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Le crâne original entier de « Mrs. Ples », un spécimen d'Australopithecus africanus de 2,1 millions d'années découvert en Afrique du Sud.
Le crâne original entier de « Mrs. Ples », un spécimen d'Australopithecus africanus de 2,1 millions d'années découvert en Afrique du Sud.
©Wikimedia Commons / DR

Découverte

La découverte dans une caverne en Afrique des ossements d'une femme, dont on vient de réaliser qu'ils étaient bien plus anciens que les scientifiques ne le pensaient à l'origine, remet en question notre connaissance de l'évolution humaine.

Laurent Bruxelles

Laurent Bruxelles

Laurent Bruxelles est Géomorphologue à l’Inrap, au CNRS, à l’Institut français d'Afrique du Sud (IFAS) et Directeur de la mission française Human Origins in Namibia (MEAE).

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Atlantico : Dans votre étude, vous vous êtes intéressés à des restes humains fossilisés provenant de grottes sud-africaines. Qu'avez-vous découvert exactement

Laurent Bruxelles : Premièrement, il est important de préciser en quoi consiste ma profession. Je suis géomorphologue, spécialiste des grottes. Je m’intéresse donc à leur évolution et à leur histoire. Je travaille quasi-exclusivement avec des archéologues, ce qui fait de moi une sorte d’animal hybride que l’on pourrait appeler un géo-archéologue. Les grottes constituent un environnement particulier, un « piège géologique » et permettent de conserver admirablement les fossiles. Elles regorgent donc d’informations très importantes à nos yeux.  

Tout a commencé en 2006, lorsqu’un paléoanthropologue sud-africain du nom de Ronald Clarke me contacte. Il me parle d’une de ses découvertes, un fossile d’australopithèque appelé Little Foot, le plus complet jamais découvert. Selon les premières datations effectuées, l’âge de ce fossile est estimé à environ 2,2 millions d’années. Pourtant, Little Foot a des traits très archaïques, ce qui est assez étonnant pour cette période.  

Lorsque nous sommes arrivés sur le site, au fond d’une grotte, je remarque que les sédiments qui sont conservés à l’intérieur sont constitués de nombreuses pierres, mais aussi de la terre et des gravats étaient tombés sur le sol depuis un gouffre, un peu à la manière d’un sablier. Comme on ne peut pas dater directement les ossements, les géochimistes ont analysé des couches de calcite (ce qui forme les stalactites et les stalagmites) qui était présentes entre les niveaux de cailloux, un peu à la manière d’un mille-feuille. Les résultats ont justement donné un âge de 2,2 millions d’années, ce qui semblait un peu jeune mais était admis par la communauté scientifique. Mais en examinant les nombreuses couches de calcite au-dessus et en dessous du fossile, je me suis aperçu qu’il y avait un problème. La calcite semblait s’être déposée dans des interstices de manière secondaire et intrusive. Cela signifie que les roches qui avaient servi à estimer l’âge de Little Foot avaient été formées longtemps après sa mort. En conclusion, Little Foot était forcément plus vieux que son environnement, il n’avait pas 2,2 millions d’années.  

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Une équipe américaine a alors échantillonné toute l’épaisseur de la couche de dépôt pour tenter de savoir quand les cailloux étaient tombés en même temps que les os. Le résultat de 3,7 millions d’années est tombé, soit 1,5 millions d’années de plus qu’estimé initialement, ce qui semblait tout à fait cohérent avec les traits de Little Foot. Dans ce nouvel article, nous avons appliqué la même méthode pour des ossements située un peu plus haut dans la grotte et donc un peu plus anciens. Ils ont donné un âge de 3,4 millions d'années soit environ un million d'années de plus que les dates initialement proposées. Cela montre que les fossiles sud-africains sont aussi anciens que les fossiles d'Afrique de l'Est. Mrs Ples (Australopithecus africanus) est même plus ancienne que Lucy (Australopithecus afarensis) !  

A quel point votre découverte est-elle importante ? Remet-elle en question notre connaissance de l’évolution humaine ? 

Les premiers fossiles d’australopithèques ont été trouvés en Afrique du Sud. Cependant, les datations de ces fossiles, préservés dans d’anciennes grottes, sont compliquées et ont souvent donné des âges assez « jeunes ». Peu après, d’autres fossiles d'hominidés ont été découverts en Afrique de l’Est, dans un contexte tout à fait différent : les sédiments d’anciennes rivières ou d’anciens lacs. Plus faciles à dater, notamment du fait de la présence de plusieurs niveaux de cendres volcaniques, ils ont donc « pris le dessus » en termes d’ancienneté. Comme ces derniers semblaient plus anciens que les fossiles trouvés en Afrique australe, on a longtemps pensé que le berceau de l’humanité se situait en Afrique de l’Est.  

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Grâce à cette nouvelle datation, nous montrons que les fossiles d’Afrique du Sud et de l’Est datent à peu près de la même période. Nous savons désormais que ces deux types d’australopithèques, bien que séparés de 4000 km, se ressemblent, même s’ils ont bien-sûr des caractères morphologiques un peu différents du fait de leur éloignement. Cela amène deux possibilités : soit il y a eu deux évolutions parallèles, soit nous avons à faire à un seul berceau de l’humanité qui concerne la quasi-totalité de l’Afrique. En effet, on raisonne ici en centaines de milliers voire en millions d’années et on peut imaginer que les hominines, comme le reste de la faune, ont eu tout le temps nécessaire pour occuper l’ensemble de ce territoire et pour y circuler. Il faut donc élargir la notion de « berceau de l’humanité » à l’échelle de du continent africain. 

Quelles sont les possibilités de nouvelles découvertes rendues possibles grâce à votre étude ? 

Selon moi, cette découverte remet un peu de cohérence dans notre compréhension de l’évolution de la lignée humaine. Il n’est plus question de savoir si le berceau de l’humanité est en Afrique de l’Est ou en Afrique du Sud. C’est l’Afrique dans sa totalité. Cela rend plus cohérent la succession des fossiles à l’échelle du continent et met désormais en parallèle ces témoins de la lignée humaine, tous deux préservés dans des pièges géologiques : le grand rift est-africain et les grottes d’Afrique du Sud. Si on ne trouve ces fossiles que dans des pièges géologiques, on peut imaginer qu’il y en avait partout ailleurs, dans des zones moins favorables à leur préservation. 

Nous savons désormais où chercher ces pièges géologiques et comment les identifier. Des recherches ont donc été lancées dans l’ensemble de l’Afrique australe. Les perspectives de recherche sont donc fantastiques car il suffit de trouver un seul fragment d’hominine en dehors de ces deux zones et nous prouverons que ces deux régions ne sont que des fragments du berceau de l’Humanité. Tout un champ de recherche s’ouvrira alors, à l’échelle du continent tout entier ! Les recherches que nous menons actuellement au Botswana notamment apparaissent comme très prometteuses et pourraient apporter les premiers éléments de réponse…

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