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Le président français, le général Charles de Gaulle, s'adresse à la nation lors d'un discours télévisé à la veille du nouvel an 1963, le 31 décembre 1962.
Le président français, le général Charles de Gaulle, s'adresse à la nation lors d'un discours télévisé à la veille du nouvel an 1963, le 31 décembre 1962.
©AFP

SOS LR en perdition

La droite actuelle apparaît sans véritable chef et prise en étaux entre la République en Marche et le Rassemblement National. La figure du général De Gaulle peut-elle servir de boussole ?

Bernard Lachaise

Bernard Lachaise

Bernard Lachaise est professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Bordeaux-Montaigne. Ses travaux portent sur l'histoire politique de la France contemporaine, en particulier sur l'histoire du gaullisme. Il est membre du conseil scientifique de la fondation Charles De Gaulle. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont : Le gaullisme dans le Sud-Ouest au temps du RPF (Fédération historique du Sud-Ouest, 1997) ; Manon Cormier. Une Bordelaise en résistances 1896-1945 (Confluences, 2016).

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Jérôme Pozzi

Jérôme Pozzi

Agrégé d'histoire, maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Lorraine, Jérôme Pozzi est spécialiste de l'histoire politique de la France contemporaine et notamment du gaullisme. Ses recherches portent sur les oppositions à la construction européenne, l'histoire de la communication politique (communicants et spin doctors), l'histoire de la région Grand-Est, le personnel parlementaire sous les IVe et Ve Républiques, les filières d'accès à la vie politique, les élections.

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Atlantico : La figure du général De Gaulle peut-elle servir de boussole à la droite ? 

Bernard Lachaise : La figure du général de Gaulle a beaucoup été invoquée depuis sa disparition et souvent lors des dernières élections présidentielles, par la droite, le centre et de plus en plus par l’extrême droite (voir B.Lachaise, «  De Gaulle dans les élections présidentielles du XXIe siècle : « un homme à aimer » ?, dans Cahier d’Histoire immédiate. N°50, automne 2017. Spécial : La Ve république en perspectives », p.29-39. Il est très probable que cela soit encore le cas pour la présidentielle de 2022. Une question se pose d’emblée : la droite a-t-elle le monopole du général de Gaulle ? Sans risque de se tromper, il est certain que de Gaulle n’aurait pas accepté l’idée de servir de boussole à la droite. N’a-t-il pas toujours refusé de se qualifier d’homme de droite - à la différence de beaucoup de celles et ceux qui se revendiquent de lui - et faut-il rappeler sa réponse à Michel Droit lors d’un entretien radiotélévisé entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1965 : « La France, c’est tout à la fois, c’est tous les Français. Ce n’est pas la gauche, la France ! Ce n’est pas la droite, la France ! Naturellement, les Français, comme de tout temps, ressentent en eux des courants. Il y a l’éternel courant du mouvement qui va aux réformes, qui va aux changements, qui est naturellement nécessaire, et puis, il y a aussi un courant de l’ordre, de la règle, de la tradition, qui lui aussi est nécessaire. C’est avec tout cela qu’on fait la France ».

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Malgré des objectifs clairs énoncés dès l’époque de la Résistance puis au temps du RPF (Rassemblement du peuple français 1947-1955), le général de Gaulle n’a pas posé les fondements d’une idéologie, d’un credo immuable. Les principes majeurs et constants ont été : une politique d’indépendance et de grandeur pour la France à l’international, des institutions solides avec un exécutif fort, un projet social d’association, troisième voie entre libéralisme et collectivisme.  Mais en pratique, de Gaulle a constamment fait preuve de pragmatisme et su adapter ses convictions pour la France aux circonstances, dans un contexte qui change profondément entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 1960, à l’intérieur et dans le monde.

En quoi la droite peut-elle s'inspirer du général De Gaulle au niveau du programme politique ? En quoi le gaullisme dispose-t-il encore d'une actualité économique ?

Bernard Lachaise : En matière politique, le maître mot du gaullisme - terme rarement utilisé par de Gaulle - est le rassemblement. Dès les débuts du RPF (1947), le mouvement - qui se défend d’être un parti - accepte la double appartenance, s’ouvrant ainsi à des hommes et des femmes membres de partis comme le parti radical ou le MRP par exemple. Il accueille en son sein des adhérents (« compagnons ») venus du centre, de la gauche (socialiste voire communiste) et des droites d’avant-guerre (comme le Parti social français du colonel de La Rocque) ou de la IVe République comme le Parti républicain de la liberté (PRL). Tout au long des années de Gaulle, le parti qui se revendique de lui attire des Françaises et Français venus d’horizons variés : si la majorité vient des droites, il existe une minorité dite « gaulliste de gauche » non négligeable au début de la Ve République par exemple avec l’UDT (Union démocratique du travail). Et de Gaulle attire en 1965 lors de la première élection du président de la République au suffrage universel direct sous la Ve République des voix de gauche et en 1966 recueille le soutien d’hommes de gauche approuvant sa politique étrangère (voir B.Lachaise « A la gauche du gaullisme » à paraître aux PUF début 2022).

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En matière économique, l’objectif d’un Etat fort est dominant. L’Etat gaullien se caractérise par son volontarisme et son souci modernisateur. Son actualité en 2021 reste dans la forte intervention de l’Etat dans l’économie et non le néo-libéralisme que les épigones de Charles de Gaulle ont placé au cœur de leur projet et de leur politique à partir des années 1980, malgré des freins internes comme Philippe Séguin. 

Jérôme Pozzi : Le programme politique – en fait il faudrait plutôt parler de pensée politique – du général de Gaulle, président de la République (1958-1969), s’articulait autour de 3 axes : un socle institutionnel fort avec la mise en place de la Ve République, une politique économique et sociale centrée sur la modernisation de la France, enfin une politique étrangère fondée sur la défense de l’indépendance nationale. Ces 3 axes étaient indissociables les uns des autres et formaient un ensemble cohérent. Les institutions stables étaient le cadre indispensable pour moderniser l’économie française et améliorer le niveau de vie de la société. Une économie forte devait permettre à la France de rivaliser avec les autres puissances sur la scène internationale.

Si de nombreux hommes politiques se référent aujourd’hui au général de Gaulle, une partie de la droite parlementaire a, du point de vue historique et culturel, des liens privilégiés avec le gaullisme. Ce fut le cas de tous les mouvements gaullistes, puis néogaullistes, qui se sont succédé. Du RPF en 1947 au RPR de Jacques Chirac en 1976, en passant par l’UNR en 1958. Avec la création de l’UMP en 2002 et des Républicains en 2015, le fil d’Ariane du gaullisme a été rompu. Du point de vue idéologique, l’UMP et LR ne se référent plus au gaullisme, dans la mesure où ils rassemblent des hommes et des femmes venus de différentes composantes de la droite, notamment un courant libéral et européiste, issu entre autres de l’ancienne UDF de Valéry Giscard d’Estaing. La création de l’UMP a en quelque sorte dissout dans un conglomérat plus large, celui d’un parti unique de la droite et du centre, l’ADN du gaullisme. Par ailleurs, le gaullisme parle-t-il vraiment aux jeunes générations à la différence de celle à laquelle appartenaient leurs grands-parents ? Rien n’est moins sûr.

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Par conséquent, il est difficile pour la droite actuelle de s’inspirer de la politique du général de Gaulle, également parce que le contexte a changé. S’inspirer du général de Gaulle signifierait faire passer les intérêts de la France avant les intérêts européens, ce qui n’est pas toujours possible dans le cadre des différents traités qui ont été signés et ce qui n’est pas souhaité par les dirigeants des Républicains. Sur la scène internationale, il faudrait sans doute faire entendre la voix de la France, qui était plus indépendante de ses alliés à l’époque où le général de Gaulle était à l’Elysée, mais dans un contexte différent, en l’occurrence celui de la Guerre froide. Toutefois, dans le cadre des tensions géopolitiques et économiques entre la Chine et les Etats-Unis, la France aurait peut-être un rôle à jouer.

Sur le plan économique, s’inspirer du gaullisme reviendrait à renouer avec un électorat populaire de droite, qui a en grande partie rejoint le Rassemblement national de Marine Le Pen, en développant l’idée de participation des salariés aux fruits de l’entreprise qui était au cœur de l’idée gaullienne des relations dans le monde du travail, et qui n’a pu être entièrement réalisée à cette époque. Une politique économique gaulliste consisterait également à relocaliser un certain nombre d’entreprises qui sont passées dans des pays étrangers pour des raisons liées au coût de la main d’œuvre.

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Bernard Lachaise : Encore faut-il s’entendre sur « la politique du général de Gaulle en ce qui concerne le projet européen ! Celle des années 1950 face aux fondements de l’Europe actuelle (CECA-CEE) quand de Gaulle est dans l’opposition à la IVe République ou celle pratiquée dans les années 1960 au temps de la présidence ? Les positions ont évolué tout en gardant, il est vrai, une idée majeure : le refus de la supranationalité ou du moins d’une trop perte d’indépendance de la France en Europe, comme le montre la crise de la chaise vide en 1965 aboutissant au compromis de Luxembourg en 1966. De Gaulle a toujours veillé à une France forte en Europe mais sans s’enfermer dans un « souverainisme » étroit défendu aujourd’hui et depuis une vingtaine d’années par certains de ceux qui se revendiquent de lui. Une fois encore, le pragmatisme l’a emporté de son temps et devrait l’emporter aujourd’hui.

Jérôme Pozzi : Le général de Gaulle était attaché à l’idée européenne, mais à condition que la France y trouve son compte en préservant sa souveraineté et ses intérêts économiques. La droite pourrait renouer avec une certaine idée de l’Europe en défendant la souveraineté française, ce qui reviendrait à un retour aux sources, en d’autres termes le RPR de la fin des années 1970, à l’époque de l’appel de Cochin (décembre 1978) et des élections européennes de juin 1979. Pour ces premières élections européennes, Jacques Chirac défendait la souveraineté et critiquait l’Europe, alors que Simone Veil conduisait une liste de droite très europhile, soutenue par le chef de l’Etat Valéry Giscard d’Estaing. Toutefois, un tel discours passerait pour anti-européen, ce qui n’est pas forcément très porteur.

Tactiquement, cette opération consistant à revenir aux fondamentaux gaulliens est délicate, essentiellement pour deux raisons. D’une part, l’électorat de la droite est encore composé d’une bonne partie d’européistes qui ne sont pas tous passés à LREM. Donc, si tel était le cas, cela signifierait de nouveaux départs de la droite (notamment LR) vers le macronisme, alors que la perspective de l’élection présidentielle de 2022 pousse au rassemblement des différentes sensibilités de droite derrière un candidat. D’autre part, cette thématique souverainiste a été préemptée par le FN puis le RN depuis de nombreuses années. En politique, la nature a horreur du vide. Ainsi, l’électorat de droite qui avait cette sensibilité eurosceptique a déjà quitté LR et ne reviendra plus au bercail. Nicolas Sarkozy avait réussi à retrouver cet électorat de droite en 2007, mais cela n’a fonctionné qu’une fois. En 2012, il connaît l’échec.

Les électeurs de droite sont ainsi écartelés entre LREM et le RN. Même en agitant l’étendard du gaullisme et les portraits du général de Gaulle, il paraît difficile de trouver une solution qui permettrait de faire consensus au sein des sympathisants de la droite et notamment des Républicains, tout en partant à la reconquête de son électorat.

Sur la question de la crise de la représentativité, la droite peut-elle s'inspirer de la vision gaullienne des institutions pour renouveler les rapports entre les partis, l'Etat et le peuple ?

Bernard Lachaise : Des décisions comme l’adoption du quinquennat, l’inversion du calendrier qui a suivi, l’absence de dissolution - qui en est une des conséquences - et l’abandon du référendum ont eu de profondes conséquences, négatives, sur le fonctionnement de la Ve République voulue par la constitution de 1958 revue en 1962. L’affaiblissement du Parlement déséquilibre le fonctionnement des pouvoirs. Les pratiques du président de Gaulle - dissolutions, référendum et démission en cas de référendum négatif - pourraient redonner de la vie aux institutions et contribuer à réduire la crise de la représentativité. Une révision du mode de scrutin pour les élections législatives avec l’abandon du scrutin uninominal à deux tours ne serait pas trahir le gaullisme : si de Gaulle préfère en 1958 le scrutin uninominal, Michel Debré et les gaullistes étaient favorables au scrutin de liste majoritaire d’arrondissement.

Au niveau stratégique, la droite doit-elle et peut-elle retrouver l'ambition de se connecter sociologiquement aux classes populaires ? Quel modèle le gaullisme peut-il fournir pour réaliser cette ambition ?

Bernard Lachaise : L’ambition d’une connexion avec toute la société et en particulier les classes populaires - une idée forte au temps du RPF avec l’Association capital-travail et plus tard avec la Participation - n’a jamais été totalement réalisée, malgré la part d’ouvriers dans le vote gaulliste au temps du général de Gaulle. Depuis longtemps, très longtemps, même à l’époque du RPF, le projet social du général de Gaulle n’a pas été suffisamment pris en considération et développé. Les déçus sont nombreux au milieu des années 1950. C’est ce que Patrick Guiol a appelé « l’impasse sociale du gaullisme ». Mais cette dimension, cet objectif social ambitieux a été de plus en plus oublié par les successeurs jusqu’à nos jours. Beaucoup à droite se disent « gaulliste social » mais derrière les mots, manquent un contenu précis, un projet qui puisse sensibiliser les classes populaires désireuses, par exemple, de services publics, d’un meilleur partage des richesses, de plus de justice sociale. C’est sûrement, en affirmant des positions claires, fortes sur ces questions que la droite pourrait retrouver « le peuple ». 

Jérôme Pozzi : Les classes populaires ont besoin d’être rassurées pour retrouver le chemin des urnes et a fortiori voter pour des candidats de droite, notamment sur des questions essentielles à leurs yeux, comme la sécurité et l’emploi. Sans un socle idéologique fort et une réelle volonté politique, à des années lumières des éléments de langage de la communication politique traditionnelle, le défi paraît difficile à relever.

LR comme le PS souhaitent renouveler avec un électorat populaire qui leur échappe depuis plusieurs années, mais ce phénomène n’est pas spécifique à la France. Force est de constater que la vague populiste qui traverse la vie politique d’un certain nombre de démocraties occidentales est favorable aux partis situés à la périphérie du système, plutôt qu’à ceux qui constituent historiquement son centre de gravité, inclinant au gré des alternances, à droite ou à gauche.

Le gaullisme peut servir de modèle dans la mesure où il est fondé sur le rassemblement de Françaises et de Français issus d’horizons divers qui se réunissent autour d’une personnalité charismatique, l’homme du 18 juin, et d’un projet, celui du redressement national. L’enjeu est donc de taille à un an de l’élection présidentielle : trouver une personnalité de droite charismatique, dans la mesure où le gaullisme a toujours été incarné (de Gaulle, Pompidou, Chirac) et établir un programme en mesure de fédérer les énergies en jetant les grandes lignes de ce que devrait être la France dans les prochaines années.

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