Et si le secret de l’incroyable développement de l’Europe à travers les siècles était… son génie financier ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un ensemble de facteurs ont fait de l’Occident une singularité dans l’Histoire humaine en termes de prospérité.
Un ensemble de facteurs ont fait de l’Occident une singularité dans l’Histoire humaine en termes de prospérité.
©THOMAS SAMSON / AFP

Prospérité

L'explosion de prospérité, et la suprématie financière, politique et économique européenne sur le reste du monde depuis la fin du Moyen-âge est un sujet de discussion entre historiens depuis de nombreuses années. Un nouveau livre se penche sur ce miracle économique.

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico : Dans The Verge: Reformation, Renaissance, and Forty Years that Shook the World, Patrick Wyman souligne l’importance du génie financier européen dans le succès du développement de ce continent. L'avènement de la finance en Europe et son intégration dans les régimes politiques lui ont-ils vraiment permis de sortir de l’ornière des heures sombres du Moyen-Age ? Quand et comment est-elle arrivée ? Le changement s’est-il fait en peu de temps ?  

Frédéric Mas : Une grande discussion entre historiens s’est engagée avec la publication du livre d’Eric Jones The European miracle (1981). A la fin du Moyen âge, l’Europe distance ses concurrents, en particulier les civilisations chinoise et islamique, dans les domaines économiques et politiques jusqu’à dominer le monde. Un écart inconnu jusqu’alors dans l’histoire humaine s’est creusé entre l’Occident et le reste du monde. Une « grande divergence », pour reprendre l’expression de Kenneth Pomeranz, a éloigné l’évolution économique européenne du reste du monde, évolution sur plusieurs siècles dont le point de rupture se situe au 18e siècle. A partir de ce moment-là, l’Occident sort de l’économie de survie archaïque qui condamnait l’Humanité à la pauvreté et aux aléas d’un système économique rythmée par les crises agricoles pour entrer dans le capitalisme moderne. Et ce capitalisme a non seulement créé une prospérité sans précédent dans l’histoire humaine, il a amélioré les conditions de vie du peuple de manière considérable, là où selon l’économiste Gregory Clark, rien n’avait fondamentalement changé pour l’homme ordinaire depuis la révolution néolithique.    

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Mais qu’est ce qui a créé cette explosion de prospérité, et la suprématie financière, politique et économique européenne sur le reste du monde depuis la fin du moyen-âge ? Sont-ce des institutions particulières ou une révolution dans les mentalités ? Pour Eric Jones, c’est un mélange de facteurs naturels et d’inventions particulières, notamment la banque et donc la finance, qui expliquent ce miracle. Pour l’économiste Douglass North, c’est l’amélioration considérable de certaines institutions, dont la propriété, qui auraient facilité les transactions et la création des marchés modernes. Pour Deirdre McCloskey, ce ne sont pas les institutions mais les mentalités qui ont changé avec la fin du moyen âge : le bourgeois ignoré ou méprisé devient digne d’attention et ses vertus reconnues se font motrices de l’innovation capitaliste. Il est difficile de dire, parmi tous ces facteurs, quel est celui qui a été décisif dans la marche du monde. On peut toutefois remarquer qu’au cours du XVe siècle, le système bancaire fait un bond en avant considérable sous l’influence des Flamands et surtout des Italiens qui inventent la comptabilité en partie double et la lettre de crédit. Qu’on garde en mémoire la domination financière des Médicis à Florence mais aussi dans toute l’Europe qui sera aussi synonyme de domination politique sans partage.

Qu’est ce qui constitue la spécificité et le succès de la finance européenne à travers l’histoire comparé à celle des autres pays ? Quelles ont été les conditions favorables à son développement ?

Je crois qu’on peut dire sous forme de boutade que la finance européenne a eu le mérite d’exister là ou celle de ses concurrents n’existaient pas forcément. Dans Carnage et Culture (2002), l’historien américain Victor Davis Hanson raconte par exemple comme l’existence des institutions capitalistes, en particulier l’institution bancaire, a assuré la suprématie durable de la Chrétienté face aux Ottomans, ce qu’a montré la bataille de Lépante en 1571.

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Parce que l’Empire ottoman ne possédait aucune institution bancaire, aucune règle protégeant la propriété privée et que l’immense bureaucratie ottomane absorbait tous les capitaux disponibles par un système fiscal absurde, il était à la fois fragile face aux crises et incapable de se constituer une flotte de guerre comparable aux Etats européens, même les plus petits. Pour faire la guerre, il faut des milliers de capitaux disponibles et mobilisables rapidement, ce que les institutions de l’économie de marché ont réussi à faire beaucoup plus efficacement que ses concurrents à travers le monde et l’histoire.

Maintenant, je pense qu’il faut conserver à l’esprit qu’il n’y a pas une seule institution au sein du capitalisme qui a assuré son succès, mais un ensemble de facteurs qui mis ensemble ont fait de l’Occident une singularité dans l’Histoire humaine. L’individualisme, la culture particulière de l’innovation, l’usage de la technique pour améliorer la production, l’Etat de droit et la sanctuarisation de la propriété ont soutenu le développement d’un système capitaliste complexe autant que son système financier et bancaire.

Sur les conditions favorables au développement de la finance, j’ai tendance à me ranger derrière l’avis d’économistes et historiens comme Appleby, McCloskey ou Mockyr : ce sont les mentalités qui ont révolutionné les institutions héritées du Moyen-âge pour inventer le capitalisme moderne. Avec l’émergence des villes, l’ordre idéologique et social fondé sur les trois ordres (Oratores, Bellatores, Laboratores) est bousculé par une bourgeoisie qui finit par imposer ses codes et la dignité de ses activités. La finance en fait partie, et c’est elle qui a dynamisé le commerce et la prospérité européenne à partir de la Renaissance.

L’Europe dispose-t-elle toujours de ce génie financier qui lui a permis de briller ?

Le génie financier s’est libéré de sa lampe, et aujourd’hui, il prospère partout dans le monde, de Hong Kong à Sao Paulo en passant par Shenzen et Tokyo. Le nouveau monde et l’ancien, notamment grâce à New York, Londres, Francfort ou Zurich continuent de donner le ton dans le domaine financier. Mais le modèle institutionnel capitaliste né en Europe, étendu à l’Occident, qui constitue l’écosystème naturel de la finance, est réplicable universellement. Il est désormais copié et concurrencé, en particulier en Asie, où le centre de gravité de l’économie mondiale est en train de se déplacer.

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