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Et si le meilleur moyen de lutter contre le chômage était de cesser de nous concentrer sur les politiques de l'emploi ?
©Reuters

Une question de priorité

A l'issue du premier Conseil des ministres de l'année, Jean-Marc Ayrault a sonné jeudi la mobilisation du gouvernement pour l'emploi. Un séminaire de travail « sur la situation économique et l'emploi » se tient à l'Elysée ce vendredi.

Éric Verhaeghe et Didier Maus

Éric Verhaeghe et Didier Maus

Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr
 

Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

Didier Maus est professeur à l'université Paul Cézanne Aix-Marseille

Il est l'auteur de nombreux ouvrages de droit constitutionnel.

 

 

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Atlantico : Jean-Marc Ayrault a sonné jeudi, à l'occasion du premier Conseil des ministres de l'année, la mobilisation du gouvernement pour l'emploi. "Tous les efforts seront entrepris", "tous les ministres seront concentrés", a martelé le Premier ministre à la sortie du Conseil, où il venait d'émettre un message de "mobilisation totale" de son équipe pour réussir la "très grande bataille" pour l'emploi. Se focaliser sur l'emploi constitue-t-il vraiment le meilleur moyen de lutter contre le chômage ? L'obsession pour l'emploi n'est-elle pas contre-productive ?

Eric Verhaeghe : En fait, j’ai un vrai doute sur la sincérité des annonces qui sont faites en France dans le domaine de l’emploi depuis plus de 30 ans. Reprenez les discours tenus déjà sous le gouvernement de Raymond Barre, et lisez tous ceux qui ont suivi depuis cette époque, et vous verrez que l’obsession de la lutte contre le chômage est plus un aveu d’impuissance contre le chômage qu’un véritable engagement contre lui.

Le problème de fond est celui de l’efficacité des politiques de l’emploi. Personne ne pourrait jurer que les 50 milliards que la France met annuellement dans ces politiques ont un quelconque effet de réduction sur le chômage. Au premier rang de ces choix, je sais que je rame à contre-courant en plaçant les baisses de cotisations sur les bas salaires. Celles-ci coûtent aujourd’hui, toutes masses confondues, environ 30 milliards d’euros. Avec le pacte de compétitivité, elles coûteront 20 milliards de plus. En admettant qu’elles ont permis la création de 800.000 emplois, ce qui est dans le haut de la fourchette des analyses menées par les experts, cela signifie tout de même une subvention de près de 40.000 euros par emploi à bas salaires.

Autrement dit, la lutte contre le chômage se traduit par une politique de subvention qui coûte beaucoup plus qu’elle ne rapporte, et qui est financée par la dette. Pour répondre à votre question, je dirais donc que l’obsession de l’emploi, c’est d’abord une politique de l’endettement dont on voit bien comment elle perturbe aujourd’hui le cycle normal des affaires.

Gilles Saint-Paul : Effectivement, l'emploi n'est pas en soi une mesure de bien-être. Préserver des emplois non rentables, comme on le fait à Florange, n'est pas nécessairement une bonne politique. Par ailleurs, certaines mesures censées créer de l'emploi peuvent être contre-productives. Je pense en particulier aux 35 heures qui, à long terme, ont pénalisé notre compétitivité.  Le principal problème est qu'on écarte d'emblée certaines politiques pour en mettre en place d'autres plus acceptables pour l'électorat et les syndicats, mais qui ont des effets limités, voire négatifs sur l'emploi.

Que faut-il à cet égard penser des dispositifs de soutien public à l'emploi comme les emplois d’avenir et les contrats de génération ?

Gilles Saint-Paul : A court terme, ce type de dispositif fait baisser les statistiques du chômage. Mais, en pratique, on retire des jeunes du marché du travail. Je pense qu'on ne leur rend pas forcément service parce qu'une fois sortis de ces dispositifs, ils en garderont les stigmates et seront moins compétitifs sur le marché du travail que s'ils avaient cherché un emploi dès leur sortie du système scolaire.
Ce sont des mesures qui sur le fond ne règlent pas le problème qui est l'incapacité de notre marché de l'emploi à absorber ceux qui arrivent dans le monde du travail. On ne fait que renforcer cette rigidité en enlevant des jeunes du marché du travail pour en faire des quasi-fonctionnaires.

Eric Verhaeghe : Le principe du contrat aidé pour lutter contre le chômage est aussi vieux que le capitalisme. La Révolution française, puis la Seconde République en 1848 l’ont abondamment appliqué, notamment avec des systèmes d’ateliers nationaux. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le premier à avoir mis en place ce type de contrats subventionnés est Raymond Barre. Ce fut l’une des premières réponses au chômage des jeunes... On le voit, malgré les grandes postures de changement, les solutions qui sont proposées en 2012 ne sont pas nées d’aujourd’hui. Ce sont, comme on dit, des solutions occupationnelles : plutôt que de laisser les chômeurs désoeuvrés, on les occupe comme on peut. Cela part d’un bon sentiment, mais, bien entendu, une occupation n’est et ne sera jamais un emploi.


Comment créer les conditions favorables à l’embauche et aux créations d’entreprises ? Faut-il désormais ouvrir le chantier de la flexibilité ? 

Gilles Saint-Paul : Il y a trois voies possibles qui n'apporteront leurs fruits qu'à long terme, c'est à dire au-delà de l'horizon quinquennal des hommes politiques.

Premièrement, Il y a la voie anglo-saxonne qui consiste à réduire le pouvoir de fixation des salaires des syndicats et à rendre l'embauche et le licenciement plus facile. Cela fonctionne dans les pays anglo-saxons qui depuis plusieurs décennies ont trois ou quatre points de chômage de moins que la France. Cela a conduit à assurer une forme de sécurité sociale, non pas à travers l’État providence, mais à travers le bon fonctionnement du marché. 

La deuxième solution pourrait-être la flexi-sécurité à la danoise avec une assurance chômage assez généreuse accompagnée d'un contrôle bureaucratique serré qui incite les chômeurs à trouver du travail. L'idée est de compenser l'effet "désincitatif" de l'assurance chômage par des mesures coercitives. 

Il y a une troisième voie possible : ne pas toucher au marché du travail, mais s'attaquer au marché des biens et donc libéraliser la concurrence entre les entreprises pour faire baisser les prix et augmenter le pouvoir d'achat des salaires. Cela aurait un léger effet positif sur l'emploi. Mais je pense que la racine du problème reste les institutions du marché du travail et la formation des salaires. Tant qu'on ne s'attaquera pas à cette question, le problème restera insoluble.

Eric Verhaeghe : L’objectif de plein emploi, ce qui, compte tenu de mécaniques à peu près incontournables aujourd’hui, revient à un taux de chômage moyen de 5%, est à notre portée. Certains pays européens, ou certaines régions comme la Flandre, voisine de la France, y sont parvenus. Ce résultat repose sur une solide politique industrielle où financement public et initiative privée fonctionnent en symbiose. Dans le cas flamand, le moteur de la prospérité tient à l’investissement public dans le domaine portuaire (la Flandre belge exploite merveilleusement son exposition très favorable au trafic maritime régional et atlantique), autoroutier, relayé par des entreprises modernes, innovantes, bien gérées, dans le domaine du commerce international et dans la production industrielle. La leçon à retenir de ce modèle est simple: pas de lutte contre le chômage sans une vision globale du développement économique, où secteur privé et secteur public unissent leur force et rament dans le même sens, et à la même vitesse.

Sur le flexibilité, je suis à nouveau à contre-courant de l’opinion dominante dans les médias et les salons parisiens. Je crois qu’il s’agit d’une fausse solution qui ne répond pas à la question du chômage. Pour une raison simple: la France ne retrouvera sa compétitivité qu’en s’appuyant sur une production spécialisée exigeant une main-d’oeuvre bien formée, très experte, donc rare sur le marché et donc peu licenciable. Imaginer qu’on répond efficacement à ce besoin et à ce défi en facilitant le licenciement collectif est un leurre, voire une malhonnêteté. Le licenciement économique ne représente que 3% des causes de chômage en France. Soutenir que l’on s’attaque efficacement au chômage en traitant un problème aussi microscopique est un mensonge.

Au contraire, le chômage est aujourd’hui essentiellement alimenté par la flexibilité. 70% des chômeurs sont au chômage après un CDD, une mission d’intérim ou une rupture conventionnelle, dispositif de flexibilité inventé en 2008 pour assouplir le CDI.

Patronat et syndicats se sont donnés rendez-vous les 10 et 11 janvier pour tenter d’aboutir à un "compromis historique" sur le marché du travail. Quelles sont les mesures indispensables qui peuvent déboucher de ces négociations ?

Gilles Saint-Paul :La première mesure indispensable est d'arrêter de confier la législation du marché du travail au patronat et aux syndicats car ces gens-là, par définition, ne prennent en compte ni l'intérêt du contribuable, ni l'intérêt des chômeurs. Le gouvernement a distribué 20 milliards de crédit d'impôt au patronat. Ce qui est train de se négocier actuellement entre syndicats et patronat, c'est la redistribution de ces 20 milliards aux salariés en place. L'idéal serait pourtant d'investir ces 20 milliards dans de nouvelles embauches. Dès que des mesures sont prises pour favoriser l'embauche et réduire le coût du travail, à travers les négociations entre les partenaires sociaux, on confisque la totalité des économies permises par ces mesures. C'est un des éléments du problème et personne n'en est conscient. Il ne faut pas perdre de vue que cette concertation que tout le monde applaudit ne se fait qu'avec une partie des personnes intéressées par le fonctionnement du marché du travail et non la totalité.

Eric Verhaeghe : Je sais que c’est agaçant, mais je ne puis vous dire autre chose que : regardez la réalité ! En 2008, l’accord sur la modernisation du marché du travail voulu par Nicolas Sarkozy dès sa prise de mandat était déjà présenté par le bord patronal comme un accord historique instaurant une flexisécurité à la française, destinée à éradiquer le chômage. 5 ans après, le chômage a cru en France d’environ 50% par rapport à ce qu’il était à l’époque. François Hollande, qui semble repomper la méthode de son prédécesseur, nous refait le coup de l’accord historique qui va permettre de diminuer le chômage par la flexisécurité à la française. Mais la prospérité ne se conquiert pas à coup d’accords ou de lois. Elle s’obtient en retroussant les manches et en fabriquant de bons produits correspondant aux besoins des acheteurs.

Si les partenaires sociaux voulaient faire oeuvre utile, ils négocieraient une réforme de la formation professionnelle destinée à mieux former les salariés et les chômeurs, en allégeant au maximum les contributions obligatoires qui pèsent inutilement sur les entreprises dans ce secteur.

Jean-Marc Ayrault a également parlé d’un "nouveau modèle français" fondé sur la compétitivité et la solidarité. Comment concrètement assurer cet équilibre ?

Eric Verhaeghe : Je ne comprends pas grand chose à ce charabia. La compétitivité est un sujet économique, qui concerne d’abord les entreprises, où les moyens publics doivent être mobilisés pour épauler et faciliter l’action privée, mais certainement pas pour la remplacer ou la contre-carrer. La solidarité est une mission régalienne qui ne concerne que l’Etat. Demander à l’Etat de s’occuper de compétitivité, et aux entreprises de s’occuper de solidarité n’a pas de sens. Je suggère qu’au lieu de demander à chacun de donner son avis sur les affaires de son voisin, chacun rentre chez soi pour que les vaches soient bien gardées.

Sur ce point, il faut peut-être rappeler au Premier ministre qu’il est le chef de l’administration. Ce serait une bonne idée de sa part d’appliquer aux services dont il a la responsabilité, et qui regroupent quand même 2 millions de salariés, les principes qu’il commande aux entreprises de mettre en oeuvre. Car derrière ces grands mots de compétitivité et de solidarité, se cache une obsession de la réglementation délirante pour l’activité privée, qui entrave la vie normale des affaires, et une très faible réciprocité pour les services de l’Etat. Que l’Etat employeur donne enfin l’exemple de sa capacité à être solidaire et compétitif avant de vouloir régenter des domaines où il n’entend que couic.

Gilles Saint-Paul : Les propos de Jean-Marc Ayrault sonnent un peu creux. L'unique moyen d'être compétitif est de réduire le poids de l’État providence qui grève le coût du travail, l'épargne et l’innovation par une fiscalité excessive. Dans la bouche de Jean-Marc Ayrault, le mot "solidarité" est un terme codé pour dire qu'il ne va pas toucher au poids actuel de l'Etat providence. A partir du moment où il s'interdit de le faire, l'augmentation de la compétitivité ne peut passer que par un appauvrissement des Français et par un taux d'imposition élevé. Si on essaie de maintenir le pouvoir d'achat des salariés des grandes entreprises malgré des charges sociales élevées, cela signifie que le coût du travail dans ces grandes entreprises restera relativement élevé. Le prix à payer pour cet État providence qui incite beaucoup de gens à ne pas travailler, c'est la pauvreté. Ensuite, la question est : "Comment redistribue-t-on cette pauvreté ?" Uniformément ou pas...

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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