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The Guardian a publié cette semaine une tribune intitulée "Pourquoi les idées de Karl Marx sont plus pertinentes que jamais au 21e siècle".
The Guardian a publié cette semaine une tribune intitulée "Pourquoi les idées de Karl Marx sont plus pertinentes que jamais au 21e siècle".
©Reuters

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Une tribune publiée sur le site du quotidien d’information britannique "The Guardian" explique pourquoi les idées de Karl Marx sont devenues plus pertinentes que jamais au 21e siècle.

Philippe Corcuff et Alexandre Melnik

Philippe Corcuff et Alexandre Melnik

Philippe Corcuff est maître de conférences de science politique à l'IEP de Lyon depuis octobre 1992. Il participe aux mouvements sociaux, à l'altermondialisme et à la gauche radicale.

Alexandre Melnik est Professeur Associé de Géopolitique à ICN Business School. Il est Responsable de la Magistratura (Double-Diplôme en Management International ICN - MGIMO, Institut d'Etat des Relations Internationales de Moscou).

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Qiushi Online, un magazine proche du Parti communiste chinois, vient de publier un article intitulé "Le déclin du fondamentalisme de marché européen" expliquant que, si le gouvernement américain a longtemps utilisé le néo-libéralisme pour assoir son hégémonie sur le reste du monde, l’empire américain a perdu beaucoup de sa puissance depuis le début de la crise financière mondiale.

Pour le magazine, une chose est sure : l’ère du capitalisme touche à sa fin, car le monde est entré dans une « fièvre marxiste ». L’article note l’explosion du chômage mondial, et l’accroissement des inégalités, menant à des mouvements de protestations internationaux de protestation anticapitaliste tels qu’Occupy Wall Street.

Au contraire, l’Occident accorderait "de plus en plus d’attention aux écrits et aux théories de Marx, après une première réception politique plutôt froide. Aujourd’hui la fièvre marxiste ne peut plus être ignorée en Occident. Le marxisme est devenu un des personnages principaux de la vie politique occidentale", assure l’article.

Atlantico : The Guardian a publié cette semaine une tribune intitulée "Pourquoi les idées de Karl Marx sont plus pertinentes que jamais au 21e siècle". Face à la remise en cause du néo-libéralisme, la pensée marxiste semble retrouver ses lettres de noblesses auprès des intellectuels. Peut-on pour autant parler d'un retour des idées de Karl Marx ?

Philippe Corcuff : Dans un premier temps, le retour d’une pensée critique vis-à-vis du néo-libéralisme a emprunté des chemins simplificateurs qui ont épargné le capitalisme en lui-même : une critique du "tout marché" et de la dérégulation généralisée avec un vague parfum de conspirationnisme soft. C’est ce que j’ai appelé "la pensée Monde Diplo".

Aujourd’hui, la critique, si elle ne veut pas s’enliser dans le manichéisme, doit se complexifier. Les analyses des complications sociales et économiques du capitalisme, de ses contradictions et des rapports sociaux qu’il exprime peuvent utilement puiser dans Marx pour sortir de ces ornières. Dans Marx plus que dans "le marxisme", entendu comme un filtre intellectuel et politique réducteur posé sur l’œuvre multiforme et pour une part contradictoire de Marx.

Alexandre Melnik : Je ne vois pas comment les idées de Karl Marx pourrait réellement revenir sachant qu'il s'est trompé sur le fond selon moi. On peut certes retenir son héritage méthodologique dans le sens ou il a su être un penseur complet et pluridisciplinaire, mais sa volonté de mettre fin à l'économie de marché est devenu inenvisageable dans le contexte de globalisation qui est aujourd'hui le notre. Une grille de lecture marxiste apparaîtrait aujourd'hui décalée pour expliquer les causes et les conséquences des évènement mondiaux. On le voit bien à travers les difficultés qu'à la gauche, et en particulier la gauche française, à se positionner idéologiquement au lendemain de la crise des subprimes. Elle peut présenter des concepts électoralistes comme la démondialisation mais sa gestion du pouvoir semble démontrer qu'elle n'a pas réussi à imposer sa marque ni à incarner une alternative particulière.

Comment cette idéologie peut-elle aujourd'hui trouver sa place dans un monde mondialisé ?

Philippe Corcuff : C’est moins d’une "idéologie" systématique, comme "le marxisme" justement, dont on a besoin aujourd’hui que d’une boîte à outils critiques et émancipateurs. Marx avait annoncé la logique mondialisatrice du capitalisme. Le monde globalisé n’est pas alors un handicap. Et Marx, auteur plus individualiste que ne l’ont dit les marxistes et les anti-marxistes, a annoncé aussi notre société d’individus. Mais Marx a pour horizon une émancipation des individus, qui les allègent également des chaînes de la marchandisation capitaliste et de la division capitaliste du travail, dans ce cadre mondial. Cette émancipation des individus a, pour Marx, des conditions sociales : une transformation sociale radicale. C’est quelque chose qui est justement devant nous, comme une des possibilités de notre avenir.

Alexandre Melnik : Je préfère le mot globalisation qui selon moi est une meilleure traduction du mot anglais d'origine et qui évité toute forme de biaisement idéologique à mon avis. Pour répondre à votre question je pense que Marx ne peut trouver réellement sa place dans la pensée contestataire de notre époque puisque l'économie de marché est devenue universelle alors que la politique est restée nationale, ce qui désarticule de fait l'axe entre pouvoir et marché qui est inhérent à la pensée marxiste.

Son approche transversale mêlant politologie, économie, sciences culturelles et histoire est néanmoins un point de départ utile pour comprendre un monde de plus en plus complexe et qui ne peut se décrypter qu'à travers la combinaison des savoirs. Il ne serait ainsi pas une mauvaise chose que les étudiants se penchent davantage sur Marx pour en reprendre le type de réflexion et faire émerger leurs propres pensées "globales". 

Aucune autre véritable pensée d'opposition au capitalisme n'a pris le relais depuis... pourquoi ?

Philippe Corcuff : Après le totalitarisme soviétique, maoïste ou cambodgien, comme les diverses expériences autoritaires qui se sont réclamées du "socialisme", le capitalisme a pu se déployer sans adversaires. Mais des contradictions renouvelées du capitalisme, comme la contradiction capital/individualité, qui pose la question individualiste, ou la contradiction capital/nature, qui pose la question écologiste, sont venues accroître les fragilités du capitalisme dans l’interaction avec la contradiction capital/travail et la question sociale. Des possibilités existent donc pour une contestation pluridimensionnelle du capitalisme. Toutefois, les partis, les syndicats et les mouvements sociaux traditionnels, par l’inertie de leur langage et de leurs modes de pensée, freinent ces possibilités. Ils tendant à imposer un logiciel collectiviste et productiviste à la critique du capitalisme, en passant  à côté des enjeux situés du côté des individus comme de l’écologie.

Alexandre Melnik : Par l'incapacité de développer une vision qui ne soit pas totale mais seulement parcellaire. Karl Marx, à l'inverse de la plupart des philosophes le précédant, n'a pas seulement souhaité expliquer le monde mais a aussi souhaité le changer en développant une idéologie plurielle et puissante, ce qui relève d'un culot et d'une capacité qui ne s'est pas retrouvé aujourd'hui de manière inédite. 

Est-il possible que le phénomène dépasse le stade intellectuel pour redevenir politique ?

Philippe Corcuff : Cela suppose de déplacer les inerties issues du passé, tant du côté des langues de bois marxistes que des représentations des organisations classiques à gauche. "Le mort saisit le vif", écrivait Marx dans la préface à la première édition du livre 1 du Capital, en 1867, c’est-à-dire que le passé mort tend à annihiler les possibilités créatrices du présent.

Alexandre Melnik : Je ne pense pas. Les intellectuels souhaitant rafraîchir la pensée marxiste ne semblent pas réellement audible au niveau de l'opinion et des média, ces derniers n'ayant pas la capacité de soulever les masses et de créer une offre politique substantielle comme ce fût le cas au XIXe ou au XXe siècle. La question d'un retour d'une véritable pensée politique, quelqu'elle soit d'ailleurs, est pourtant importante quand nous voyons à quelle point la dérégulation actuelle à pu rendre la mondialisation folle et incontrôlée, bien qu'une globalisation politique ne se fasse pas de si tôt selon moi. 

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