Et revoilà les retraites : mais quels verrous faire sauter pour enfin les sauver ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le problème des retraites occupe encore et toujours le gouvernement Hollande.
Le problème des retraites occupe encore et toujours le gouvernement Hollande.
©Reuters

Episode 72, saison 25

Après avoir instauré la retraite partielle à 60 ans, le gouvernement Hollande fait marche arrière et souhaite aujourd'hui se pencher sur le système de pensions, insolvable en l'état actuel. Et si on se décidait enfin à s'attaquer au coeur du problème ?

Jacques Bichot et Serge Guérin

Jacques Bichot et Serge Guérin

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Serge Guérin est sociologue. Il est l’auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont La nouvelle société des seniors (Michalon, 2011).

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Atlantico : Le gouvernement met sur pied une "Commission d'avenir des retraites" afin de réformer un système de pensions devenu lourdement déficitaire. Quelques pistes, relativement timides, sont actuellement à l'étude. Quels blocages et tabous nous empêchent de nous attaquer réellement aux problèmes de notre système de retraites ?

Jacques Bichot : Premier blocage : l’impossibilité de travailler sur la réforme des retraites en abandonnant les clivages partisans. En Suède, pays qui a réussi une belle réforme systémique, une commission composée à parité de parlementaires de « droite » (libéraux et conservateurs) et de « gauche » (sociaux-démocrates) a fonctionné pendant une dizaine d’années. Deux changements de majorité ont eu lieu durant cette période ; la commission a poursuivi son travail. Finalement, la loi-cadre de 1994 qui a fixé les principes du nouveau système a été votée à une majorité écrasante : le sens de l’intérêt général l’avait emporté sur les oppositions partisanes. Si un jour, en France, la Droite et la Gauche adoptent un comportement de ce type, notre pays pourra entreprendre de grandes réformes, à commencer par celle des retraites.

Deuxième blocage : l’habitude de travailler dans l’urgence. Nos hommes politiques sont formatés pour lancer une idée, en préparer la mise en œuvre pendant quelques mois, en discuter avec les partenaires sociaux et ajuster leurs propositions pendant encore quelques mois, puis faire passer le texte en Conseil des ministres et de là au Parlement. Ils ne conçoivent pas qu’un projet puisse faire l’objet d’études préalables longues et délicates. Cette manière de faire, qui est devenue en quelque sorte une seconde nature, interdit toute réforme de grande ampleur. Le fait que depuis sa création en l’an 2000 le Conseil d’orientation des retraites (COR) dispose pour mener ses études d’une équipe permanente de seulement dix personnes est symptomatique : ni la gauche, ni la droite ensuite, ni la gauche à nouveau, n’ont considéré nécessaire de disposer d’une structure capable de mener des travaux ayant l’ampleur et la complexité requises pour réaliser une réforme systémique des retraites. À titre de comparaison, l’équipe chargée de préparer la réalisation d’une centaine de kilomètres d’autoroute ou de ligne à grande vitesse compte au minimum une centaine d’ingénieurs et techniciens.

Serge Guérin  : Je dirais qu’il y a tout d’abord un tabou qui s’explique par notre histoire sociale : la retraite s’est peu à peu constituée comme l’un des socles des conquêtes sociales françaises. A fortiori depuis 1981 et l’intronisation de la retraite à 60 ans, notre imaginaire collectif a fait de cet acquis un élément permanent du paysage, du contrat social, ce qui rend toute intervention sur le sujet délicate….

Il y a par ailleurs un problème de représentation de l’âge. Dans l’entreprise on considère souvent désormais que l’on est un senior à partir de 45 ans, ce qui relève selon moi d’un procès en vieillissement précoce si vous me permettez l’expression. Cela fait un écho à un consensus global qui trouve sa racine dans la question des pré-retraites. Dès les années 60 on a cherché à juguler la hausse du chômage en jouant sur le départ prématuré des plus âgés. Patrons, Etat et syndicats se sont retrouvés sur cette question : les premiers voyaient là le moyen de recruter des personnes réputés plus productives, pour des salaires moins élevés et avec une culture de revendication moins forte, l’Etat préférant, de son côté, plus de retraités que plus de chômeurs, et les troisièmes pensaient favoriser l’emploi des jeunes et offrir aux seniors de nouveaux droits sociaux. En fait, les acteurs sociaux voient l’emploi comme un stock et que le chômage ne pourra être résolu qu’en mettant des jeunes à la place des vieux. Une approche qui est la marque d’un déficit d’imagination assez flagrant…

Finalement, le plus grave c’est le fait que les salariés, quelque soit leur âge d’ailleurs, restent perçus comme une charge, un coût, une contrainte. L’enjeu c’est de réduire la part des salariés dans les coûts de fabrication. Les salariés âgés subissent une double peine puisqu’en plus ils sont soupçonnés d’être moins performants que les autres.

Comment surmonter ces blocages pour faire accepter aux Français les mesures nécessaires ?

Serge Guérin  : D’abord, il faut rappeler que certains aient envie de poursuivre leur activité professionnelle. Le désir de partir n’est pas systématique. Cela dépend du sens que l’on trouve à son activité, des conditions de travail, des perspectives… Il y a un véritable besoin de souplesse alors que le système actuel est totalement binaire : on travail et d’une seconde à l’autre plus rien. Pourquoi ne pas développer une logique de cycle de vie plus souple ?

Un autre problème assez profond tient dans le fait que l’on considère que la retraite est une cessation d’activité. Les 15 millions de retraités français peuvent être actifs sociaux que ce soit au niveau familial (garde des enfants, soutien scolaire…), au niveau associatif., comme aidant informels ou encore comme élus locaux. 

De quelles mesures aurions-nous vraiment besoin et comment parvenir à les mettre en place ?

Jacques Bichot : Premièrement, des mesures d’urgence. La seule vraiment efficace est la suspension provisoire de l’indexation des pensions sur les prix à la consommation. 1,5 % économisés sur 260 milliards de prestations, cela fait 3,9 milliards d’euros, chaque année à perpétuité. Et si la mesure est maintenue deux années de suite, on arrive à près de 8 milliards d’économie annuelle. Problème : il vaudrait mieux maintenir l’indexation pour les petites pensions, mais avec la multiplicité des régimes nul ne sait si Mr X ou Mme Y ne perçoit pas quatre ou cinq pensions, chacune toute petite, mais qui au total font une somme tout à fait correcte. La multiplicité des régimes est une difficulté majeure.

Deuxièmement, mettre en chantier des mesures à moyen terme, préparant les mesures à long terme.  La principale pourrait consister à supprimer dans les régimes par annuités le méli-mélo actuel entre durée d’assurance et âge à la liquidation, de façon à avoir des surcotes et décotes dépendant uniquement de l’âge : cela faciliterait grandement le passage ultérieur à un système par points.

Troisièmement, lancer l’étude du passage des annuités aux points et de trois douzaines de régimes à un régime unique. Il faut pour cela compter plusieurs années de travaux.

Est-il seulement possible de sauver l'esprit du système français ou faut-il en faire le deuil ?

Jacques Bichot :Si l’esprit du système s’identifie à la répartition, elle n’est pas menacée : le passage à un régime unique par points conserve le principe de la répartition (répartir entre les retraités ce qui rentre dans les caisses).

En revanche, si l’esprit du système français est l’existence de régimes catégoriels (fonctionnaires, régimes spéciaux, régime des professions libérales, régime des artisans et commerçants) alors oui, l’unification des régimes le supprimerait. Mais le principe d’égalité qui figure dans la devise de la République française depuis plus de deux siècles n’est-il pas plus caractéristique de l’esprit français que cette diversité génératrice de fortes inégalités ? Vu de l’étranger, toucher à la multiplicité de nos vins ou de nos fromages serait attenter à l’esprit français, qui inclut la variété des talents et des plaisirs ; mais avec un régime de retraites par répartition unifié la France serait toujours la France, toujours mère des lettres et des arts, et en voie de redevenir mère (plutôt que marâtre) des lois !

Serge Guérin : Il faut certainement l’adapter puisque le nombre d’actifs (comprendre employés) fini par se rapprocher du nombre de personnes à la retraite, mais je ne dirais pas qu’il faille en faire le deuil. Notre contrat intergénérationnel est basé sur une notion de solidarité (« je paye pour les retraités mais les actifs qui suivent paieront pour moi ») qui permet d’établir un lien de confiance entre les classes d’âges. Notre pays comme chacun sait est aujourd’hui dans un climat de défiance et remettre en cause ce contrat n’améliorera pas la situation. La récente étude d’ HSBC montre par ailleurs que les personnes en activité craignent très fortement d’avoir des retraites trop faibles, y compris pour se nourrir ou pour faire face aux dépenses de chauffage et d’électricité. 

Cette réforme, basée sur la conception que les retraités doivent aussi participer à l'effort national, marque-t-elle une évolution de la perception du grand âge en France ?

Serge Guérin : On pourrait parler d’une évolution sur certains clichés….Il y a selon moi une double image des retraités :

  • D’un côté ils sont considérés comme des inutiles qui sont une charge pour la société
  • De l’autre on les voit comme des grands privilégiés. Certains le sont mais je rappel que les deux tiers des ménages de retraités sont des retraités populaires (anciens ouvriers, employés, agriculteurs petits commerçants ou artisans…). On compte certes encore aujourd’hui un million de retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté mais cette proportion était plus forte auparavant.

Il faudra certainement que les retraités, et d’abord les plus privilégiés, contribuent plus à la solidarité. Cela passera par des relèvements de taxation et des diminutions dans les avantages fiscaux. Ce ne sera pas suffisant. Il faudra aussi investir dans la prévention c’est-à-dire une préparation à la retraite qui englobe les questions de revenus et d’adaptation à cette nouvelle situation.

Cela dit, je remarque que les choses se font d’ores et déjà : de nombreux retraités profitant de leur temps disponible et pour faire face à une forte baisse de leur pouvoir d’achat s’inscrivent dans des logiques d’autoproduction, de troc, d’échange… L’économie de la décroissance sélective est déjà dans les faits pour celles et ceux qui sont les plus touchés par la mutation de notre système économique.

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