Et si Emmanuel Macron n’était pas candidat, à quoi ressemblerait le macronisme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Quel est le corpus idéologique clair du macronisme dont certaines personnalités politiques pourraient se revendiquer ?
Quel est le corpus idéologique clair du macronisme dont certaines personnalités politiques pourraient se revendiquer ?
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

LREM

Si le président ne s’est pas encore déclaré candidat, il existe peu de doutes sur ses intentions. Mais indépendamment de sa personne, avec son charisme comme ses failles, qu’a-t-il vraiment construit politiquement ?

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Emmanuel Macron na pas encore déclaré sa candidature à l’élection présidentielle, mais peu de doutes subsistent. Il aurait d'ailleurs recueilli 105 parrainages selon le premier décompte du Conseil constitutionnel et il dispose actuellement dune solide base de 25% environ dans les sondages depuis de nombreuses semaines. Dans l'hypothèse - improbable- où le président ne se représenterait pas, reproduisant ainsi le comportement de son ancien parrain socialiste, y aurait-il une personnalité pour reprendre le flambeau de ses idées ?

Virginie Martin : Emmanuel Macron souhaite souvent dans ses écrits - son livre notamment - que les individus s’émancipent, mais, dans le réel, il semble plutôt tenir les personnes de son entourage sous sa coupe. 
Par conséquent, il est difficile de voir émerger une personnalité qui serrait capable de prendre sa suite, d’être véritablement son dauphin, son successeur.  Aucune personnalité de son gouvernement ne représente vraiment « le style macron » voire son «cadre idéologique » ; 
que cela soit Blanquer, Vidal, Castex ou bien Darmanin. Au début de son quinquennat, Emmanuel Macron revêtait une matrice post-DSK déshabillée de ses oripeaux socialiste. On peut se demander qui pourrait bien incarner cela.
Si l’on met de côté Edouard Philippe pour des raisons politique, on pourrait voir une personnalité pouvant prendre le flambeau du macronisme venir du centre-droit. Ceux qui se réclament d’Emmanuel Macron sont de ce bord politique et plutôt européen, pro-entreprise, en lutte contre les obscurantismes et garant d’une certaine idéologie contre des personnalités comme Zemmour et d’une forme de stabilité. Mais nous sommes ici bien loin de l’idée de « Révolution » et de disruption. 

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Pour la prochaine élection, sa plus dangereuse rivale est certainement Valérie Pécresse et pourquoi par Marine Le Pen. La candidate LR est tout de même la seule à pouvoir suffisamment rassembler au deuxième tour, les autres auront des plafonds des verre qui les condamneront définitivement à la défaite. 
Jean Petaux : Faire œuvre de politique fiction n’est pas un exercice qui entre dans les normes du commentaire politologique. C’est oublier, pour ne citer qu’un seul illustre « grand ancien », que Max Weber lui-même considérait qu’il n’existait guère de plus grande stimulation intellectuelle que d’imaginer des situations uchroniques. Weber s’interrogeait ainsi : « Que se serait-il passé si la dépêche d’Ems n’avait jamais été envoyée par Bismarck ? », « Si elle avait été mieux traduite de l’allemand au français ? ». Questions dont les réponses, hypothétiques, reviennent à se demander si guerre de 1870 aurait eu lieu, si l’Allemagne unifiée aurait été proclamée dans la galerie des Glaces du château de Versailles, si l’Alsace-Moselle auraient été « perdues » et donc sur quelles bases aurait pu se développer la politique revancharde de la Troisième république qui prépara les « crânes français » à la mobilisation générale de 1914 ?

Emmanuel Macron est un passionné d’histoire politique française contemporaine. Il connait par cœur tous les détails de l’exercice du pouvoir de ses sept prédécesseurs. En matière de déclaration de candidature pour un second mandat il a trois références, celles qui se sont soldées par un résultat positif pour Charles de Gaulle en 1965, François Mitterrand en 1988et Jacques Chirac en 2002. Le monde est ainsi construit pour Emmanuel Macron qu’il considère que « seule la victoire est belle ». Giscard ? Sarkozy ? : « Vae victis » a dit Brennus lors du premier sac de Rome en 390 avant JC. Ils furent candidats à leur réélection, ils tentèrent, ils échouèrent. « Malheur aux vaincus » dans la pensée politique macronienne. Hollande ? N’en parlons même pas…. « On ne perd que les combats que l’on ne mène pas ».

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Alors les trois vainqueurs ? Comment s’y sont-ils pris pour leur déclaration de candidature ? Le général de Gaulle qui estimait que lorsque l’on s’appelle de Gaulle on ne mène pas une campagne électorale face à Mitterrand, Lecanuet, Tixier-Vignancourt et deux autres candidats, s’adressa aux Français le 4 novembre 1965 dans un discours radio-télévisé, comme président de la République. Le premier tour de la première présidentielle au suffrage universel a eu lieu 31 jours après, le 5 décembre. François Mitterrand dont l’obsession présidentielle était Charles de Gaulle, se déclara pour un second mandat lors d’un passage en direct dans le journal de 20h d’Antenne 2, le 22 mars 1988. Le premier tour de la présidentielle eut lieu le 24 avril, 33 jours après. Jacques Chirac, ragaillardi par cinq années de cohabitation avec un premier ministre socialiste qu’il savait devoir affronter, à la présidentielle de 2002, dans une configuration politique identique à celle qu’il avait connue face au président Mitterrand en 1988, mais inversée cette fois-ci, de « cible » il passait « chasseur », se déclara lors d’une séquence étrange, en déplacement en Avignon, répondant « oui » à une question (« téléphonée ») de la première édile de la Cité des Papes. « Festival Chirac d’Avignon » aurait-on du titrer le lendemain. C’était le 11 février 2002. Le 21 avril retentissait le « coup de tonnerre » que l’on sait. Si Emmanuel Macron avait retenu le scénario chiraquien, à la date du 3 février 2022, il aurait dû se déclarer le 31 janvier 2022, pour respecter les 69 jours qu’avait retenu Jacques Chirac en 2002. La date est donc passée. Si le président sortant retient l’option gaullo-mitterrandienne (et on le voit bien adresser ce « clin d’œil » à ces deux prédécesseurs), il a un créneau de tir entre le 8 et le 10 mars prochains. Le 8 mars, journée internationale des femmes ? Pourquoi pas ? Cela dit, compte tenu du bilan, mitigé, de la politique conduite contre les violences faîtes aux femmes et la lutte contre les féminicides, le seul stratège élyséen qui vaille, Emmanuel Macron, va peut-être jouer la prudence et avancer son « horloge politique »…

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Et s’il ne se représentait pas ? Nous revoilà donc dans l’uchronie. La surprise serait évidemment totale. Elle serait bien plus grande que pour François Hollande, seul président sortant au terme d’un premier mandat à ne pas tenter un second mandat, , alors qu’il n’était pas empêché pour raison de santé ou par une quelconque « affaire ». Il se dit qu’il le regrette aujourd’hui et il se dit aussi qu’il estime qu’il aurait pu l’emporter. Personne ne peut prouver le contraire… François Hollande et l’existence de Dieu : même combat ! Mais si Emmanuel Macron renonce que se passe-t-il chez les macronistes ? Le vide sidéral, le sol qui se dérobe sous les pieds, tel le tapis que l’on retire… Les strauss-kahniens (dont une partie des macronistes des « premiers jours » sont issus) ont connu ça un certain petit matin de mai 2011 en allumant leur portable ou leur radio et en découvrant qu’il existait une suite 2806 au Sofitel de New-York, 44ème rue. Dans ce genre de situation, pour les amis, militants et soutiens, le choc est tel, que l’état de sidération dure longtemps et que les « plans B » ou « C » ou « D » mettent un certain temps à sortir des cartons. D’autant que les ambitions se révèlent aussi. La droite a connu cela après le 2 avril 1974 jour du décès du Président Pompidou. Qui alors pour tenter de succéder à Emmanuel Macron ? Richard Ferrand ? Premier des « Marcheurs »… Mais son « affaire » des « Mutuelles de Bretagne » n’est pas purgée… Ses fonctions de président de l’Assemblée nationale en feraient un candidat tout désigné mais qu’en dirait François Bayrou, et Christophe Castaner… et Edouard Philippe ? Alors justement, celui-là, en « réserve de la République », programmé pour 2027, accepterait-il de regarder, sans bouger, passer le train de l’Histoire, sans prendre un voyageur en gare du Havre ?.  Sa candidature ruinerait définitivement les chances d’une Valérie Pécresse, mais qu’en diraient les « sociaux-démocrates » de l’électorat Macron qui pèsent lourd dans l’écroulement de la gauche en 2022 ? Partiraient-ils grossir les rangs des « confettis roses, verts et rouges » d’une gauche actuellement sous respirateur artificiel ? Et les ministres actuels qui ne cachent guère leurs ambitions politiques futures : Le Maire ; Darmanin ; Blanquer ?... sans parler du premier d’entre eux, Jean Castex ? Serait-il le Messmer de 2022, quand le vrai, l’original, s’interrogea quelques heures sur le fait qu’en 1974, premier ministre de feu Georges Pompidou, il lui revenait la lourde charge de reprendre (ou pas) le flambeau qu’un Chaban avait saisi au risque de se faire battre par le candidat unique de la Gauche alors… Car oui, Madame Taubira, sans qu’il lui fût nécessaire d’appeler personnellement au téléphone Pierre, Paul, Jacques ou Tartampion pour leur demander de se retirer à son profit, il y eût bien, à deux reprises, un candidat unique de la Gauche à la présidentielle… Vous ne le croirez sans doute pas : ce fut deux fois le même en plus. Il s’appelait François Mitterrand. C’était en 1965 et en 1974. Il l’emporta en 1981. Cette année-là la Gauche comptait cinq candidats…

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Retiré du jeu, Emmanuel Macron contemplerait le champ de ruines qu’il aurait contribué à faire. Après avoir carrément fait exploser la droite et la gauche de gouvernement en 2017 par son élection « hors norme », il aurait ainsi parachevé son œuvre en détruisant l’édifice encore en construction qu’il avait lancé cinq ans plus tôt. On connait la fin de la chanson « Sur l’pont de Nantes »… Hélène entrainée par son frère y danse. Le pont s’effondre, ils se noient tous les deux. Les cloches sonnent, leur mère demande « qu’ont-elles à tant sonner « ?... Elle apprend que c’est « pour Hélène et votre fils ainé », tous les deux engloutis. Les derniers vers sont définitifs : « Voilà le sort des enfants obstinés ».

L’enfant obstiné Emmanuel Macron va se représenter. C’est sûr. Parce qu’il n’ignore rien du sort qui serait réservé, en cas de forfait de sa part, à son parti, à ses idées, « à son amour pour la France » (expression qu’il emploie dans son dernier entretien à « La Voix du Nord ») : ce sera le même que celui d’Hélène et de son frère… Ils disparaitront tout simplement. Reste qu’à vouloir à tout prix danser de nouveau sur le « pont de l’élection » il n’est pas impossible non plus que celui-ci s’effondre et que l’on coule… Défait, et non plus forfait, l’enfant obstiné Macron rejoindrait ainsi le sort de Valéry Giscard d’Estaing et de Nicolas Sarkozy. Pas certain qu’il apprécie cette compagnie « historique ». Quant à François Hollande, dans un tel scénario, celui de l’échec électoral de son successeur, on n’ose imaginer sa soirée du 24 avril 2022…

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Au-delà de sa figure personnelle, quelle offre politique Emmanuel Macron a-t-il construit depuis cinq ans ? 

Virginie Martin : Le macronisme s’inscrit dans un individualisme avec un président et un État très fort. Ce n’est pas du libéralisme, cela a la forme du libéralisme, mais chez Macron c’est devenu de l’individualisme. On peut appeler ça l’empowerment. D’après le livre d’Ismaël Emelien et de David Amiel « Le progrès ne tombe pas du ciel »  on parle de maximiser les possibles, il s’agit que tous les individus puissent exprimer leurs talents. Néanmoins, cela ne s’est pas traduit dans sa politique.
N’oublions pas que dans le discours de Macron, il y a le disruptif, il a cassé quelque chose pendant ses cinq années d’exercice du pouvoir. Il a cassé le vivre ensemble. Son offre politique est celle de la déconstruction, il a beaucoup joué avec l’autorité, l’angoisse, la détresse des Gilets jaunes, les étudiants et les étudiantes ainsi qu’avec les propriétaires fonciers. 
Il parle d’une mondialisation sans soumission, mais on ne sait pas où est l’Europe dans le concert des Nations et la représentation internationale de la France avec M. Le Drian n’est pas brillante non plus. L’offre politique est composée de prophéties peu auto-réalisatrices.
Aujourd’hui, on peut se demander si le Macron 2.0 avec une idéologie proche de celle de Blanquer-Vidal n’est pas celui du printemps républicain. Ces deux personnalités ont de l’influence dans la macronie alors qu’ils sont différents de la bande de Strauss-Kahn de l’origine. Au départ, Emmanuel Macron est très ouvert sur les questions sociétales alors qu’aujourd’hui il semble se refermer. On se demande de quel progressisme il est… Dès que le macronisme commence à se construire idéologiquement, il s’effondre. 
Jean Petaux : Le propre d’un parti « personnel », destiné à gagner une élection uninominale, c’est qu’il est conçu comme une « machine électorale » dont toutes les pièces, toute l’énergie consommée et la production générée sont concentrées pour un seul usage : la victoire du champion unique. Il faut se représenter cette « construction » (vous employez le verbe « construire » à propos de l’offre politique qu’Emmanuel Macron aurait élaboré depuis cinq ans) comme un système clos. Le « projet du champion » est de faire en sorte que « le champion devienne le projet ». J’emploie à dessein le mot « projet » car on a en mémoire cette fin de meeting, en 2016, où la voix d’Emmanuel Macron se casse complètement quand il hurle sa phrase finale : « Parce que c’est notre projet ». En matière politique, on utilise plus souvent le mot « programme » que le mot « projet », terme plus adapté au monde de l’entreprise, tant dans la dimension industrielle (il existait jadis, avant la CAO – Conception assistée par ordinateur –  un métier très important dans les bureaux d’études : celui de « dessinateur-projeteur ». Or Emmanuel Macron, distant sans doute à l’égard de la « grammaire politique » classique (celle de « l’ancien monde ») n’a pas utilisé le mot « programme » qui sonne comme « Programme commun », comme « programme de Belleville » prononcé en 1869 par Léon Gambetta et que l’on considère comme l’acte fondateur du futur grand Parti Radical, pilier de la Troisième république. « Projet » c’est plus moderne, plus « managerial ». Avant que la pandémie n’invente de nouveaux termes, il était de bon ton de parler de « management de projet ». Formule de la « nov’langue » signifiant tout simplement qu’il s’agissait de « faire travailler des personnes pour aboutir à une réalisation ». L’inverse du « management de projet » est sans doute « diriger et payer des personnes à ne rien faire »… En réalité il n’y a aucun socle programmatique dans le projet d’Emmanuel Macron sauf une succession d’actes nourris à deux mamelles différentes et antagonistes : le libéralisme associé à l’acceptation d’une mondialisation dérégulée (sein droit) et le souverainisme et la volonté de faire que la France sauvegarde sa capacité à exister dans le concert diplomatico-stratégique mondial (sein pouvant pencher à gauche). Le point commun est l’Europe, à condition que la France en soit le leader. Et comme c’est compliqué de faire cela sans les Allemands, il faut tout faire pour les « accrocher » au « projet français ». Tout cela n’est pas très nouveau d’ailleurs dans le répertoire de « courants politiques » au pouvoir en France depuis près de 50 ans. 

Y a-t-il un corpus idéologique clair macroniste dont certaines personnalités politiques pourraient se revendiquer ? 

Virginie Martin : On peut se demander s’il y a une doctrine Macron. Pour comprendre ce corpus, il est intéressant de se replonger dans le livre d’Ismaël Emelien et de David Amiel, deux supporters de la première heure d’Emmanuel Macron. Ils tentent de faire un manifeste du macronisme en 2019 avec «  le progrès ne tombe pas du ciel ». Ils estiment que le macronisme est progressiste. Mais savoir ce que cela veut dire est un peu complexe. 
Le mot progressisme recouvre aujourd’hui à peu près tout et n’importe quoi et se construit par opposition à des forces autoritaires conservatrices à la Zemmour ou à la Trump. Cette opposition est compréhensible, mais le progressisme ne peut pas être conçu par opposition à quelque chose. Il faut qu’une doctrine se construise en positif et non en négatif. Le macronisme se construit en opposition à une forme d’obscurité politique, mais cela ne suffit pas à raconter une histoire et une idéologie. 
Si l’on analyse le livre d’Emmanuel Macron, Révolution, et celui d’Ismaël Emelien et de David Amiel avec ce qu’a fait Emmanuel Macron depuis cinq ans, il ne reste pas grand chose de cette idéologie si ce n’est sa définition par opposé. Il y a cependant une conception relativement autoritaire du pouvoir qui contredit tout ce qu’il a dit et écrit et qui n’a rien de « progressiste ». 
Macron a en effet une conception verticale du pouvoir, Jupiter n’est jamais très loin même quand il est en train d’être sur le terrain. Lors des exercices de démocratie participative, sa patte autoritaire revient se saisir du brouillon démocratique qu’il a essayé de lancer. Et au-delà de Macron, il y a peu de ministres dont on parle à part ceux directement concernés par la crise Covid et marlène Schiappa bien évidemment. Son cabinet est très resserré, il est uniforme et formé de clones. C’est un pouvoir jalousement gardé. On peut alors lui opposer son progressisme affiché à sa pratique verticale du pouvoir. Ce qui est un paradoxe. Le pouvoir est incarné par Emmanuel Macron. 

Jean Petaux : Votre question revient à s’interroger sur l’existence d’un macronisme sans Emmanuel Macron ? Depuis de Gaulle cette question-là se pose. Je considère que le déclinaison conceptuelle d’un patronyme ne peut pas durer dans le temps et surtout ne peut survivre à son « inventeur » ou à son « géniteur ». Si on a pu dire qu’en politique « le style fait l’homme » (ou la femme bien sûr), on doit aussi considérer qu’une pensée politique incarnée dans un homme (ou une femme) est essentiellement le produit des actes de cette personne. Cela ne signifie pas que l’action précède la réflexion ici, cela prouve tout simplement qu’une identification entre un corpus idéologique et un acteur politique rend pratiquement insécable cette relation. En politique il est essentiel d’avoir une « cosmogonie », une connaissance du monde qui entoure l’acteur politique. Celle-ci est intimement liée à l’expérience concrète de l’acteur, à ce qu’Erwin Goffmann, le pionnier de l’interactionniste stratégique dans la sociologie américaine, appelle « les cadres de l’expérience ». Alors il existe bien des « schèmes directeurs » d’analyse et de compréhension du monde : le marxisme (avec des dizaines d’interprétation postérieures évidemment à Marx) ; le libéralisme et toutes ses déclinaisons ; le nationalisme dont on sait qu’il peut se conjuguer lui aussi en autant de « variants » que la Covid-19… Désormais d’ailleurs toutes ces grandes pensées que l’on a pu qualifier de téléologiques car elles portaient aussi une vision de la « fin des temps », sont considérées comme des cadres peut-être stimulants du point de vue intellectuel mais pas forcément des outils opérationnels pour gouverner les Etats et réguler les sociétés humaines… C’est ainsi que la pensée dominante, celle des « classes dominantes » pour parler comme Althusser dans « Lire le Capital », a fait en sorte de tout jeter en même temps : le bébé et l’eau du bain. Les pensées et les partis. Funeste choix !

Et alors le « macronisme » dans tout cela ? Une doctrine politico-économique en devenir qui risque d’y rester longtemps jusqu’à ce que disparaisse son héraut.

Ce socle électoral pourrait-il survivre sans la candidature dEmmanuel Macron en 2022 ? 

Virginie Martin : Comparé à des grands partis qui ont des militants et des sympathisants, En Marche est une coquille vide. Si le Macronisme avait été quelque chose de vraiment construit depuis cinq ans, il y aurait eu la volonté de créer un mouvement partisan crédible. LREM n’est pas un référent de parti politique suffisamment fort et solide. 
Le vote Macron c’est le vote tranquille, un peu bourgeois, de conservation. Voici sa base électorale. Une France de l’ouest, moins mixte, plus riche, plus épargnée par l’industrialisation. Il a inventé un électorat de disruption, aujourd’hui il a un électorat de stabilisation. C’est pour cela que dans son entourage je ne vois personne pour le remplacer / lui succéder. 

On a souvent souligné la difficulté de LREM à s'implanter localement. Après cinq ans, qu'est-ce qu'incarne le parti ? Macron a-t-il construit un mouvement fort qui pourrait vivre sans lui ?

Jean Petaux : Cette difficulté propre à LREM de s’implanter localement n’est pas spécifique. J’ai déjà eu l’occasion, par exemple avant et après les municipales de 2020 ou les élections départementales et régionales de 2021, de comparer la situation propre à LREM à celle du parti gaulliste, UNR puis UDR, dans les années 60. Finalement il a fallu plus de 20 ans pour que les « gaullistes » s’implantent dans les territoires en France. Et encore y avaient-ils mis les moyens… On se souvient de ces jeunes « gaullo-pompidoliens » « parachutés » dans certains « coins » de France pour y faire carrière. Le « cas Chirac » est le plus emblématique avec son arrivée en Corrèze. Mais pour un Chirac, combien d’échecs ? Des dizaines de tentatives avortées !... C’est justement beaucoup plus Chirac et le RPR qui vont systématiser le « labourage » du terrain en « traitant » d’abord les villes moyennes avant une « montée en charge » sur les grandes villes. Cinq années c’est très court pour un parti politique parti de rien, ou plus exactement construit avec les matériaux récupérés dans les ruines des partis antérieurement bâtis et ruinés par la « Blitzkrieg » de 2017. La difficulté en plus, pour le parti présidentiel, là encore cela n’a rien de nouveau sous la Cinquième république c’est, bel et bien, d’exister à l’ombre « du grand chêne » que constitue l’Elysée. Le PS y a ainsi laissé de nombreuses plumes, à partir de 1981, jusqu’à, quasiment, en mourir lors du quinquennat Hollande mais surtout, faute de travail et d’intelligences, après 2017. L’UMP devenu LR n’a pas non plus su négocier les deux périodes distinctes : celle du quinquennat Sarkozy (qui se méfiait parfaitement du parti qu’il avait conquis à la hussarde sur le « cadavre politique » d’Alain Juppé contre la volonté du président de la République Jacques Chirac) et celle des dix années d’opposition entre 2012 et 2022, surtout après 2017 et les coups de boutoirs assénés par Emmanuel Macron contre le grand parti de droite. En l’état, Emmanuel Macron n’a pas de parti présidentiel. Raison pour laquelle d’ailleurs il a tout intérêt à une campagne courte, car une « guerre de positions » nécessite des troupes pour tenir le terrain et surtout la tranchée, quand une « campagne de harcèlement », rapide et dynamique, synonyme de mouvement, peut se mener avec des commandos très actifs et mobiles. En fait, pour Emmanuel Macon, l’équation est assez simple, même si elle a plusieurs « inconnues » : faire en sorte que « En Marche » se remette « à courir ». Vers sa victoire…

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