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Arriérés, aux bottes de leur hiérarchie... Les clichés sur les catholiques vont bon train.
Arriérés, aux bottes de leur hiérarchie... Les clichés sur les catholiques vont bon train.
©Reuters

Coming out religieux

Suite à la "Manif pour tous" du 24 mars, des propos assez virulents ont été tenus sur les réseaux sociaux à l'encontre des catholiques. Arriérés, aux bottes de leur hiérarchie... Les clichés vont bon train.

Jean-Louis Schlegel et Corinne Valasik

Jean-Louis Schlegel et Corinne Valasik


Jean-Louis Schlegel est philosophe, éditeur, sociologue des religions et traducteur.

Il est particulièrement intéressé par les recompositions du religieux, et singulièrement de l'Eglise catholique, dans la société contemporaine.

Corinne Valasik est sociologue, chercheur au Centre d'études interdisciplinaire des faits religieux, à Paris.

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Atlantico. Le débat sur le mariage homosexuel a généré des réactions anti-catholiques assez virulentes, notamment sur Tweeter. Est-il possible aujourd’hui d’assumer d’être catholique ?

Jean-Louis Schlegel : En temps normal, il est relativement facile de se dire catholique, comme de se dire musulman d’ailleurs. C’est par exemple le cas dans les entreprises privées. Ce qui est assez fortement condamné dans la société française, c’est le prosélytisme : le combat au nom de la religion. Tout ce qui est ressenti comme désir de convertir l’autre, quel que soit la religion, est mal vécu par les Français. D’où les remarques parfois très violentes sur les réseaux sociaux à l’occasion des débats sur le mariage homosexuel. On peut même parler d’anticléricalisme. Il me semble qu'intervenir dans des débats télévisés au nom de sa religion, pour débattre des questions religieuses, n’est absolument pas un problème. Les intervenants ne sont pas gênés d’afficher leur croyance.

Corinne Valasik : La religion a toujours été un sujet qui passionne et clive les Français. Que ce soit sur la question des sectes, du port du voile ou autres. Pour une partie de la population, religion rime avec oppression et obscurantisme. S'y ajoute un certain anticléricalisme. Les réactions constatées actuellement ne sont donc pas nouvelles en soi et les catholiques ne sont pas "menacés" dans la société française. De plus, tous les catholiques ne se reconnaissent pas dans les positions les plus médiatisées, loin de là.

N’y a-t-il pas un problème particulier avec le catholicisme ?

Jean-Louis Schlegel : Une fois que la guerre est lancée, bien sûr, les remarques fusent. L’histoire du catholicisme en France est compliquée, elle est conflictuelle. Alors tous les clichés et les velléités ressortent à l’occasion du mariage pour tous : l’Eglise a été longtemps intolérante, fermée sur les questions d’ordre sentimental et sexuel. Le débat est donc à charge. L’image des catholiques est globalisée. Pour ceux qui sont très remontés sur les manifestations, être catholique signifie être arriéré et nécessairement contre le mariage pour tous. Hors ce n’est qu’un malheureux raccourci. Un amalgame. Dès que l’on est dans une position de combat, les clichés les plus ridicules et violents jaillissent. Cependant, le débat est à nuancer.

On s’imagine trop vite, à cause de cette polémique que les catholiques sont tous intolérants sur tout. Dire qu’aux manifestations, on ne croisait que les bourgeois de Versailles, avec leurs six enfants, cela fait partie de l’imagerie…

Le mariage gay a rallumé une guerre qui date de 1905, lorsque le débat sur la laïcité faisait rage. Et ce débat connait des réminiscences à chaque fois que les principes religieux et laïcs sont opposés. Vu l’ampleur des manifestations, on a l’impression d’être face à un nouveau visage de l’opposition entre la France catholique et la France laïque.

Corinne Valasik : La France découvre le pluralisme religieux sur son territoire depuis peu. Majoritairement catholiques ou de culture catholique, les Français n'ont pas appris à vivre, à coexister avec d'autres religions. Depuis quelques années, des musulmans affirment leur appartenance confessionnelle et leur place dans la société, montrant ainsi que la situation a changé. Ces affirmations perturbent et sont perçues comme agressives par certains croyants et non croyants. En réaction, des catholiques se mettent également à faire une "surenchère" dans leur affirmation identitaire ; soit par des propos radicaux, soit des pratiques plus accentuées.... L'enjeu est donc bien celui de la cohabitation des différentes religions dans un pays longtemps dominé par une seule.

Les démographes Emmanuel Todd et Hervé Le Bras étaient vendredi 22 mars les invités de la matinale de France Inter. L’occasion de faire la promotion de leur livre Le mystère français. Emmanuel Todd y expliquait que les catholiques acceptaient plus facilement les remarques de leur hiérarchie. Pourquoi une telle perception ?

Jean-Louis Schlegel : Todd et Le Bras ne disent pas nécessairement que les catholiques sont prêts à tout pour satisfaire les envies de leur hiérarchie. On peut simplement dire que les catholiques sont globalement animées par un profond respect pour l’Autre et la loi, et ont une certaine habitude de l’obéissance face aux supérieurs. Ils sont relativement disciplinés, c’est un fait. Je ne crois pas que l’on considère cela comme une insulte.

Corinne Valasik : La plupart des catholiques laïcs acceptent depuis longtemps que le pouvoir religieux soit dans les mains des membres du clergé. Cette acceptation autour du partage du pouvoir, entre ceux qui savent et les autres, se retrouve donc dans d'autres domaines puisque la culture catholique a façonné en partie notre vision de la politique. Néanmoins, les laïcs se sentent aussi libres de ne pas respecter toutes les directives données sans pour autant le dire publiquement (par exemple avec la contraception).

Quelles évolutions ont connu le catholicisme en France ?

Jean-Louis Schlegel : Emile Poulat, sociologue, parle du « monde » catholique : les bons pratiquants, les familles nombreuses, les fils uniques, il n’y a finalement pas de règles. La réalité aujourd’hui, c’est la jeunesse qui se détourne de la pratique religieuse. Il y a tout de même moins de 5% des catholiques qui se disent catholiques et qui vont communier tous les dimanches !

Cela tient à toutes sortes de problèmes et notamment au fait qu’il y a de moins en moins de prêtres, et que ceux-ci sont plutôt âgés, en moyenne 70 ans. D’ailleurs, cette image que beaucoup ont de l’Eglise - arriérée – trouve sans doute, en outre, son origine dans ce constat. Comme l’Eglise catholique a une morale assez rigide, elle se heurte de front à la réalité du terrain, face à l’attitude libertaire de la plupart des Français.

Pourtant les rituels religieux se maintiennent, je pense à Noël ou à Pâques qui approche. Aussi, les jeunes vivent leur religion d’une toute nouvelle façon. Ils se rassemblent beaucoup même si ce n’est pas dans des églises, à des horaires précis qui leur semblent contraignants. Les JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) se tiennent tous les trois ans et on y observe une réelle ferveur, que l’on verra cette année à Rio de Janeiro (Brésil). Ils ont besoin de partager leur foi dans leur communauté.

La « cathophobie » n’est pas un phénomène d’ampleur. Cela fait partie des facilités de langage qui ont cours depuis un moment puisque chacun d’entre nous est désormais très vite taxé de « Xphobe » (islamophobe, homophobe, etc).

Corinne Valasik : Baisse de la pratique religieuse, des rites (diminution des baptêmes par exemple). Baisse aussi des vocations avec une population cléricale vieillissante et non renouvelée. L'enjeu pour le catholicisme en France est celui de se penser en dehors du modèle paroissial. Les laïcs jouent un rôle de plus en plus important, notamment les femmes, mais cette population est également vieillissante. Les jeunes catholiques privilégient les temps forts collectifs comme Taizé et les JMJ mais ne s'investissent pas durablement au niveau local. Il n'y a pas non plus réellement émergence d'une pensée laïque forte qui se ferait entendre à côté de la parole de l'institution. La culture catholique imprègne par contre encore en partie la population française, ce qui ne veut pas dire que cette population soit croyante mais elle a intégré les catégories de pensées, les repères de cette religion.

Propos recueillis par Mathilde Cambour

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