Et en même temps : quand Emmanuel Macron tente de bénéficier de l’aura de fortes personnalités à l’esprit rebelle au sein de la sphère politique et médiatique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron personnalités Didier Raoult hydroxychloroquine Geoffroy Lejeune Valeurs Actuelles Philippe de Villiers
Emmanuel Macron personnalités Didier Raoult hydroxychloroquine Geoffroy Lejeune Valeurs Actuelles Philippe de Villiers
©AFP

Bonnes feuilles

Corinne Lhaïk publie "Président cambrioleur" aux éditions Fayard. Emmanuel Macron se plaint souvent de ne pas être compris. Ce livre est une enquête critique au coeur de son parcours, de sa manière de gouverner. Ce président cambrioleur, on l’admire plus qu’on ne l’aime. Extrait 1/2.

Corinne Lhaïk

Corinne Lhaïk

Corinne Lhaïk est journaliste. Après avoir dirigé le service politique du magazine L’Express, elle rejoint la rédaction de L’Opinion en janvier 2020. Elle suit le parcours d’Emmanuel Macron depuis 2011.

Voir la bio »

Quand il était ministre de l’Économie, Emmanuel Macron se tenait à l’écart de Bernard Tapie. Par prudence, il ne voulait pas s’afficher d’une manière ou d’une autre avec celui qui était en procès pour l’affaire du Crédit Lyonnais. Tapie, pourtant, lui voulait du bien, il pensait à la carrière du jeune ministre, et sentait en lui le type qui pourrait parler à Marseille jusqu’à en devenir maire. Avec son aide.

Quatre ans plus tard, le président ne fuit plus ce Vautrin revenu de tout, la chanson, la politique, l’entreprise, la prison, longtemps hésitant entre bonnes et mauvaises manières, finalement anobli par la maladie. Macron reste prudent, refuse d’évoquer ses affaires, mais écoute l’instinct de l’aventurier. Ce printemps, Tapie lui rend visite à l’Élysée. « C’est quoi mon problème ? » lui demande Macron. « Président, vous allez vous faire buter à la Kennedy. Il y a dans ce pays dix mille mecs qui se suicident chaque année, il y en a bien un qui le fera en vous tuant. » À l’Élysée, on n’a pas le souvenir de tels propos, mais a-t-on envie d’écouter ceux qui prédisent l’apocalypse ? On préfère le Tapie sociologue qui, pendant le mouvement des gilets jaunes, a repéré ces femmes seules à la peine pour élever leurs enfants. L’Élysée crée des murs infranchissables.

L’intuition d’un Johnny Hallyday qui va chercher Jean-Jacques Goldmann et Michel Berger quand sa carrière vacille, le bon sens d’un Jean-Marie Bigard qui ne dit pas que des blagues grasses, plaisent à ce président issu de l’élite. Macron aime les gens qui ont du pif. Qu’ils dérangent l’ordre établi et sautent dans les flaques d’eau dès qu’ils en voient une ajoute à leur attractivité.

Les Raoult, Villiers, Dupond-Moretti, Houellebecq l’amusent ou l’intéressent, le plaisir personnel se mêlant au calcul politique. Que leur marginalité soit innée ou acquise, spontanée ou travaillée, peu importe, ce qui compte c’est de skier hors-piste. Lui-même adore les joies de la transgression, mais quand on est au pouvoir…

Alors il recherche dans ces fréquentations le piment qu’il ne peut plus mettre dans les idées. Le 9 avril 2020, il s’invite à Marseille chez Didier Raoult. Le bureau du héraut de l’hydroxychloroquine raconte le parcours et l’homme, des trophées africains, trois photos. Raoult avec Chirac, Raoult avec Sarkozy, Raoult avec Hollande. A été rajouté un cliché, en date du 5 mars 2020 : Raoult avec Macron. Le tigre marseillais conseille le président sur les tests et la nécessaire mobilisation des vétérinaires. Il parle aussi de sa ville, des gitans, des pauvres. Macron prend ce qu’il y a à prendre : le chercheur est un phénomène social, il ne peut l’ignorer.

Ces escapades disruptives le mènent rarement à gauche, plus souvent à droite. C’est cet imaginaire-là qu’il aime caresser, cette manière de sculpter la violence avec les mots, qu’il trouve auprès d’un Philippe de Villiers, vif et réfractaire. Au passage, un flirt souverainiste ne peut pas faire de mal en ces temps de reconquête du Doliprane. Parler à un Éric Zemmour, polémiste populaire dans cette même droite, non plus. Quand l’auteur du Suicide français est victime d’une agression, à Paris, il l’appelle. Ils parlent une demiheure, de l’immigration notamment. Pour contacter Zemmour, il faut son 06. L’Élysée le demande à Geoffroy Lejeune, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles. L’hebdomadaire publie l’information en exclusivité. Le moins que l’on puisse dire est que Macron n’a pas cherché à la cacher. D’ailleurs, il arrive au président de contacter lui-même Le Canard enchaîné pour nourrir sa fameuse page 2.

Macron trouve que Zemmour est intelligent. Il l’a dit à un journaliste de Valeurs actuelles lors d’une interview. Il ne voulait pas que cela soit publié. Cela ne l’a pas été, mais cela s’est su. Pour un président de la République, accorder un entretien à cet hebdomadaire qui fait système de l’anticonformisme et sert d’agent d’accueil aux droites sous toutes leurs formes, c’est comme parler pendant une représentation de Tannhäuser, ça fait scandale.

En octobre 2019, Emmanuel Macron se confie à Louis de Raguenel, l’un des journalistes du magazine, dans un avion, au retour d’un déplacement à Mayotte et à la Réunion. Il détaille sa politique migratoire, le fond est conforme à sa pensée, le ton est parfois cru. Et encore, il a été expurgé à la relecture par l’Élysée. À un moment, le chef de l’État veut illustrer la difficulté de recruter dans certains métiers et le recours à des migrants sans papiers pour occuper ces jobs. « À La Rotonde, les deux patrons sont auvergnats, dit-il, mais dans les cuisines, c’est des clandos. » Cette phrase disparaît.

Emmanuel Macron ne déteste pas s’afficher avec la jeune équipe de Valeurs actuelles. Le 18 avril 2019, il décore l’écrivain Michel Houellebecq. Dans son discours, le chef de l’État met en scène l’incongruité de la scène : « Vous êtes populiste, antieuropéen, misogyne et pourtant vous allez être décoré par un président progressiste, européen et féministe. » Ce qui justifie que l’on écrase les barrières ? La littérature.

Parmi les invités de l’écrivain, Alain Finkielkraut, Frédéric Beigbeder et deux journalistes de Valeurs actuelles, Charlotte d’Ornellas, et le directeur de la rédaction, Geoffroy Lejeune. Après les discours, ces deux discutent avec quelques conseillers de l’Élysée, Bruno Roger-Petit, Laurent Hottiaux, à l’écart du gros de la troupe entourant le président. Maîtresse de maison attentive, Brigitte Macron repère leur isolement et leur propose de visiter les lieux. Frédéric Beigbeder se joint à l’exploration du palais, ça blague, ça rigole. Une heure plus tard, quand le petit groupe revient dans la salle des fêtes, le président est toujours là. Les invités sont sur le départ et les journalistes de Valeurs actuelles s’approchent d’Emmanuel Macron pour prendre congé. Mais celui-ci les retient : ils n’ont pas eu le temps de parler. Et le voilà qui les attaque, la mine gourmande, il a envie d’en découdre. Les journalistes aussi.

Trois jours plus tôt, Notre-Dame de Paris a brûlé. Geoffroy Lejeune félicite le président pour le discours qu’il a prononcé à la volée, le soir du 15 avril, au pied de la cathédrale, mais critique vertement le texte, jamais officiellement diffusé, que le président avait enregistré quelques heures avant. Il y tirait les conclusions du grand débat, sa réponse au mouvement des gilets jaunes. Un propos techno, désincarné, balance Lejeune, en contraste avec la corde de l’Histoire, de la littérature, de l’imaginaire que Macron fait vibrer devant les flammes.

Notre-Dame de Paris rassemble, les gilets jaunes divisent. De ce mouvement, le président perçoit la violence. Il sait qu’il a failli y laisser sa peau. Devant Charlotte d’Ornellas et Geoffroy Lejeune, il fait « couic » en simulant le geste d’un couteau sur sa gorge.

Les jeunes gens de Valeurs actuelles, eux, retiennent surtout la colère des ronds-points. Une colère française, donc légitime. Mais incomprise. Les politiques ne savent pas répondre à cette demande, objecte Charlotte d’Ornellas. Les gouvernements populistes, si. Ils ne sont pas ce que l’on croit dit la journaliste.

Et puis retour à Notre-Dame, c’est parfois bon d’être d’accord. « Votre discours improvisé du 15 avril était la meilleure réponse aux gilets jaunes », dit Charlotte d’Ornellas. Parce qu’il donne de la chair à la France, à des Français qui ne se sentent plus liés. « Vous n’avez pas complètement tort », répond Macron.

Le feu ne prend pas seulement dans les cathédrales. Fin août 2020, l’hebdomadaire publie des dessins de Danièle Obono, députée de La France insoumise. Elle est dépeinte en esclave, collier autour du cou. Une élue de la République est attaquée, quoi qu’il pense de ses prises de positions politiques, le chef de l’État doit réagir. Il décroche son téléphone pour lui dire son soutien. À Valeurs actuelles, on se sent lâché. Geoffroy Lejeune rétorque par un SMS à Macron, pour lui dire que cet appel à Danièle Obono ressemble à une réhabilitation des idées de la députée.

Normalement, Valeurs actuelles ne devrait pas aimer du tout Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. N’est-il pas plutôt du genre à vider les prisons quand la droite dure voudrait les remplir ? Le voilà donc campé à gauche. Mais il défend les chasseurs, vilipende les ayatollahs de l’écologie, les thuriféraires de Metoo. Et le balancier retourne à droite. Inclassable, fort en gueule, bourru, il était calibré pour devenir le porte-drapeau d’une équipe qui pique, celle née du remaniement de juillet 2020.

Après trois années marquées par le gouvernement des choses et un quatuor de technocrates, dont lui-même, Emmanuel Macron veut renouer avec sa geste. Désormais, il faut in-car-ner. À l’Intérieur, Gérald Darmanin respire le flic ; à la Culture, Roselyne Bachelot joue Mme Sans-Gêne ; à la Justice, Dupond-Moretti n’a peur de personne sur sa Harley Davidson. Philippe de Villiers, qui l’a pris pour avocat dans l’affaire de l’anneau de Jeanne d’Arc, convoité par les Anglais, l’aime bien. « J’ai passé trois heures avec lui, en compagnie de mon fils Nicolas, raconte le président du Puy du Fou. Il nous a dit : “Vous me plaisez bien tous les deux”, et il nous a aidés à garder ce que les Anglais voulaient récupérer. Il n’a pas eu besoin de plaider, il nous a donné des conseils, de manière gratuite et amicale. »

Heureux les fêlés, parce qu’ils laissent passer la lumière. Le président a fait sienne cette réplique d’Audiard. Il préfère un dingue à un major de l’ENA. Il a beau être sorti cinquième de cette école, il se voit comme un transgressif, qui s’est construit en disant merde aux convenances. Dans sa vie personnelle, nul besoin de faire un dessin. Dans sa vie politique, il a réussi un strike, comme on dit au bowling, il a fait tomber toutes les quilles en une seule fois.

C’est cette part de rébellion qu’il va chercher chez les autres. Chez les « dingues », mais aussi chez ceux qui ont détourné leur destin. Pourquoi Marseille le passionne ? « Parce que cette ville grouille, les gens sont différents, les cultures s’y mélangent, répond Jean-Marc Borello, natif d’Aix-en-Provence et cofondateur d’En Marche ! Il ressent une tendresse pour des gens qu’il a croisés, issus des quartiers nord de la ville et qui s’en sont sortis. »

Borello, soixante-deux ans, a voyagé, dans la politique avec Gaston Defferre, dans le monde de la nuit avec Régine puis au Palace, dans l’entrepreneuriat social avec le groupe SOS qu’il a créé, dans la lutte contre le sida et la toxicomanie. Les deux hommes se rencontrent à Sciences Po, à la jointure des siècles. Borello est maître de conférences en questions sociales. Parmi ses étudiants, tous brillants, un seul fait de la philo le week-end, plutôt exotique. Il repère cet Emmanuel Macron, un peu spécial, l’appelle vite « mon grand », bien qu’il le dépasse en taille et en âge, bien que l’ancien élève soit président de la République aujourd’hui. Emmanuel Macron le bombarde de questions, sur son parcours, les univers qu’il a côtoyés, la drogue notamment. Ses curiosités montrent qu’il n’y a jamais touché.

Emmanuel Macron aime que la réussite se joue des pesanteurs de la naissance. Celles qui vous plombent parce que vous n’êtes pas né au bon endroit ; celles qui vous donnent des atouts qui ne doivent rien à vos qualités. L’individu est libre et responsable, Emmanuel Macron s’applique cette vision à lui-même. L’ancienne sénatrice PS Bariza Khiari se souvient de la rencontre qu’elle organise entre Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, et le club du XXIe siècle, instrument de promotion de la diversité. « Je l’ai présenté en disant : “On sait qu’il est bardé de diplômes, mais pour nous, là n’est pas l’essentiel. Contrairement à d’autres, il a l’expérience du monde du travail, de la subordination, et ça c’est très important pour nous.” Ensuite, Emmanuel Macron fait un discours sur les questions d’identité, il est social-libéral, ça ne pouvait que plaire aux participants, issus de l’immigration. Pour lui comme pour nous, la compétence efface l’appartenance. »

Extrait du livre de Corinne Lhaïk, "Président cambrioleur", publié aux éditions Fayard

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !