Et si le PS débranchait les Verts…<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot.
L'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot.
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Court-jus

EELV a de plus en plus de mal à montrer une cohérence avec les décisions gouvernementales, que les Verts dénoncent de plus en plus.

Sébastien Repaire

Sébastien Repaire

Sébastien Repaire est enseignant à Sciences Po. Agrégé d'histoire, il est spécialiste de l'évolution des mouvements d'écologie politique. 

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Atlantico : Qu'est-ce que le Parti socialiste peut craindre d'un divorce avec un parti qui n'existe sur la scène nationale que grâce à lui et qui n'a réuni que 2,3% en 2012 ? 

Sébastien Repaire : Le mauvais score de la candidate Éva Joly lors de la présidentielle de 2012 doit être relativisé et mis en perspectives, par exemple, avec le très bon score obtenu par les listes Europe Écologie lors des européennes de 2009 (16 % en moyenne nationale, quatorze élus). Si le mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours désavantage traditionnellement les petits partis comme les Verts, ces derniers ont à plusieurs reprises réalisé des percées sensibles dans les scrutins à la proportionnelle (déjà en 1989 les Verts avaient dépassé les 10 % aux élections européennes, qui s’en souvient aujourd’hui ?). Par ailleurs, le rejet profond du discours sarkozyste a sans doute accentué l’effet de "vote utile" en faveur du candidat socialiste dès le premier tour en 2012. Enfin, on peut également penser qu’une candidature verte incarnée par Nicolas Hulot aurait agrégé des voix bien plus nombreuses.

Autrement dit, le vote écologiste n’est pas aussi négligeable que l’échec d’Éva Joly pourrait le laisser supposer. Dans les conseils de régions, par exemple, les écologistes sont désormais une force politique avec laquelle les socialistes doivent négocier et transiger. Au niveau national, cependant, tant que le suffrage majoritaire reste de mise notamment pour les élections législatives, les Verts ont beaucoup plus à perdre que leurs actuels allié socialistes, d’un point de vue électoral, d’une hypothétique rupture d’alliance avec le PS. Ce mode de scrutin majoritaire, si ancré dans le système politique de la Ve République, empêche les Verts français d’égaler en poids électoral et politique les Grünen d’outre-Rhin. 

Si le membres de EELV ont un poids politique faible, quantitativement, qu'incarnent-ils encore dans la façon d'incarner la politique qui peut servir au PS ?

Dans son projet d’être un mouvement en lien avec la société civile, le parti vert a toujours incarné une volonté de "faire de la politique autrement" - le slogan est connu. La création de EELV en 2010, qui reposait essentiellement sur l’idée de rassembler autour du parti des "coopérateurs" appartenant à la société civile, s’inscrivait clairement dans cette tendance. En outre, même s’il est un parti de gouvernement, EELV a globalement su préserver son image de parti à la marge, qui veut transformer le monde politique depuis l’extérieur. Autrement dit, pour le PS, vieux parti usé par l’exercice du pouvoir, l’alliance avec EELV est loin d’être négligeable en termes d’image politique. 

Sur le plan purement stratégique, le PS peut-il être mis en difficulté dans l'hémicycle par le passage dans "l'opposition" de 18 députés EELV et de 10 sénateurs ? Y a-t-il un vrai danger à court terme qui empêcherait le divorce ?

Les députés EELV étant tellement dépendants des accords électoraux passés avec le PS en raison du mode de scrutin majoritaire, on imagine mal comment cette situation pourrait être autre chose qu’une courte séquence politique : soit les députés verts finiraient par rentrer dans le rang, soit un certain nombre d’entre eux disparaîtraient de l’hémicycle au prochain renouvellement de l’Assemblée. Pour le Sénat, la situation est plus complexe, les deux partenaires ayant besoin l’un de l’autre : en 2012, les socialistes ont recherché avec énergie l’appoint des grands électeurs EELV pour conquérir la chambre haute, et c’est l’accord passé entre les deux partis qui a permis l’élection de 10 députés écologistes.

Le PS a-t-il vraiment été gagnant d'une alliance avec les turbulents et indécis partenaires d'aujourd'hui ?

En rester à une analyse purement électorale et comptable ne permet pas de comprendre la nature profonde des liens qui unissent, depuis les années 1990, le Parti socialiste aux Verts, puis à EELV. La social-démocratie européenne doit, dès les années 1970, faire face à une crise idéologique et intellectuelle profonde et durable. L’épuisement du marxisme, combiné à l’apparent échec du keynésianisme face à la crise économique, torpille les gauches européennes. L’alternance de 1981 n’a décalé que de quelques années la perception en France de ce reflux idéologique. Le Parti socialiste a dû, pour y faire face, chercher ailleurs que dans son logiciel idéologique de départ des idées neuves. C’est pourquoi le rapprochement entre le Parti socialiste et les Verts dans les années 1990 est un événement essentiel. Il s’esquisse dès la victoire des voynettistes face aux waechtériens au sein du parti écologiste en 1993, puis commence à prendre forme avec les "Assises de la transformation sociale" voulues et pilotées par Jean-Christophe Cambadélis en 1994. Ce rapprochement permet alors aux socialistes de puiser chez les Verts quelques idées venues tout droit d’une gauche libertaire qui n’a jamais cessé de croire qu’il était possible de "changer la vie" et qui, pendant un temps, en a beaucoup voulu à François Mitterrand pour sa trahison supposée. Jusqu’à aujourd’hui, cette famille de pensée incarnée par les Verts puis EELV semble continuer à irriguer une social-démocratie toujours idéologiquement exsangue. Rappelons-nous que Noël Mamère a été le premier, en sa qualité de maire de Bègles, à marier un couple de même sexe en 2004 — déjà l’esquisse du mariage pour tous. Telle semble être aujourd’hui la configuration idéologique du PS, doublement influencé : par le libéralisme pour les questions économiques, par la gauche verte et libertaire pour les questions de société.

Cécile Duflot a laissé entendre qu'elle voudrait mener EELV vers un rapprochement avec le Parti de gauche. Qu'aurait à perdre politiquement, de son côté, EELV d'un divorce clair et assumé avec le Parti socialiste ? 

L’épreuve du pouvoir est toujours une expérience douloureuse pour les socialistes et leurs alliés. Dans les premiers temps du gouvernement Jospin, Dominique Voynet, alors ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, avait su manœuvrer habilement et combiner une action ministérielle forte — obtenant par exemple l’arrêt de Superphénix, mesure hautement symbolique pour la mouvance écologiste — et une critique interne de la politique gouvernementale — notamment à l’égard du ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement. Cécile Duflot, au ministère de l’Égalité des territoires et du Logement, ou Pascal Canfin, ministre délégué au Développement, n’étaient sans doute pas dans une configuration qui leur aurait permis de prendre après 2012 des mesures aussi marquantes. En conséquence, leur choix de quitter le gouvernement deux ans plus tard, qui semble d’ailleurs avoir correspondu aux attentes de nombreux militants, s’imposait sans doute pour préserver le capital électoral d’EELV. Mais un "divorce clair est assumé" est une chose bien différente d’un "simple" départ du gouvernement. Il n’est pas certain qu’il accroisse l’électorat vert, mais il est en tout cas probable qu’il mette en péril la représentation écologiste à l’Assemblée nationale.

Le rapprochement avec le Parti de gauche a été vivement critiqué par Jean-Vincent Placé. Un tel rapprochement est-il crédible avec l'extrême gauche ? Qu'est-ce que les oppositions sur le positionnement nous apprennent sur les tensions internes aux Verts ?

La question d’une possible alliance avec la gauche de la gauche est récurrente chez les Verts depuis la fondation du parti en 1984. Dans les premières années de leur existence, alors que les partisans de Brice Lalonde, refusant d’adhérer, avaient déjà opté pour un positionnement au centre gauche de l’échiquier politique, la direction des Verts — à laquelle appartenait alors Yves Cochet — a recherché une alliance avec des organisations d’extrême gauche, alternatives et autogestionnaires. Un "Appel à la convergence des forces alternatives et écologistes" avait même été lancé. Mais ce n’était alors pas la tendance de la majorité des militants qui, à partir de 1986 et jusqu’en 1993, suivent Antoine Waechter dans la voie du "ni droite, ni gauche".

Après la rupture avec cette doctrine, et notamment à l’approche de l’élection présidentielle de 1995, à laquelle Dominique Voynet se porte candidate, le dialogue est rétabli avec l’extrême gauche. Mais c’est finalement l’alliance avec le Parti socialiste qui est privilégiée, inaugurant un trend qui dure aujourd’hui encore. Au regard de cette histoire, déjà longue, du parti vert, un rapprochement avec des organisations de la gauche de la gauche n’apparaît pas comme totalement impossible. Mais il risque de se heurter à l’hétérogénéité des cultures politiques auxquelles appartiennent les militants et les dirigeants du parti. La division originelle entre les "environnementalistes" — qui mettent en avant les questions d’amélioration du cadre de vie — et les "libertaires" — plus attachés aux combats socioculturels — n’a pas disparu mais s’est considérablement complexifiée. Cette complexification des identités et, donc, des rapports de forces, tient en partie à la structure même d’Europe Écologie - Les Verts qui, à sa création en 2010, a intégré bon nombre de personnalités issues de la société civile. Si la gauche du parti réclame une alliance avec des organisations plus à gauche — rappelons-nous que Martine Billard fut l’une des responsables des Verts avant d’adhérer au Parti de Gauche — cette redéfinition de la ligne politique d’EELV entraînerait à n’en pas douter des recompositions internes et des départs dont l’impact reste à évaluer.

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