Et si le Covid (et le cynisme brutal de la Chine) plombait 2023…?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme reçoit une dose de vaccin contre la Covid-19 dans le comté de Danzhai, dans la province du Guizhou, dans le sud-ouest de la Chine.
Un homme reçoit une dose de vaccin contre la Covid-19 dans le comté de Danzhai, dans la province du Guizhou, dans le sud-ouest de la Chine.
©AFP

Nouveaux variants

Selon Thierry Wolton, la fin du zéro Covid en Chine pourrait en réalité être une volonté délibérée du régime chinois de nuire à l’Occident. La levée brutale de la politique sanitaire chinoise met-elle le monde en danger ?

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : On fait désormais état d’un variant COVID surnommé "Kraken". De quoi s’agit-il ? D'où vient ce  nom ?

Antoine Flahault : Le Comité International de la Taxonomie des Virus est chargé par l’OMS de la dénomination officielle des virus. C’est lui qui a appelé le nouveau coronavirus identifié à Wuhan en Chine en décembre 2019, le “SARS-CoV-2”. C’est encore lui qui a choisi d’attribuer des lettres grecques aux variants les plus préoccupants. L’objectif de cette taxonomie officielle est double, d’abord d’éviter une stigmatisation relative à l’origine de l’émergence (virus chinois, variant indien, sud-africain,…), et aussi d’être plus facile à communiquer. On se souvient ainsi d’Alpha, Beta, Gamma, Delta puis Omicron. Depuis l’émergence d’Omicron il y a un peu plus d’un an, il y a eu plus de 650 variants qui ont été répertoriés, dont plusieurs ont été à l’origine de nouvelles vagues pandémiques. Mais le Comité de l’OMS s’est toujours refusé à les baptiser d’une nouvelle lettre grecque. Il y avait pourtant autant de différences génomiques entre les sous-variants BA.1 et BA.2 d’Omicron qu’entre BA.1 et le variant Delta. Cela a agacé un certain nombre de chercheurs qui leur ont attribué des surnoms, non officiels donc. On a connu le Centaure (BA.2.75) l’été dernier. Et c’est ainsi que le professeur Ryan Gregory, un biologiste d’une université de l’Ontario au Canada a baptisé le sous-variant XBB.1.5 « Kraken » du nom d’une créature marine mythologique norvégienne. Ce nom n’a pas de signification particulière sinon être plus simple à retenir pour le grand public que ces acronymes abscons affublés de séries de chiffres. 

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Quelle menace pèse actuellement sur le monde de la part de ce variant (et des autres ) ?

Antoine Flahault : XBB.1.5, Kraken donc, est un sous-variant qui a été identifié pour la première fois fin octobre dernier dans les États de New-York et du Connecticut. Sa progression a été fulgurante puisqu’il représente déjà 75% des souches séquencées dans les États de l’est des États-Unis et 40% de l’ensemble du territoire nord-américain. L’incidence de nouvelles contaminations devient de plus en plus difficile à évaluer en raison de la chute drastique du nombre de tests PCR aux USA mais aussi un peu partout dans le monde. Kraken est associé à une augmentation des hospitalisations et des décès, sans que l’on puisse dire qu’il est plus virulent aujourd’hui. Il semble surtout très transmissible. Le sous-variant Kraken a débarqué en Europe où il représente encore une petite proportion des séquences, mais l’activité de séquençage a aussi beaucoup baissé, de près de 90% depuis un an. Partout, on baisse un peu rapidement la garde, tant la volonté de tourner la page de cette pandémie est pressante. En tout cas, Kraken pourrait être un excellent candidat pour générer notre prochaine dixième vague en Europe de l’ouest, dès que la neuvième sera sur le point d’être terminée, et peut-être sans nous laisser un très long répit.

L’Organisation Mondiale de la Santé accuse officiellement la Chine de dissimuler la gravité réelle de la diffusion du COVID dans sa population. Que savons-nous de la situation en Chine ? Est-il crédible que le pouvoir dissimule en effet des données ?

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Antoine Flahault : La Chine connaît une vague de grande ampleur qui est mue par un autre sous-variant d’Omicron, BF.7, dont j’ignore si des chercheurs asiatiques lui ont déjà donné un surnom. BF.7 n’est d’ailleurs pas spécifique à la Chine, il circule aussi en Europe et même en France depuis le printemps dernier. Chez nous il ne se propage pas particulièrement rapidement et représente environ 5% des séquences avec plutôt une tendance au déclin. En Chine, il semble avoir percé dès le début de l’automne les digues de la stratégie zéro Covid en place depuis près de trois ans. Les autorités chinoises totalement dépassées par les événements, le 7 décembre ont finalement reconnu la faillite de leur politique zéro Covid en y renonçant officiellement. Depuis, la vague n’a cessé de prendre de l’ampleur et les personnes âgées étant mal vaccinées, les hospitalisations et les décès se sont multipliées. Les seuls chiffres officiels avancent 25 décès pour toute la Chine depuis le 7 décembre, de qui se moque-t-on ! Ces chiffres sont assurément faux, puisque l’on entend des rapports convergents, de sources croisées, d’hôpitaux saturés et de longues files d’attente pour les morgues et les crématoriums. L’OMS s’est émue récemment du manque évident de transparence de Pékin, au grand dam des autorités qui semblent davantage perdues par la situation ne sachant plus tenir la barre d’un navire à la dérive, en pleine tempête. 

Emmanuel Lincot : L’OMS se rattrape après avoir été très complaisante à l’égard de la Chine. Et de fait, le PCC dissimule la gravité des faits. Après la politique « zéro Covid », c’est la politique zéro mort qui est annoncée. Mais les queues démentes devant les crématoriums, les hôpitaux débordés montrent évidemment le contraire. Rien de très nouveau sous les latitudes chinoises: le régime a toujours falsifié ses données chiffrées. Mais comme je le soutiens depuis longtemps, cette levée totale des restrictions va paradoxalement hisser Xi Jinping au rang d’humaniste pour une partie non négligeable de la population car le confinement, bien qu’insupportable, protégeait de facto le plus grand nombre. Cependant, l’état de l’économie est tel que la reprise généralisée du travail s’imposait. Le quoi qu’il en coûte n’est plus tenable et ce sont les plus vulnérables que la grande faucheuse est en train d’éliminer.

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Dans une interview au Figaro Vox, Thierry Wolton explique qu’on ne peut pas exclure derrière la fin du zéro Covid une volonté délibérée de plomber l’Occident. Un tel cynisme est-il envisageable de la part de Pékin ?

Emmanuel Lincot : Oui, tout est possible sauf que Thierry Wolton n’est pas autant que je sache dans la confidentialité d’un Xi Jinping. Existe-t-il un plan de ce type dûment établi pour abattre l’Occident ? On peut affirmer une chose ou son contraire mais sans preuve, c’est un pari risqué. En revanche, la bonne question qu’il convient de poser est la suivante : de quoi Wolton est-il le nom ? La haine de la Chine se développe un peu partout en Occident comme s’est développé après les attentats du 11 septembre une haine contre le monde musulman. Gare…Plutôt que de hurler avec les loups, il faudrait aussi nous interroger sur ce qui a conduit le gouvernement français au début des années 2000 à livrer le laboratoire P 4 à Wuhan; lequel porte peut-être une responsabilité dans la pandémie. Jamais il n’y a eu de débat à l’assemblée nationale non plus que d’enquête menée par des journalistes à ce sujet. Je crois donc qu’il faut d’abord identifier les bonnes cibles avant de se livrer à cette tradition si française de l’invective pour l’invective.

Est-il possible que, derrière les motifs officiels, la Chine ait d’autres raisons de laisser filer l’épidémie ?

Emmanuel Lincot : La raison la plus objective c’est de relancer l’économie car la conjugaison des pressions américaines, de la guerre en Ukraine, de la crise immobilière et de la montée du chômage peuvent s’avérer périlleux. Il est donc urgent que le gouvernement chinois remette la population au travail car toute la chaîne d’approvisionnement, au niveau mondial, se trouve bloquée. Le confinement a créé par ailleurs des tensions si fortes que pour la première fois depuis des décennies, des manifestants à Shanghai, jeunes pour la plupart, fin novembre 2022, ont appelé à la démission de Xi Jinping. La levée du confinement montre que ce dernier a parfaitement compris que des mesures aussi radicales ne pouvaient pas aller plus loin. Il faut dire que cette génération était nourrie au pain et au cirque. Lui supprimer le droit de consommer, le droit de voyager revenait à se la mettre à dos. Ces derniers sont donc des soutiens utiles au régime et on ne saurait se les aliéner. En revanche, les seniors dont une majorité ne s’est pas vaccinée soit par défiance vis à vis des autorités soit parce qu’estimant avec raison que les vaccins chinois sont inefficaces, vont être cyniquement sacrifiés. Ils coûtent chers à la société qui reste archaïque à bien des égards: pas de système de sécurité sociale, un régime de retraites quasi inexistant. Les premiers par conséquent à subir les errements du gouvernement en matière de politique sanitaire sont les Chinois tout d’abord, et parmi eux les plus âgés, et dans les faits, beaucoup moins les Occidentaux.

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La levée brutale de la politique sanitaire chinoise met-elle le monde en danger ?

Antoine Flahault : Comme je l’évoquais plus haut, si le narratif communément entendu est de voir la situation actuelle comme la conséquence d’une levée brutale de la stratégie zéro Covid, la réalité semble toute autre. La politique sanitaire a d’abord vacillé à la fin de l’été puis a carrément volé en éclat à l’automne. Il n’était seulement plus possible de l’appliquer, plus envisageable de confiner tout le pays, tester quotidiennement toute la population, garder en quarantaine des centaines de milliers de personnes. Le processus épidémique était largement entamé lorsque les autorités ont annoncé avoir levé leurs mesures.

La Chine le fait-elle sciemment ?

Antoine Flahault : Penser que la Chine aurait prémédité cette crise sanitaire serait porter plus de pouvoirs aux autorités qu’elles en ont. Les mesures de la politique zéro Covid n’ont pas été levées par le gouvernement de Pékin mais bien par le coronavirus. Ce qui est le plus surprenant c’est plutôt l’absence totale d’anticipation du phénomène qui se produit aujourd’hui. Les autorités chinoises n’ont visiblement jamais envisagé que leur politique zéro Covid pourrait d’elle-même s’effondrer, tel un château de cartes. Ils semblaient penser que leur politique allait perdurer aussi longtemps qu’elles le décideraient. Eh bien non, un sous-variant un peu plus transmissible que les précédents a eu raison, en très peu de temps, de près de trois années d’efforts incommensurables. Tout occupés qu’ils étaient par leur stratégie dévorante d’énergie et de ressources, le gouvernement chinois n’a même pas profité de la relative et précaire accalmie dont ils ont pu bénéficier en 2022 pour chercher à améliorer la couverture vaccinale des personnes âgées. Ils étaient concentrés sur leur seule priorité du moment qui consistait à consolider les digues du zéro Covid. Ces digues tendaient à fuir de partout, mais leur maintien zélé, envers et contre tout, était ordonné et conçu par le guide suprême de la nation, le Président Xi Jinping en personne. Un jour viendra peut-être où son peuple le sommera ainsi que ses relais, de rendre des comptes, car cette politique n’a pas été visionnaire depuis un an et risque de s’avérer désastreuse en termes de vies humaines et de souffrances, sans parler des conséquences socio-économiques.

Ce cynisme chinois pourrait-il nous plomber en 2023 ?

Emmanuel Lincot : L’intérêt des Chinois est au développement des relations économiques. L’intérêt de tous est dans la vaccination du plus grand nombre car même avec les mesures de vigilance qui ont été prises par les pays de l’Union Européenne et l’imposition de tests PCR, nous ne pourrons pas indéfiniment laisser les frontières fermées. 

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