Et si l’affaire Delon nous incitait à ouvrir enfin les yeux sur les défis du vieillissement et de la dépendance<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon les études du ministère de la Santé, il y aura plus de 2,2 millions de personnes dépendantes en 2050, contre 1,4 million aujourd’hui.
Selon les études du ministère de la Santé, il y aura plus de 2,2 millions de personnes dépendantes en 2050, contre 1,4 million aujourd’hui.
©Charly TRIBALLEAU / AFP

Moyens humains

Avec le vieillissement démographique, les personnes en situation de dépendance devraient presque doubler d'ici à 2050, ce qui pose bon nombre de défis.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Serge Guérin

Serge Guérin

Serge Guérin est professeur au Groupe INSEEC, où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé. Il est l’auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont La nouvelle société des seniors (Michalon 2011), La solidarité ça existe... et en plus ça rapporte ! (Michalon, 2013) et Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors (Michalon, 2015). Il vient de publier La guerre des générations aura-t-elle lieu? (Calmann-Levy, 2017).

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Atlantico : Pourquoi est-il nécessaire de se préparer au défi de la « dépendance » ?

Philippe Crevel : Comme d’autres pays occidentaux, il y a évidemment le vieillissement démographique et ce processus va s’amplifier. Selon les études du ministère de la Santé, il y aura plus de 2,2 millions de personnes dépendantes en 2050, contre 1,4 million aujourd’hui. Sur ces chiffres, il y a des appréciations variées en fonction des critères retenus, et cela prend en compte l'espérance de vie et la situation sanitaire du pays.

Serge Guérin : À partir de 2026, nous allons connaître pendant une trentaine d’années, une croissance jamais vue du nombre des plus de 80 ans, avec l’arrivée à ses âges des générations issus du baby-boom. En clair, nous passerons d'un peu plus de 2 millions de personnes âgées de plus 80 ans à 5 millions d’ici à 2050. Une partie des plus de 80 ans risque d’être en forte perte d’autonomie. Il est donc vitale de préparer l’accompagnement financier et humain de ces personnes.

Quel coût financier constitue la prise en charge des personnes dépendantes et la formation de structures d’accueil adéquates ?

Philippe Crevel : La dépendance, sur le budget de la Sécurité sociale, coûte une trentaine de milliards d'euros et d'ici 2050, cela pourrait jusqu'à doubler en fonction des scénarios. Le rapport Libault, qui avait été rendu en 2019, indiquait qu'il fallait dégager 9 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2030 pour la dépendance, donc, et d'autre part, la dépendance.

Mais il y a aujourd’hui beaucoup de coûts cachés, parce que la prise en charge des personnes dépendantes est assurée en grande partie par les aidants familiaux, par les conjoints, par les enfants, les petits enfants qui ne sont évidemment pas rémunérés. Si on prenait en compte leurs heures de travail, ce serait plusieurs dizaines de milliards d'euros qu'il faudrait rajouter. Or, rien ne permet d'affirmer qu'il y aura autant d'aidants familiaux dans les prochaines années qu'aujourd'hui, pour plusieurs raisons : premièrement, la déstructuration des familles, avec de plus en plus de familles monoparentales, de plus en plus de divorces et de plus en plus de personnes vivant seules. Et l’Insee a indiqué hier que le nombre de personnes vivant seules augmentera fortement en France. En 2050, il y aurait 2 millions de personnes âgées de 85 ans ou plus qui vivraient seules, qui seraient fortement exposées à ce risque de dépendance et en plus avec des problèmes de gestion.

Sur la dépendance, c'est à la fois un problème de santé, un problème social, un problème d'infrastructures. Nous avons pu constater ces dernières années les problèmes des EHPAD et le problème d'encadrement des personnes âgées en EHPAD. C'est également le problème de l'aide à domicile. Or, la France a fait le choix, avec le consentement de la population, du maintien à domicile. Or, le maintien à domicile est extrêmement budgétivore parce qu'il faut des aides-soignants, des infirmières, des médecins qui se déplacent. Or, tout le monde sait aujourd'hui la difficulté pour avoir un médecin traitant et un médecin qui se déplace, c'est une valeur encore plus rare.

Il faut également adapter le domicile à une personne dépendante. Ça signifie avoir un ascenseur, des pièces adaptées pour un fauteuil roulant, etc. Ce sont des coûts qui aujourd'hui sont difficilement évalués. Et d'autant plus que la grande loi sur la dépendance qui est attendue depuis une bonne quinzaine d'années se fait toujours attendre pour prévoir les moyens de financement d'ici 2050 sur cette question extrêmement importante.

Serge Guérin : Le coût financier dépendra en grande partie de notre capacité à mener une vraie politique de prévention, tant sur le plan personnel (favoriser l’activité physique, améliorer les comportements alimentaires…), que sur le plan collectif, en développant l’adaptation des villes et des villages ou encore des logements (Ma prim adapt’ est une première étape nécessaire, mais très insuffisante), y compris dans le monde du logement social, en essayant d’être plus prédictif sur les personnes qui risque d’être en perte d’autonomie, avec une politique d’attractivité concrète des métiers de l’accompagnement des plus âgés. 

Par ailleurs, pour financer cela, mais aussi la modernisation des maisons de retraite médicalisée, il faudrait à la fois renforcer le financement de la cinquième branche de sécurité sociale et certainement ouvrir et favoriser les solutions d’épargne privée.

Comment empêcher les abus en matière de tutelle et de curatelle dans l’encadrement nécessaire pour les personnes âgées ?

Philippe Crevel : Ce sont des procédures qui sont extrêmement encadrées par la loi, avec des contrôles qui sont faits par l'administration en lien avec le système de santé. Cela peut être demandé par le conjoint, par un parent ou par le procureur de la République qui est saisi. Comme il y a un rôle central qui est la famille, les parents, et quand les parents sont divisés, comme ça peut être le cas dans l'affaire Delon, mais comme c'est malheureusement souvent le cas en raison des enjeux financiers ou des problèmes affectifs, il peut y avoir la mise sous tutelle.

Il faudrait trouver un système de protection plus efficace des personnes dépendantes en tant que tel et de permettre à un certain nombre de personnes d'avoir alerté facilement les autorités en cas de suspicion de manipulation de la part de la famille ou de proches. Mais c'est un sujet extrêmement complexe parce qu’on est au cœur de la vie familiale, au cœur du réseau de proximité.

Serge Guérin : Les juges des affaires familiales ont peu de temps pour contrôler les gens nommés comme tutelles. Les organismes tutélaires ont des difficultés à suivre les personnes sous leur responsabilité.

Qu’a fait le gouvernement pour accélérer la prise en charge ?

Philippe Crevel : Il y a eu la création de la cinquième branche de la sécurité sociale en charge de la dépendance sous le précédent quinquennat, qui a pour objectif d'identifier plus clairement ce qui relève de la dépendance. Il y a eu des mesures prises en faveur des aidants familiaux pour reconnaître leur travail et pour leur permettre, le cas échéant, de suspendre l'activité professionnelle sans perdre l'ensemble de leur rémunération ou leur permettre de cotiser pour la retraite. Grâce à la dernière réforme des retraites, il y a la possibilité de valider les trimestres même quand on ne travaille pas du fait d'une contrainte liée à l'aide d'une personne dépendante. Il y a également eu également le droit au répit pour les aidants, la possibilité pendant une certaine période de prendre des congés, de se reposer. Et puis on a vu se développer les maisons de soins d'accueil pour les personnes dépendantes, donc de soins de jour, pour évidemment soulager les familles. Mais cela reste globalement insuffisant par rapport au nombre de personnes dépendantes et la montée en puissance du nombre de personnes dépendantes.

Que reste-t-il à faire ? Pour quel coût ?

Philippe Crevel : La France, comme beaucoup d'autres pays, a choisi le maintien à domicile et c'est évidemment ce que tout le monde souhaite pour pouvoir terminer sa vie dans les meilleures conditions possibles à domicile. Mais cela est extrêmement coûteux en aides. Il faut savoir que la pension moyenne en France est aux alentours de 2 000 € pour un homme et 1 300 € pour une femme. La dépense dépasse le budget des ménages et il faut une aide en tant que telle.

Pour trouver des sources de financement, le gouvernement espérait des économies sur le chômage, des économies sur la retraite afin de financer la dépendance. Mais aujourd'hui, on est plutôt dans un système de déficit, donc on transfère les pertes d'une caisse à une autre sans réellement trouver des solutions financières. La dépendance en pâtit parce que c'est un peu le dernier maillon de la chaîne. Mais on risque évidemment d'avoir un rappel violent prochainement.

On a également refusé de dire que les ménages devaient contribuer à la dépendance. Il faut évidemment prévoir la solidarité nationale, mais il faut aujourd'hui que les retraités les plus aisés contribuent à l'indépendance. Avec cette idée que quand on est une personne en activité, on finance sa retraite à travers les cotisations sociales. Les retraités devraient contribuer au financement de la dépendance. Ce serait une répartition des charges qui éviterait que celle-ci soit complètement et exclusivement sur les actifs, avec un bémol, c'est que les retraités les plus modestes ne soient pas touchés et que la solidarité nationale joue. On pourrait imaginer une CSG dépendance pour les retraités, sachant que les retraités ne paient pas le même taux de CSG que les actifs. L'autre possibilité, ce serait développer des produits d'assurance privés sur la dépendance avec possibilité d'aide fiscale pour financer des services à la personne, des services de santé pour les personnes dépendantes, à travers un plan d'épargne dépendance ou un système purement assurantiel parce que tout le monde ne va pas être dépendant. Si on avait une couverture assurantielle relativement large, par exemple les 17 millions de retraités actuels, il y aurait la possibilité, à un coût relativement réduit, de pouvoir assurer contre le risque dépendance l'ensemble de cette population retraitée.

Serge Guérin : Il est possible de résumer les enjeux en 5 points :

- Changer de regard sur l’avancée en âge et favoriser l'intergénération. Comprendre que l’âge n’est qu’un élément de l’identité de chaque personne, qu’un être humain ne se réduit pas plus à son âge, à sa couleur de peau, ou à ses origines.

- Développer une politique globale et à tous les âges de la prévention.

- Faire confiance à la décentralisation pour permettre d’agir au plus près de là où vivent et vieillissent les gens.

- Rechercher à mutualiser les actions et les acteurs, à faire le lien entre le vivre à domicile et les établissements d’accueil.

- Enfin, mener une politique très puissante en faveur des métiers au service du grand âge.

Une autre question qui devra se poser : dans quelles conditions économiques les personnes âgées vont-elles vivre dans les années à venir ? Auront-elles les moyens de financer les services à la personne, ont-elles des moyens de conserver du lien avec l’ensemble de la société ?

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