Et au fait, comment les Chinois de la rue voient-ils la perspective d’une guerre avec Taïwan ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'opinion chinoise est-elle si clivée que ça sur la question ?
L'opinion chinoise est-elle si clivée que ça sur la question ?
©AFP / Hector RETAMAL

Réunification

D’une manière plus consensuelle, après plus de soixante-dix ans de bourrage de crâne et de lavage de cerveau, l’écrasante majorité de l’opinion continentale souscrit à l’idée d’une réunification et selon laquelle Taïwan, c’est la Chine.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Xi Jinping a jugé la réunification de la Chine avec Taïwan inévitable lors de son discours de Nouvel an. Que pense la population chinoise sur la possibilité d’une réunification ? Et sur une éventuelle guerre avec leur voisin ?

Emmanuel Lincot : Que Xi Jinping rappelle cet objectif est une façon d’intimider les Américains. C’est une déclaration réitérée mais une opération constamment ajournée d’autant que la résistance des Ukrainiens contre les Russes provoque des réactions contraires aux vœux du Président chinois au sein même de l’Etat-major chinois. Je pense aux déclarations de Qiao Liang – auteur de La guerre hors limites – qui en appelait à la plus grande prudence il y a encore deux ans quant au lancement d’une guerre amphibie. L’opinion est par ailleurs clivée. Les plus nationalistes se retrouvent dans la lecture des colonnes du Global Times mais l’homme de la rue y est indifférent tandis que les hommes d’affaires manifestent une certaine inquiétude. D’une manière plus consensuelle, après plus de soixante-dix ans de bourrage de crâne et de lavage de cerveau, l’écrasante majorité de l’opinion continentale souscrit à l’idée d’une réunification et selon laquelle Taïwan, c’est la Chine. Toute comparaison gardée, c’est la ligne bleue des Vosges. Il eut été suicidaire pour un Français sous la III° République que l’Alsace et la Lorraine n’étaient pas françaises. Le coût de cette guerre serait énorme. Et déboucherait sur une guerre mondiale. Son éventualité me paraît donc aujourd’hui improbable.

Comment le gouvernement chinois oriente-t-il l’opinion chinoise sur cette question ? Dans quelle mesure la propagande joue-t-elle un rôle ?

Tout ce qui engendrerait une forme de séparatisme est combattu par les autorités de Pékin. Alors que la République populaire de Chine n’a jamais exercé son contrôle sur l’île, Pékin revendique des droits historiques sur l’île qui lui sont contestés. A commencer par la République de Chine qui s’y est réfugiée. La période électorale qui est désormais derrière nous a été intéressante parce qu’elle a vu la propagande chinoise à l’œuvre et déployer à la manière des Russes une forme de Sharp power en distillant des fakes news. Le processus électoral a été par ailleurs censuré même si tous les Chinois sont en mesure de savoir que c’est le candidat Lai Ching-te qui l’a emporté. Les Taïwanais sont aussi, à leur manière, assez mesurés puisque les législatives ont permis au Guomindang d’emporter une majorité de sièges au parlement. En résulte le fait que d’une manière générale, les Taïwanais sont en faveur d’un compromis avec le continent et pour le maintien d’un statu quo. Nul ne peut dire cependant si Xi Jinping l’entendra de cette manière.

La population chinoise a-t-elle eu vent de manière transparente de ce qui s’est passé à Taïwan le 12 janvier dernier, avec l’élection de Lai Ching-te ? Cela peut-il avoir une influence sur les Chinois de la rue ?

Oui, encore une fois, tout se sait en Chine mais ce n’est pas pour autant que l’opinion va être contaminée par des aspirations démocratiques. Les plus cyniques diront que c’est un camouflet pour Xi Jinping puisque Lai Ching-te n’était pas le candidat idéal pour Pékin. Mais Taïwan n’est pas le sujet prioritaire de l’opinion en Chine. Comme le disait si bien l’écrivaine Fang Fang, la préoccupation majeure des Chinois est l’ordre et la prospérité. Pensons-nous un seul instant que la majorité serait prête à se battre pour envahir l’île ? Les plus avisés vous diront que l’attractivité économique du Fujian et du Guangdong est telle que Taïwan finira naturellement par être absorbée dans le giron chinois. Personnellement, je crois davantage à cette option.

Certains affirment que les Russes n’ont jamais pu considérer les Ukrainiens comme des frères égaux. Peut-on dire la même chose des Chinois vis-à-vis des Taïwanais ?

La majorité des Taïwanais sont originaires de Chine, ce qui leur confère un statut d’égaux a priori et qu’une guerre menée par Xi Jinping contre l’île serait une guerre menée… contre les Chinois ! C’est la première représentation à laquelle on pense mais il en est une autre, revancharde et fascisante – qui fut aussi celle défendue par le Guomindang dans l’immédiat après-guerre à l’encontre des insulaires – selon laquelle l’île et ses habitants ont été des collaborateurs des Japonais et sont de facto demeurés des traîtres à la patrie. Et il y a une troisième représentation selon laquelle, Taïwan a su conserver le meilleur des traditions chinoises, pur avoir accueilli sur son territoire les collections impériales de la Cité interdite mais aussi parce que l’île a été épargnée par les affres de la Révolution culturelle ; tout cela conférant à Taïwan une supériorité culturelle et intellectuelle sur le continent. Et puisque vous comparez cette configuration avec celle de l’Ukraine et de la Russie, c’est une façon d’inverser les rapports de forces en rappelant que le cœur de la culture de la Russie de toujours est à Kiev tandis que l’âme de la Chine la plus authentique serait à Taïwan. Tout cela montre bien dans tous les cas que la question de Taïwan crée fondamentalement du dissensus.

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