »

Il était inutile de procéder à des élections, ajoutat-il, car les chiens, grâce à leur rôle majeur dans la Révolution – personne ne savait de quoi il parlait, mais après avoir été inlassablement répétée, cette idée devint admise comme une vérité – pouvaient être « présumés représentatifs de la population animale ».

Charybde et Scylla étaient en effet revenus très peu de temps après le départ du fermier. Ils avaient repris leur vie indolente, passant le plus clair de leur temps sur les marches du perron à profiter du soleil. En montrant les dents, ils avaient fait comprendre à Platon terrifié qu’il n’était pas question pour eux de travailler. Le cochon avait imaginé de faire d’une pierre deux coups en créant des rémunérations spéciales pour les chiens tout en créant une instance efficace de contrôle des animaux. « Où irions-nous, souligna Goupil qui était désormais presque toujours aux côtés de Platon, s’il fallait écouter et prendre en compte les doléances du moindre poulet ?

Extraits de "La nouvelle ferme des animaux", d'Olivier Babeau, publié aux éditions Les Belles Lettres, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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