Et Emmanuel “Majax” Macron dispensa sa leçon aux Français… mais sans révéler quels tours il compte utiliser<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron, s'est exprimé lundi 17 avril à 20 heures après la promulgation de la réforme des retraites.
Emmanuel Macron, s'est exprimé lundi 17 avril à 20 heures après la promulgation de la réforme des retraites.
©Ludovic MARIN / AFP

Opération séduction

Emmanuel Macron s'est exprimé lundi à 20 heures après la promulgation de la réforme des retraites. Le chef de l'État a présenté une nouvelle feuille de route pour le gouvernement et trois grands chantiers : le travail, la justice et le progrès.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

Voir la bio »
Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »
Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Atlantico : Emmanuel Macron a dans une courte allocution tenté de tourner la page de la réforme des retraites, reconnaissant un manque d’adhésion à celle-ci tout en rappelant sa nécessité, il a surtout proposé trois chantiers pour l’avenir. Est-ce que ces chantiers sont à même de lui permettre de renouer avec les Français ? 

Jean Petaux : 13 minutes 59 secondes c’est, en effet, le temps que dure l’intervention du président de la République et telle qu’elle figure, en replay, sur le site internet officiel de l’Elysée. Le ton s’est voulu tout à la fois solennel (le décor du bureau élyséen, les drapeaux, le parc en arrière-plan) et direct pour ne pas dire familier (emploi de termes comme « courses », « hausse des prix ») et surtout une forme de reconnaissance que l’adhésion des Français a été au « abonnés absents » en ce qui concerne une réforme des retraites de nouveau présentée comme « nécessaire ». Nécessaire pour trois raisons selon Emmanuel Macron : face au déficit des régimes de retaite (considéré comme acté, ce qui n’est pas l’opinion de tous les experts, y compris des plus « neutres » tels que le Conseil d’Orientation des Retraites  - le COR – beaucoup plus prudent dans ses scénarii) il n’était pas  question selon le PR (Président de la République) de laisser s’accumuler les déficits ou de baisser les pensions ou d’augmenter les cotisations pour ceux qui travaillent actuellement. On le mesure en reprenant le propos du chef de l’Etat : « la réforme était nécessaire, je l’ai faite, elle a été globalement validée par le juge constitutionnel, je l’ai donc promulguée dans la foulée de la décision des « Sages de la rue Montpensier » et donc, maintenant « on passe à autre chose » ».

Il n’est pas du tout certain que cet « enjambement » du contentieux actuel recueil l’assentiment d’une majorité de Français. Emmanuel Macron est assez coutumier d’un discours que l’on peut qualifier de « performatif ». En d’autres termes, comme l’a analysé en son temps le grand linguiste et sémiologue britannique John L. Austin, Emmanuel Macron produit ce que l’on appelle des « actes de langage ». Il considère que « dire » c’est « faire ». Dire que la séquence « retraite » est terminée, que l’agenda qui la concerne est refermé revient à considérer que tous les Français le pensent aussi… « C’est là qu’est l’os hélas » disait Louis de Funes dans « La Grande Vadrouille » constatant que les avions qui devaient permettre de franchir la Ligne de Démarcation n’avaient pas de moteur, tout simplement… Au moins jusqu’au 3 mai, date de la prochaine décision du Conseil constitutionnel portant sur la proposition d’un nouveau Référendum d’Initiative Partagée déposée par 250 parlementaires d’opposition à la « majorité parlementaire » il ne faut pas vraiment compter que les forces syndicales et les partis politiques répondent à l’invitation du locataire de l’Elysée. En matière de deuil, avant d’envisager le remariage, le Code civil napoléonien disposait d’une notion parfaitement phallocrate qui s’appelait « le délai de viduité » : il fallait attendre neuf mois pour qu’une veuve puisse se remarier. En l’espèce, il n’est pas question d’un tel délai pour que les Français acceptent d’accorder une confiance toute relative au chef de l’Etat et surtout pour que les corps intermédiaires, à l’égard desquels le Président a tenu des propos très attentionnés voire louangeurs (après les avoir largement « taclés » ces dernières semaines) retrouvent le chemin du dialogue. S’il n’est pas question de « délai de viduité », appelons cela un « délai de cautérisation » ou de « convalescence »… A moins que cela s’appelle tout simplement « de respect »…

Arnaud Benedetti : Emmanuel Macron est venu, a lu son prompteur et n'aura pas convaincu. A partir du moment où il ne voulait pas répondre politiquement à une crise sociale et politique, mais se limiter au philtre communicant, il ne fallait pas s'attendre à autre chose. Sa parole était moins hautaine mais toute aussi lointaine. Une sensation d'apesanteur se dégageait de ses mots , comme s'il n'était pas dans le même espace-temps que ces segments de l'opinion pour lesquels , force est de le constater, il est devenu le problème. Il n'est plus en campagne mais il a décliné une sorte de programme qui au demeurant ne contient rien de fondamentalement nouveau. A contre-temps et à contre-emploi car ni en campagne et plus candidat, il a hypertrophié son personnage qui est à l'arrêt . Il n'est ni en marche et ne paraît même plus capable si ce n'est de renaître mais même de se réinitialiser. Les français veulent un rassembleur, ils ont tout juste eu le droit à un candidat qui s'essaye à passer son oral de rattrapage. Et ce fut raté ! 

Qu’avez-vous pensé de l’allocution d’E. Macron ? 

Philippe Crevel : Avec sa prise de parole hier, Emmanuel Macron réaffirme son positionnement, un promesse électorale transcrite dans la loi. Il considère que ces étapes étaient obligatoires. Il réaffirme la valeur travail qui est en difficulté (la formation, prise en compte de la pénibilité, RSA, productivité) puisque son discours est dans la continuité de la réforme des retraites. 

Par son allocution il tente aussi de renouer avec le social, Bien que ça soit difficile avec les partenaires sociaux. Il a aussi repris une série de promesses dans le prolongement de ce qu’il avait annoncé en 2022. 

N’a-t-il pas malgré tout un manque de précision sur la manière dont il veut mettre en place ce qu’il veut mettre en place ?

Philippe Crevel : Il y a toujours un déficit de pédagogie sur le long et moyen terme. Comme à travers ce discours Macron voulait parler de nombreux sujet, on en perd un peu sur ou il veut emmener la France. Il faut essayer d’être plus ferme sur les mesures et ça aurait mérité plus de force sur certains points centraux.

Est-ce que ses objectifs ne sont-ils pas trop optimistes au regard du contexte actuel ? 

Philippe Crevel : Certes, nous avons des problèmes de croissance et de compétitivité extérieure qui, pour l’essentiel, seraient résolus en mettant plus de français au travail. Cependant, il manque de perspectives fortes et claires et surtout, de pédagogie.


"Travail", "justice et ordre républicain et démocratique" et "progrès". Derrière les mots, à quel point le président s’enferme-t-il dans une forme de pensée magique sans considération pour la faisabilité de ses annonces, a fortiori en donnant rendez-vous au 14 juillet ? 

Jean Petaux : Une lecture un peu taquine de l’intervention présidentielle pourrait retenir les efforts quelque peu pathétiques pour « recoller la porcelaine » largement éparpillée. A certains égards le chef de l’Etat donnait l’impression d’être dans le rôle du mari infidèle (on ne poussera pas plus loin la comparaison) qui multiplie les gestes positifs à l’égard de son épousée largement trompée afin de reconquérir ses bonnes grâces… A moins que cela ne soit le « costume » de l’amant délaissé qui voit partir sa « dulcinée »… Comme le chantait Jacques Brel dans « Ne me quitte pas » : « Moi je t'offrirai / Des perles de pluie / Venues de pays / Où il ne pleut pas / Je creuserai la terre / Jusqu'après ma mort / Pour couvrir ton corps / D'or et de lumière / Je ferai un domaine / Où l'amour sera roi / Où l'amour sera loi / Où tu seras reine »…

Voilà donc que s’ouvrent trois chantiers qui sont destinés à être trois « œuvres ouvertes » où l’on pourra discuter de tout « sans tabou » (dixit Emmanuel Macron). Comme autant de compensations à la réforme des retraites qui n’est pas passée dans l’opinion publique, ces trois chantiers sont « open » et « les Français seront rois ou reines » »… Puisque la loi fera en sorte qu’au travail, ou qu’en matière de justice, d’école, d’hôpital ou que dans les zones rurales, tout aille mieux… On comprend bien que les Français vont devoir faire un certain effort pour donner crédit et acte au Président de ces intentions positives…

Le petit couplet final sur la Première ministre en charge de mettre tout cela en musique est bien tout à la fois une réponse à la remarque de la principale intéressée réclamant, alors que le chef de l’Etat était en Chine, un « axe » pour savoir dans quelle direction il fallait aller et une manière de se réserver une sanction future à son égard si « ça ne fonctionne pas »… 

Peut-être que l’on peut assimiler les propos d’Emmanuel Macron tenus aux Françaises et aux Français ce 17 avril au  soir à une forme de « pensée magique ». Pour ma part j’y verrai plutôt une tentative assez audacieuse pour détourner les Français de leur contestation récente qui a le goût amer de l’inachevé. Les produits mis en devanture sont assez séduisants et attirants, pas sûr que, cette fois-ci, le magicien du verbe réussisse son coup de bonneteau et parvienne à détourner la majorité de son auditoire d’une colère et d’une hostilité quand même bien ancrées et qui n’ont pas l’intention de retomber rapidement.

Arnaud Benedetti : Son intervention est le produit de la situation et de sa mauvaise réponse à cette dernière. La situation c'est une addition de refus : celui de l'opinion , des syndicats, et de plus en plus celui des parlementaires. L'avarie est triple . D'une crise sociale , l'exécutif par sa méthode unilatérale en a fait une crise politique ; d'une crise politique, par son comportement collectif empreint de brutalité communicante et de déni de la réalité, il est en passe d'en faire une crise de régime , ou comme le dit Monsieur Berger, à la suite d'autres qui le pronostiquent depuis des mois, voire des années , une crise démocratique. Je note d'ailleurs au passage que la deuxième gauche, celle de la CFDT et d'autres encore , qui n'est pas pour rien dans cette crise par son indifférence depuis des années à la question de la souveraineté tente de préempter ce constat après en avoir très peu jaugé le caractère pourtant existentiel ... La lucidité est comme la résistance : les derniers convertis sont ceux qui font le plus de bruit. Or, néanmoins, cette révélation dit quelque chose des fissures intellectuelles et politiques qui sont en train de travailler le bloc macroniste à laquelle appartient cette deuxième gauche. Ce sont bien certaines des racines du macronisme qui entrent en dissidence. Cette crise des retraites est aussi la première crise interne au bloc macroniste. C'est ainsi qu'il convient de l'analyser. Quant aux 100 jours , par-delà la formule peu innovante sur le fond, il faut la lire comme le renouvellement du cdd accordé à une Première ministre en sursis


Il y a tout ce qu’Emmanuel Macron a dit, et tout ce qui se dessine en creux dans son discours. Que faut-il y lire ?   

Jean Petaux : Emmanuel Macron a le sens de la métaphore. Comparer la « reconstruction de la France » avec celle de Notre-Dame-Paris ravagée par un incendie il y a pratiquement quatre années est, tout à la fois, habile, audacieux et assez malhonnête. Pour le dernier qualificatif cela tient tout simplement au fait que les situations ne sont absolument pas comparables… On voit bien le « sous-texte » de la déclaration d’Emmanuel Macron, à travers son hommage aux milliers de Français qui se sont manifestés et engagés pour « sauver Notre-Dame » : « les Français sont capables du meilleur quand ils arrêtent de se tirer une balle dans le pied »… Ou encore : « Arrêtez de pleurnicher sur cette réforme des retraites que vous n’êtes pas parvenus à arrêter, passez à autre chose et ça ira mieux »… Et ainsi, tout comme, contre toute attente (« Qu’est-ce que je n’ai pas entendu ?…  quand j’ai dit que Notre-Dame serait reconstruite en cinq ans et bien j’avais raison » (sic)), ce sera la même chose pour la France… 

L’intervention élyséenne de ce soir tenait tout à la fois du catalogue des bonnes nouvelles, de la liste au Père Noël et du discours programmatique pour les 4 ans qui viennent. Manière de dire que le quinquennat est tout sauf terminé et que le locataire de l’Elysée ne veut pas être le nouveau « Chirac impuissant » des années 2020 et que, en y mettant un peu du leur, les Français ont, devant eux, de fort belles années… « Discours performatif » vous dit-on ! Mais, par ailleurs, peut-il en être autrement quand on sait qu’en 2027 la fin du quinquennat sonnera, pour Emmanuel Macron, comme la fin de sa vie politique nationale…

Arnaud Benedetti : Il essaye tout simplement de jouer la montre, de gagner du temps , en espérant que celui-ci soit son meilleur allié comme il a été souvent jusqu'à maintenant. Or la situation s'est inversée : le temps est en train de devenir son pire ennemi. Il corrode son mandat, il le devitalise, il l'immobilise et surtout il entrouvre un horizon d'attente de quatre années dans une atmosphère de " fin de partie", explicitant que la réélection d'Emmanuel Macron est d'abord le fruit d'un malentendu. Il en est contraint à gérer son mandat petitement, à espérer que le " gros temps" se dissipe , à être d'un conformisme absolu dans sa réponse, sans autre solution que de répéter une énième leçon de communication dont l'enseignement nous à du " déjà vu ". Il est aujourd'hui dans une situation de tension assez proche de celle des " gilets jaunes " mais sans l'amortisseur d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale ; et avec un paradoxe supplémentaire : durant le mouvement des "gilets jaunes " l'exécutif alors se plaignait de ne pas avoir des interlocuteurs structurés pour discuter et négocier ; ici et maintenant il en a, ce sont les syndicats, mais il a coupé lui-même les passerelles avec ces derniers. Des lors face à ce qu'il appelle la foule, Emmanuel Macron peut toujours se placer sous la protection de Notre-Dame. La reconstruction à laquelle il semble aspirer pour son mandat nécessitera cependant qu'il soit en mesure de faire pénitence... En-est il sincèrement capable ? 

Sur la réforme des retraites, est-ce qu’il ne l’a pas justifié par la volonté de créer des richesses et des marges plutôt que par la nécessité de sauver le système ?

Philippe Crevel : La réforme des retraites était l’un de ses engagements de campagne. Il s’est engagé à créer de la richesse mais aussi à répartir les charges. J’aurai préféré qu’il reprenne cette réforme systémique qui aurait pu s’inscrire dans un projet ambitieux de refonte qu’il a abandonné un peu à cause d’Édouard Philippe. Il est vrai que cette réforme ne résout que la moitié du problème. Les Français considèrent qu’il y aura d’autres réformes à venir et qu’on va encore reporter l’âge de départ. On lui reproche le report et de ne pas être assez ambitieux sur la réforme. 

Quel est selon vous le réalisme des annonces faites par E. Macron pour l’avenir ?

Philippe Crevel : Il laisse à Elisabeth Borne le soin de faire de cela et de trouver la majorité. Il donne rendez-vous le 14 juillet, ce qui est dangereux. La question est désormais de savoir s’il aura la capacité de trouver une majorité pour les chantiers qu’il veut mettre en place. Dans la réalité ça risque d’être compliqué, mais son mandat s’effectue dans un cadre complexe et qui rend toute adoption de projet un chemin de croix. 

Est-ce que la 1ère ministre peut y arriver ou est-ce que ce sont des déclarations de principe ? Il n’a pas de majorité facile sur la plupart des réformes qu’il veut mettre en place.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !