Et si le seul remaniement potentiellement efficace était celui qu’Emmanuel Macron ne fera pas… ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Borne et Emmanuel Macron lors de l'hommage rendu à Jacques Delors aux Invalides, le 5 janvier 2024.
Elisabeth Borne et Emmanuel Macron lors de l'hommage rendu à Jacques Delors aux Invalides, le 5 janvier 2024.
©STEPHANIE LECOCQ / AFP

Les mêmes causes produisent les mêmes effets

La perspective d’un remaniement ministériel semble de plus en plus probable, mais n'est-ce pas au fond un hochet pour Emmanuel Macron ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : La perspective d’un remaniement ministériel semble de plus en plus probable. Plusieurs noms affleurent dans la presse pour remplacer Elisabeth Borne à Matignon, parmi lesquels celui de Sébastien Lecornu, celui de Julien Denormandie ou encore de François Bayrou. Dans quelle mesure un tel remaniement peut-il s’avérer efficace, tant sur le plan politique que pour sortir la France du malaise démocratique ?

Christophe Bouillaud : Il faudrait vraiment un miracle pour que ce remaniement change quoi que ce soit au malaise démocratique du pays. En effet, on ne peut pas rationnellement imaginer que le choix de nouveaux ministres dans le cercle des mêmes personnes et des mêmes partis que depuis 2017 puisse produire des effets différents qu’auparavant. On ne change pas une équipe qui perd, tel pourrait être le slogan du macronisme tardif. Qui va en effet en 2023, parmi les membres honnêtes, efficaces et lucides de la société civile, va s’engager auprès d’Emmanuel Macron ? Qui parmi les politiciens honnêtes, efficaces et lucides, actuellement dans l’opposition, vont se rallier maintenant à un Emmanuel Macron en bien petite forme ? Même Gaël Perdriaux, le maire de Saint-Etienne, n’est plus disponible. 

Par ailleurs, au-delà des hommes ou des femmes au gouvernement, le malaise politique des Français dépend de deux grandes considérations. D’une part, de l’état concret des politiques publiques sur le terrain. Il faudrait vraiment au gouvernement des personnes d’une grande valeur pour rétablir rapidement une situation désormais bien compromise. La macronie au sens large en dispose-t-elle ? Non, cela se saurait. Le grand bal des médiocres va donc continuer. D’autre part, de l’état de nos institutions, totalement ankylosées dans un hyper-présidentialisme, alors que, probablement, il faudrait donner bien plus de possibilités aux électeurs de s’exprimer, avec des référendums d’initiative citoyenne par exemple ou des conventions citoyennes dont les résultats ne finiraient pas à la poubelle.

Enfin, à ce stade, on dirait bien qu’aucune tractation n’a lieu avec un ou plusieurs partis d’opposition pour élargir politiquement la majorité parlementaire du chef de l’Etat et pour constituer un nouveau gouvernement tenant compte de ce nouvel équilibre. Cela au moins aurait du sens, mais cela supposerait pour Emmanuel Macron de partager le pouvoir avec d’autres acteurs que lui-même. Il faut bien avouer aussi que le principal partenaire possible à ce stade, les Républicains, n’ont sans doute pas vraiment envie d’aller secourir l’ambulance Macron. 

Faut-il penser que le mépris dont Emmanuel Macron fait preuve, à l’égard des autres figures politiques comme du système électoral dans sa globalité, est responsable (pour partie au moins) de la dépolitisation en France ? 

En tout cas, comme chacun l’aura sans doute bien compris désormais, toute la vision du fonctionnement des institutions républicaines par Emmanuel Macron se résume à l’utilisation de tous les outils légaux à sa disposition pour avancer ses idées, ou plutôt ses tocades, sans jamais se poser vraiment, réellement, la question de la légitimité populaire de ses décisions. Tel est son bon plaisir, car, comme dirait un de nos rois, l’Etat, c’est lui. Malheureusement, ce mépris profond pour l’opinion populaire et plus généralement l’opinion d’autrui, fut-elle la mieux informée du monde, finit par déclencher deux mouvements dans l’opinion. D’une part, effectivement une dépolitisation au sens d’apathie, d’indifférence, de détachement, d’une bonne part des électeurs qui ont compris qu’en pratique, sous Macron, la démocratie était devenue un mot factice en France. D’autre part, une radicalisation des partisans des diverses oppositions. On dérive dans le règne du tout ou rien, les possibilités de négociations, ajustements, compromis, typiques d’une société pluraliste mature, sont de plus en plus réduites. 

Peut-on vraiment s’appuyer sur un modèle technocratique qui juge la politique comme fondamentalement inefficace ? A quel point Alexis Kohler incarne-t-il ce mode de fonctionnement du “système Macron” ?

La technocratie, au sens d’un pouvoir qui prendrait ses décisions en s’appuyant uniquement sur des considérations techniques, axiologiquement neutres, est une fiction, un faux-semblant. La technocratie, la revendication de savoir gouverner au nom d’un savoir supérieur, est surtout une façon de faire passer les décisions que le technocrate souhaite prendre sans s’embarrasser des lourdes contraintes de la discussion ouverte et pluraliste. Or c’est seulement à travers cette discussion ouverte que l’état le plus avancé du savoir sur un point particulier des politiques publiques à mener peut l’emporter. Par ailleurs, même si le technocrate revendique le plus souvent d’œuvrer pour l’intérêt général, il se trouve que, souvent, cet intérêt général tel qu’il le définit coïncide fortement, à l’insu de son plein gré, avec un ou plusieurs intérêts privés. 

De fait, le binôme Macron-Kohler exprime bien cette impasse d’une vision qui se croit neutre, générale et avisée, alors qu’elle est orientée, particulariste et aveugle. Ces deux hommes ne sont pas les seuls en cause. La macronie a fait émerger tout un réseau de gestionnaires prétendument géniaux, qui partagent ce défaut de la non-écoute et de la fausse neutralité. Il faut noter que, malheureusement, c’est le défaut majeur du management à la française, probablement lié à l’influence de notre système des grandes écoles sur l’ensemble de la hiérarchie professionnelle.

Le clivage gauche-droite a d’abord été réfuté par Emmanuel Macron et ses soutiens, qui ont affirmé vouloir dépasser ces carcans passés de mode. Peut-on encore penser que cette opposition n’a pas de sens aujourd’hui ou, au contraire, constitue-t-elle la clef vers la repolitisation du pays et la sortie de l’impuissance des politiques comme du malaise démocratique ?

De toute façon, dans une société pluraliste, il y aura toujours des clivages, des oppositions fortes sur certains points. Cela peut s’organiser selon un clivage droite-gauche unique, ou bien à travers plusieurs clivages superposés. Une société sans clivage me parait une pure fiction – ou plutôt une dystopie. De fait, il me semble que le débat sur la nouvelle loi sur l’immigration a amorcé une nette réactivation du clivage droite-gauche. En effet, finalement le RN, LR et la majorité présidentielle sont d’un côté du clivage, et toute la gauche de l’autre côté. Cela correspond d’ailleurs à l’état des rapports de force au sein de l’opinion publique sur la question migratoire. Ce qui est toutefois gênant, c’est que le camp présidentiel et les LR prétendent ne pas s’être ralliés à la vision portée de longue date par le RN. Cela rend sans doute tout cela fort peu compréhensible à l’électeur moyen.

Par ailleurs, comme on l’a appris ces jours-ci, la Cour des comptes avait préparé un rapport sur la gestion du séjour des étrangers en France. Or ce rapport a été retenu par le Président de la Cour des comptes pour ne pas influer dans le débat parlementaire en cours. L’un des points essentiels de ce rapport est justement que la réglementation déjà en place en matière de droit des étrangers est devenue au fil du temps bien trop complexe et l’autre que les préfectures, chargés de l’appliquer, manquent de moyens humains. De fait, si ce rapport avait été publié pour informer les débats parlementaires, peut-être y aurait-il lieu de réfléchir à la qualité de la législation et à sa mise en œuvre pratique ? Cela aurait pu être le rôle d’un parti de gouvernement « centriste » et attaché à l’efficacité de l’action de l’Etat. Au lieu de cela, la dynamique entre un ministre de l’intérieur voulant absolument avoir sa loi d’apparence xénophobe pour faire pièce au RN et une opposition LR voulant apparaitre plus xénophobe que le RN ont abouti à la énième loi probablement inutile en l’état du problème tel que décrit par la Cour des comptes. Autrement dit, par la seule faute du gouvernement Borne, on a eu un débat inutile qui ne contribuera en rien à améliorer la situation. On s’étonnera ensuite que cela nourrisse le malaise démocratique. Il est vrai que le gouvernement Borne n’était sans doute pas prêt à annoncer qu’il faudrait tripler ou quadrupler les effectifs dans les préfectures pour bien gérer un droit des étrangers devenu aussi complexe. C’est bien moins cher de légiférer à tort et à travers pour attirer les bons sentiments des électeurs.

Que dire, aujourd’hui, du centre et de la façon dont il braconne tant sur les terres de la gauche que celles de la droite ? Fait-il encore preuve de cohérence idéologique, selon vous ?

En 2023, force est de constater le centre « macroniste » braconne surtout sur les terres de la droite, voire, comme je viens de le dire en matière d’immigration, sur celles de l’extrême-droite. C’est vrai par exemple en matière d’éducation, où, à la fin, Gabriel Attal va finir par être loué par Eric Zemmour. Il y a clairement la volonté d’Emmanuel Macron de rallier à lui le cœur de l’électorat bourgeois le plus aisé et le plus réactionnaire, comme avec sa remarque sur Gérard Depardieu. On dirait que ne compte plus pour lui que l’électeur bourgeois de 70 ans et plus, vivant dans un passé fantasmé d’ordre républicain et vaguement libidineux de surcroit. Il est vrai que cet électeur-là ne manquera pas d’aller voter en juin prochain aux Européennes.

Après, qu’est-ce qu’on appelle « cohérence idéologique » ? Si par ce terme, on désigne le fait d’avoir une doctrine générale applicable à la plupart des problèmes, une vision du monde cohérente, il est difficile de la trouver. Je vais prendre un tout petit exemple : en 2017, peu après son élection, Macron baisse les APL de cinq euros. Cela fait à l’époque scandale à gauche, mais c’est cohérent avec l’idée très économiquement libérale que toute subvention donnée à un consommateur finit en réalité dans la poche de celui qui lui vend le bien ou le service concerné. Cette baisse des APL est alors conçue comme diminuant la rente des propriétaires et améliorant les finances publiques. En 2023 et en 2024, la France met en place toute une série de « bonus réparation » – y compris celui risible sur les vêtements et les chaussures – sous prétexte d’inciter le bon peuple de France et de Navarre à faire réparer plutôt qu’à acheter du neuf, et, évidemment, le prix des réparations et les profits des réparateurs augmentent d’autant. Où est passée la vision libérale de 2017 ? Et que dire de l’effet sur les comptes publics de telles mesures ?  On pourrait faire la même remarque en matière migratoire. Pour ne pas parler du « droit des femmes » grande cause du quinquennat, morte et enterrée après les propos tenus en défense de Gérard Depardieu. Il n’y a donc aucune cohérence idéologique, juste une série d’opportunismes démagogiques de plus en plus visibles.

Par contre, si, par cohérence idéologique, on désigne le fait d’avoir à cœur de défendre certains intérêts matériels et pas d’autres, le macronisme fait preuve d’une constance à toute épreuve. En effet, quels sont les gagnants depuis 2017 ? Les détenteurs du capital mobilier, qui bénéficient de la suppression de l’ISF et de la création du PFU. Et, dans une mesure moindre, les détenteurs du capital immobilier, et, dans une mesure encore moindre, les retraités. Se confondant souvent avec ces strates aisées de la population, force est de constater que tous les acteurs économiques puissants en 2017 n’ont guère à se plaindre du sort qui leur a été réservé depuis lors. On est resté dans un rapport quasi-corporatiste entre l’Etat et les grands groupes économiques du pays, typique depuis des décennies du capitalisme français.

Ce qui est démocratiquement dysfonctionnel, c’est qu’Emmanuel Macron n’a pas complètement assumé cette orientation de privilégier les « gagnants ». Il n’a cessé de la cacher derrière des faux-semblants, des slogans vides, des promesses de monts et merveilles à l’ensemble de la population – le fameux « ruissellement » avoué et dénié à la fois. Cette dissimulation a toujours existé en politique, mais je crois qu’avec Emmanuel Macron, l’écart est devenu trop grand et explique une part de ce grand malaise démocratique. Mais pouvait-il expliquer qu’il n’était là que pour défendre certains déjà bien lotis par la vie ?

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