Et les Chinois prirent le (demi) volant de Peugeot… La lourde responsabilité de la BCE dans la grande braderie de l'industrie française<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon le "Financial Times", Peugeot et Dongfeng viennent de conclure un accord de 3 à 4 milliards d’euros.
Selon le "Financial Times", Peugeot et Dongfeng viennent de conclure un accord de 3 à 4 milliards d’euros.
©Reuters

Les envahisseurs sont parmi nous

Dongfeng Motor, géant de l’industrie automobile chinois, serait parvenu à un accord avec Peugeot. Selon le "Financial Times", la famille Peugeot perdrait le contrôle de l’entreprise, alors que l’État Français et Dongfeng prennent la main. Cet accord représente un montant de 3 à 4 milliards d’euros.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Selon le Financial Times, Peugeot et Dongfeng viennent de conclure un accord de 3 à 4 milliards d’euros, qui aura pour conséquence de faire perdre le contrôle de la société à la famille Peugeot. Quelles sont les causes de cette situation ?

Nicolas Goetzmann : Peugeot est véritablement le symbole du phénomène macroéconomique qui est à l’œuvre en Europe depuis l’entrée en crise. Bien évidemment les erreurs stratégiques, dont le manque de dépenses en innovation, ont largement pesé dans la débâcle actuelle du groupe et l’obligent à prendre cette position défensive, car il s’agit bien d’un sauvetage. Mais Peugeot n’est pas qu’un symbole, c’est surtout 100 000 employés en France.

Pour comprendre cette situation il faut avoir à l’esprit que Peugeot dépend presque entièrement du marché automobile européen, et notamment des pays du sud de l’Europe : France, Italie, Espagne, ou encore le Portugal. Ses concurrents allemands sont également positionnés sur ces marchés, mais sont aussi fortement présents sur les marchés émergents, notamment Volkswagen qui détient 20% du marché chinois.

Alors à partir de ce constat, il faut se rendre compte que Peugeot dépend presque entièrement de la demande européenne c’est-à-dire du bon vouloir de la politique monétaire de la BCE. Volkswagen est par contre tributaire d’autres marchés qui dépendent d’autres banques centrales, et ces banques soutiennent largement la demande, la Chine, les États-Unis par exemple qui sont des marchés gigantesques.

A partir de ce constat, soit on fait le reproche à Peugeot d’avoir mis tous ses œufs dans le marché européen tout en acceptant que la BCE ravage l’industrie, soit on fait attaque directement la BCE pour qu’elle puisse soutenir la demande intérieure européenne, comme le font tous les autres pays du monde.

Cette situation est scandaleuse, il est peut-être temps de comprendre que la politique menée par la BCE comprime l’activité économique bien en deçà de son potentiel. Si nous avions une banque centrale comme les autres, c’est-à-dire  une banque qui  adapte la demande intérieure au potentiel de l’économie, Peugeot vivrait, et ce sans besoin de perfusion. Au lieu de cela, Peugeot est aujourd’hui bradé dans un accord qui consiste à transférer la technologie du premier producteur français à Dongfeng Motor, et à produire des véhicules destinés au marché chinois.

Le déclin industriel est-il une fatalité pour la France ?

Dans les conditions actuelles, ce n’est même pas une fatalité, c’est un projet. Les dirigeants politiques constatent jour après jour le déclin industriel, la perte d’emplois, la précarisation de la société, la stagnation des salaires, l’explosion du chômage, et aucune question n’est posée sur la cause de ce phénomène. Il y a une acceptation du déclin qui est en marche. C’est-à-dire que par un curieux mécanisme, nous trouvons normal de décliner, parce que nous estimons que le temps est venu de manger notre pain noir. Ce déclinisme est une blague, il n’y a aucune raison objective à une telle situation, il n’y a qu’une cause qui est l’absence de réflexion sur le rôle de la politique monétaire dans une économie. Il semblerait que le transfert de souveraineté monétaire vers la BCE ait engendré un arrêt pur et simple de toute réflexion sur ce sujet.

Aux États-Unis, le débat est d’une extraordinaire vivacité depuis l’entrée en crise, et l’approche monétaire y a été bouleversée. Grâce à ce sursaut, les États-Unis repartent avec un taux de croissance de 3,6% pour le dernier trimestre et un taux de chômage de 7%.

Est-il possible de réfléchir sérieusement sur ce sujet ? Et bien non, car réfléchir sur la politique monétaire serait un outrage porté à l’euro, à la construction européenne et à la paix dans le monde. Le blocage est phénoménal, alors que la recherche académique du monde entier a pu pointer les déficiences monétaires au cœur de la crise, nous restons sourds. Le Japon, l’Australie, le Canada, le Royaume Uni, les États-Unis…ils agissent tous, et l’Europe se drape dans la position méprisante de celui qui sait mieux que les autres. Pendant ce temps, tout le monde est reparti vers la croissance, tandis que l’Europe s’approche doucement de l’abîme.

Quelles sont les leviers que la France, et l’Europe peuvent actionner pour enrayer ce phénomène ?

Déjà il faudrait comprendre ce qui se passe. C’est-à-dire poser le diagnostic macroéconomique qui convient, celui d’une crise monétaire. Cela était le cas en 1929, c’est également le cas du Japon de 1997, et le cas de la grande récession de 2008. Une fois le diagnostic posé, ce n’est pas très compliqué en théorie mais une sérieuse discussion au niveau européen devra s’imposer. Il faut modifier les statuts de la Banque centrale européenne, et lui donner un double objectif, comme aux États-Unis, stabilité des prix et recherche du plein emploi.

En modifiant son objectif, la banque n’aura d’autre choix que de mettre en action un immense plan de relance monétaire qui viendra restaurer l’activité économique européenne vers son niveau potentiel. L’Europe a perdu environ 20% de PIB depuis l’entrée en crise, si l’on tient compte de ce potentiel. Avec ça, il ne faut pas s’étonner de constater un tel niveau de chômage ou comme j’ai pu le lire, une tiers-mondisation de la Grèce qui compte 20% de sa population dans une situation de pauvreté "dure".  Les dirigeants européens doivent se rendre compte qu’il n’y a pas d’avenir pour l’euro si les statuts ne sont pas modifiés. Il ne s’agit pas d’un caprice, il s’agit de survie. 

Pour en savoir plus sur ce sujet, lisez le nouveau livre de Nicolas Goetzmann :Sortir l'Europe de la crise : le modèle japonais, (Atlantico éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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