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Et si la clé de la stratégie de Vladimir Poutine se trouvait dans la psychologie du troll
©Reuters

European Trolling

Provocation, mise en scène, envie de créer des polémiques ou capacité à tenir tête et faire tourner en bourrique le monde entier... Vladimir Poutine à tout (ou presque) de la psychologie d'un troll. Les occidentaux feraient certainement bien de partir de ce postulat pour agir en conséquent. Pour autant, s’il ne faut pas nourrir le troll, selon l’adage, il ne faut pas non plus négliger toute proposition venant de la diplomatie russe.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Lors de sa dernière conférence de presse du 17 décembre 2015, Vladimir Poutine, s’est encore illustré dans son côté provocateur, en déclarant notamment "Sepp Blatter mérite le Prix Nobel de la paix"; "Je ne sais pas si quelqu'un au sein du gouvernement turc a décidé de lécher les Américains quelque part... et je ne sais pas si les Américains ont vraiment besoin d'aide" ou "Derrière les milices de volontaires en Crimée, il y avait bien sûr nos soldats".

Atlantico :  Entre sa provocation, son envie de créer des polémiques, ses mises en scène à travers des photos où il fait du sport ou chasse un lion,  sa capacité à tenir tête face au monde entier et sa volonté d'avoir toujours le dernier mot ... Ne pourrait-on pas retrouver dans le comportement de Vladimir Poutine, des traits de caractère d'un troll ? Qu'est-ce que cela peut nous renseigner sur sa psychologie ?

Florent Parmentier : Il est certain que Vladimir Poutine s’est toujours caractérisé par son langage fleuri, dès sa prise de poste ; sa conférence de presse présidentielle annuelle ne déroge pas à cette règle, les quelques exemples que vous venez de citer en témoignent encore. 

L’idée de « troll » est très présente aujourd’hui, et renvoie à l’imaginaire des réseaux sociaux : les trolls sont ces personnes qui alimentent des polémiques pour leur propre amusement. On ne prête donc guère de traits sympathiques aux trolls : sur une étude sur le sujet, les universitaires Erin E. Buckels, Paul D. Trapnell et Delroy L. Paulhus associent les trolls au sadisme, à la psychopathie et au machiavélisme. Ils ne souhaitent pas nécessairement être blessants, mais souhaitent plutôt passer un bon moment. 

S’il est toujours délicat de prétendre expliquer le for intérieur d’autrui, on peut avancer que, compte-tenu de sa biographie et de sa génération, la psychologie de Vladimir Poutine est surtout marquée par la hantise du déclassement, liée à une génération qui vit dans le veuvage de la disparition de l’URSS. C’est l’alliance de cette peur du déclassement et de l’affirmation de soi qui structure les personnes de sa génération aujourd’hui aux responsabilités. En outre, très critiques des illusions perdues des premiers mois de la décennie 1990, ceux-ci sont marqués par un cynisme particulièrement marqué. 

Dans ce contexte, l’idée de troll permet d’ajouter à la peur du déclassement, qui est structurante, une dimension plus personnelle, liée à la volonté de répondre à cette situation, de montrer qu’on ne lâche rien. C’est sur cette volonté que l’on peut envisager la comparaison avec un troll.

>>> A lire aussi : Dans “l’horrible” tête des trolls : la vérité sur la psychologie des pollueurs du web <<<

Psychanalystes et psychologues s'accordent pour dire que pour qu'un troll se calme, il faut l'ignorer et ne pas lui donner d'importance. Or, l'Occident cherche sans cesse à répondre à Vladimir Poutine par des arguments rationnels, qui n'ont aucun effet. Ne devrait-on pas plutôt considérer que Vladimir Poutine est un troll, et ainsi le gérer en conséquent ? Comment faut-il lui répondre ?

Le troll cherche effectivement à attirer l’attention, à montrer sa capacité de nuisance. Sur certains points, la diplomatie russe incarnée par son Président, donne l’impression de jouer sur cette corde. Cependant, tous les trolls ne disposent pas d’un armement nucléaire conséquent… On peut ignorer un acteur de second rang, on ne peut juste ignorer la Russie comme cela avait été le cas dans les années 1990 sur un sujet comme l’ex-Yougoslavie. C’est aujourd’hui à la fois beaucoup plus coûteux et moins possible qu’auparavant. Au contraire, on peut tout aussi bien avancer que la seule réponse à la peur du déclassement constitue le dialogue et la reconnaissance internationale. Il n’est pas sûr que cela suffise, mais ignorer les propositions russes fait courir le risque d’un accroissement des tensions. 

Sur le plan de la politique intérieure, la dynamique du troll traduit surtout une volonté présente au sein de la population de sortir du politiquement correct, de dépasser des élites politiques déconsidérées : la dynamique était similaire pour Berlusconi en son temps, et sera peut-être similaire avec Donald Trump, véritable trublion de la primaire républicaine. Les artifices de la politique intérieure s’accordent toutefois parfois mal à l’exercice de responsabilité internationale. 

Est-ce que si nous adaptons notre comportement, Vladimir Poutine arrêtera-t-il de troller en tant que personnage politique ou est-ce que le troll fait partie de sa personne ?

On peut penser que le trollage fait partie intégrante du personnage de Vladimir Poutine, qui incarne une certaine idée de l’autorité, et qui fait la démonstration de sa bonne santé physique. Sa manière de parler fait entièrement partie du personnage, de même que sa manière de mobiliser l’électorat. 

Dans une certaine mesure, on peut également se demander si nous ne tombons pas dans un biais de confirmation concernant l’attribution à Vladimir Poutine du comportement d’un troll, grossissant certains traits de sa personnalité – notamment son parler cru et son goût de la provocation. Les médias ont de ce point de vue un rôle essentiel, et il n’est guère étonnant que la Russie investisse pour redresser son image, et ce depuis plusieurs années.

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