Et le Sénat priva les médias en ligne du bénéfice de la loi de 1881 sur la liberté de la presse (puisque le journalisme n’existe que sur papier, c’est bien connu)<!-- --> | Atlantico.fr
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La presse en ligne, ce n'est pas de la vraie presse, c'est bien connu.
La presse en ligne, ce n'est pas de la vraie presse, c'est bien connu.
©Charles Platiau / Reuters

Internet is evil

Dans le cadre du projet de loi de lutte contre le terrorisme, le Sénat vient de proposer un amendement consistant à priver la presse en ligne du bénéfice de la liberté de la presse. Une disposition qui révèle l'étrange vision du législateur vis-à-vis des médias en ligne, et qui, en mettant l'univers numérique à l'écart, constitue une nouvelle régression.

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon est sociologue, spécialiste des médias et chercheur au CNRS. Il a notamment co-dirigé avec Arnaud Mercier l'ouvrage collectif Armes de communication massives : Informations de guerre en Irak 1991-2003  chez CNRS Éditions

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Atlantico : Dans le cadre de l'infraction contre l'apologie du terrorisme, inclu dans le projet de loi de lutte contre le terrorisme, le Sénat vient de proposer un amendement consistant à retirer le bénéfice de la loi de 1881 relatif à la liberté de la presse aux médias en ligne. Quelles pourraient être concrètement l'impact d'une telle mesure, si elle est adoptée, sur la consommation de presse en ligne pour les lecteurs ?

Jean-Marie-Charon : Serait-ce le retour aux vieux démons français qui ont conduit à lever les dispositions de la loi sur la liberté de la presse au lendemain de chaque entrée en guerre, en 1914, comme en 1939 ? Surtout c’est la manifestation d’une attitude récurrente du législateur qui partant d’une situation, à chaud, prétend régler les problèmes posés en produisant de nouveaux textes, comme si ceux qui existaient n’envisageaient pas des situations similaires :Internet permettrait de faire l’éloge du terrorisme et surtout de conseiller les candidats à de tels actes. Comme si déjà la presse, le tract, le livre et toute une gamme d’opuscules, supports vidéos divers, etc. n’avaient pas eu la même fonction, la loi de 1881 prévoyant ainsi une longue série d’exceptions au principe de liberté de la presse. La loi de 1881 est à cet égard fort éloignée du 1er amendement de la constitution américaine. Ne s’agit-il pas, une fois de plus, de dispositions en contradiction de l’article 10 de Convention Européenne des Droits de l’Homme, dont l’esprit échappe décidément bien souvent aux législateurs français.

Le législateur ignore-t-il que les messages qu’il entend poursuivre ne sont pas disponibles sur des sites d’éditeurs de presse en ligne ou tout autre fournisseurs de contenus respectueux de la loi, celle-ci établissant depuis 2004 les échelles de responsabilité. C’est-à-dire que les canaux de distribution des messages les plus problématiques échappent à ceux-ci, alors que le nouveau texte ferait planer une sorte de suspicion à leur égard. Repousser toujours plus ce qui pourrait être considéré comme apologie du terrorisme (qui aura à en juger et l’apprécier ?), à l’extérieur des médias, à commencer par la presse en ligne, c’est verser encore un peu d’huile sur le feu des tenants du grand complot ourdi par les médias. Il faut que les médias répondent à ce "droit du public à être informé" cœur de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et cela d’autant plus qu’il s’agit d’une question aussi cruciale de la vie de nos sociétés.

Dans quelle mesure celle-ci pourrait témoigner d'un décalage de la conception de la presse par les rapporteurs Jean-Jacques Hyest et Alain Richard ?

Il s’agit une fois encore d’une sorte de syndrome des politiques français trop promptes en matière de média et d’information à prendre l’effet pour la cause. Les travaux sur la réception des messages des médias ont pourtant établi depuis longtemps qu’un message n’a d’effet que pour autant que celui qui le reçoit est prédisposé par son vécu, son histoire personnel, les problèmes qu’il vit, à en faire un motif d’action, d’évolution de son comportement. La réceptivité à l’égard des messages d’organisations terroristes, n’est pas affaire de médias, mais bien d’un contexte social, culturel, politique. C’est-à-dire que c’est là que se situe la lutte contre le terrorisme et non pas une fois de plus dans cette tentation d’encadrer le travail des médias.

Peut-on y voir un aveu d'échec, ou un manque de bonne volonté de la part du législateur à mieux cadrer ce lieu d'expression, en l'envisageant paresseusement dans sa globalité ?

Jusqu’à présent le travail du législateur en France a plutôt raisonnablement su intégrer l’univers du numérique dans le cadre législatif des médias. D’aucuns ont reproché la lenteur des évolutions législatives, elles ont pourtant su, petit à petit, identifier les questions particulières à l’Internet qu’étaient d’abord celle de l’exercice de la responsabilité, puis celle de l’exercice d’une activité proprement éditoriale en matière d’information (loi de 2004 et 2010). Une disposition qui mettrait aussi clairement à l’écart l’univers du numérique, pourrait apparaître de ce point de vue comme une régression, vis-à-vis de l’ambition de traiter dans le même cadre juridique l’ensemble des moyens d’information. Sorte de retour à une situation qui perdura si longtemps à propos de l’audiovisuel.

Comment analyser justement l'attitude du législateur français vis-à-vis des médias "pure-player" au vu des textes adoptés ces dernières années ?

La loi du 12 juin 2009, deux ans après l’apparition des premiers pure players en France, en créant un statut "d’éditeur de presse en ligne" offrait un cadre largement adapté au développement de nouveaux éditeurs d’information numériques non adossé à un ancien média. Celui-ci est d’ailleurs plus important dans notre pays que chez nos voisins européens. Les retards ou discriminations se situent en revanche dans les textes qui continuent d’écarter, ou de traiter moins favorablement, les pure players par des certaines aides qui vont davantage soutenir les développements numériques des anciens médias, sans parler de l’application d’un taux de TVA plus élevé que celui que peut pratiquer la presse traditionnelle, le fameux taux de 2,1%. Il faut cependant reconnaître que sur ce point les réglementations européennes constituent un frein.

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