Essais cliniques et hydroxychloroquine : l’attentisme de l’ANSM face à Didier Raoult <!-- --> | Atlantico.fr
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Anne Jouan et Christian Riché publient « La Santé en bande organisée. Dissimulations, menaces et barbouzeries : le monde du médicament et ses arrangements entre amis » aux éditions Robert Laffont.
Anne Jouan et Christian Riché publient « La Santé en bande organisée. Dissimulations, menaces et barbouzeries : le monde du médicament et ses arrangements entre amis » aux éditions Robert Laffont.
©Christophe SIMON / AFP

Bonnes feuilles

Anne Jouan et Christian Riché publient « La Santé en bande organisée. Dissimulations, menaces et barbouzeries : le monde du médicament et ses arrangements entre amis » aux éditions Robert Laffont. Ce livre éclaire les recoins obscurs de la gestion de la santé publique en France et dévoile les coulisses de l'affaire du Mediator. Extrait 2/2.

Anne Jouan

Anne Jouan

Anne Jouan a travaillé vingt ans au Figaro où elle a révélé l'affaire du Mediator. Désormais journaliste indépendante, elle a notamment mis au jour le scandale du charnier de l'université Paris-Descartes.

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Christian Riché

Christian Riché

Le Pr Christian Riché est médecin, pharmacologue. Il a été président de la Commission nationale de pharmacovigilance, membre de la Commission d'autorisation de mise sur le marché à l'Agence du médicament.

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Enfin, concernant le Covid et le cas Didier Raoult, « l’Agence n’a pas traité le professeur marseillais comme elle l’aurait fait avec un autre. Elle a traîné des pieds, déplore un directeur. En réalité, toutes les inspections pouvaient être faites beaucoup plus tôt. Pourquoi avoir tant attendu ? » Cette source le rappelle : le gendarme du médicament peut suspendre des recherches en cours, voire arrêter et interdire toute nouvelle recherche jusqu’à la mise en conformité du laboratoire, en l’occurrence celui de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU). « C’est parfaitement dans ses compétences, c’est même son pouvoir, déclare-t-elle. Il s’agit d’une décision de police sanitaire. Toutes les données concernant Raoult étaient accessibles plus tôt, en février  2020, mais l’ANSM a attendu. Les inspecteurs pouvaient se déplacer, d’autant plus qu’ils n’étaient pas vraiment beaucoup sollicités lors du premier confinement au printemps 2020. » Autrement dit, les moyens de l’Agence pouvaient être mis à disposition. Ce directeur ajoute  : « Dès le départ, après la première étude de Didier Raoult, on pouvait raisonnablement agir, nous disposions de suffisamment d’éléments pour envisager une inspection, ce qui n’a pas été fait. » Selon lui, à cette date, les warnings s’allument d’abord avec un risque, celui d’utiliser l’hydroxychloroquine hors de son autorisation de mise sur le marché (son indication est initialement la rhumatologie) et en raison de la façon dont le professeur a mené ses études cliniques : « Ce personnage tenait des propos très pré‑ occupants (il disait se moquer de la réglementation, il méconnaissait les bonnes pratiques). Mais l’ANSM n’a pas osé le contredire, elle était paralysée. Alors elle s’est limitée à de simples échanges de courriers et à des messages sur les effets secondaires, notamment cardiaques. » Plusieurs salariés l’assurent, le contexte politique local a joué. Un autre élément a considérablement influé sur l’attentisme de l’ANSM face à Raoult  : sa grande proximité avec un ancien directeur de l’Agence, un autre Marseillais, le Pr Dominique Maraninchi. En avril 2020, ce dernier signe dans Le Figaro avec deux médecins une tribune vantant les mérites du traitement de Raoult dès les premiers symptômes de la maladie. Le bouillonnant professeur barbichu n’hésite d’ailleurs pas à mettre en avant ses liens avec Maraninchi quand il écrit à Dominique Martin, directeur de l’Agence qui lui demande des comptes sur ses essais cliniques. Fin novembre 2020, à l’annonce du départ du dirigeant pour l’Assurance maladie, Didier Raoult se fendra même du tweet suivant  : « Dominique Maraninchi a été un très bon directeur de l’ANSM. Dominique Martin a pris des décisions uniques au monde et absconses. Espérons que son (ou sa) successeur sera davantage accessible à la raison. »

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Sur le sujet Raoult, selon deux sources de l’Agence, la tension était telle au sein de l’ANSM qu’une inspection de l’IHU ne pouvait se faire sans l’aval de la tutelle, c’està-dire du ministère, même si, normalement, elle n’en a pas besoin. « Le sujet Raoult était très sensible chez nous, confirme ce directeur. Au comité de direction, nous avons clairement perçu la pression de la part du poli‑ tique du ministère de la Santé et de l’Élysée. » Avec la communication officielle fin avril 2022 du rapport d’inspection mené à l’IHU… en novembre 2021, « l’Agence a cherché à se refaire une virginité et à avoir des papiers favorables dans la presse, déplore notre directeur. Or avec Raoult, l’Agence n’a pas protégé les patients ».

Et pourtant, en 2019, l’ANSM avait été capable de mettre un terme à un essai clinique qualifié par ses soins de « sauvage » car ne respectant aucune réglementation en vigueur. Dans l’abbaye Sainte-Croix, près de Poitiers, environ 350  patients souffrant de la maladie d’Alzhei‑ mer ou de Parkinson s’étaient vu appliquer des patchs sur la peau, leur faisant croire qu’ils allaient soigner leurs maladies. Mais l’essai n’ayant pas reçu d’autorisation pour être mené et les produits utilisés n’étant pas connus, l’Agence, par la voix de Bernard Celi, directeur de l’inspection, avait alors parlé de « pratiques charlatanesques ». À l’origine de cette « recherche », le fonds Josefa créé par le Pr Henri Joyeux, porte-voix des anti‑ vaccins. Dans cette affaire, informée de l’essai, l’Agence était rapidement intervenue pour y mettre un terme en quelques semaines. Son attitude vis-à-vis de l’IHU de Raoult est donc d’autant plus incompréhensible, surtout quand on sait que depuis 2017, au moins, et jusqu’en mars 2021, l’institut marseillais a prescrit un traitement à base de quatre médicaments au cours d’une expérimentation alors même que l’ANSM s’y était opposée.

Ainsi le manque de courage politique se couple-t-il à une perte de compétence. Depuis l’affaire du Mediator, les pratiques s’avèrent bien décevantes humainement et scientifiquement, observe une source interne. « Il n’y a jamais eu autant de crises sanitaires et le pire reste à venir car l’hémorragie des compétences a laissé place aux amateurs non sachants professionnels. » Selon elle, le management de l’ANSM estime que « n’importe qui peut faire n’importe quoi », du coup, les équipes scientifiques sont « composées essentiellement de non sachants. Et le profil expert interne a disparu de la liste des emplois de l’Agence ». La voie a été ouverte aux non-sachants, qui se trouvent actuellement majoritaires et prennent des décisions sans consultation des scientifiques internes ni externes. Notre source estime même à plus de 70 % la perte sèche d’une grande partie des scientifiques de haut niveau et des personnes expérimentées. « L’avenir de l’Agence se résume à son inefficacité et à son incapacité à protéger la santé publique en France, il s’agit d’une catastrophe et d’une omerta nationales. Les journalistes pourraient représenter un contrepouvoir mais ils se limitent souvent à relayer l’information officielle, ils tournent la tête pour des raisons diverses et variées ! » Ses mots sont très durs : dans ces conditions, l’ANSM « est à genoux et son niveau de compétence, proche du néant. Depuis douze ans l’Agence est en dysfonctionnement continu. Ce dernier empire à chaque réorganisation, au point que certaines nouvelles recrues ignorent ce qu’est un fonctionnement normal ». Un directeur résume : « La conséquence du faible niveau de l’Agence ? L’industrie pharmaceutique se détourne de la France. Nous ne sommes pas crédibles. Aujourd’hui quand une biotech veut venir, les investisseurs lui disent : “Mais vous êtes fous de faire votre développement en France, ils sont nuls !” Face à une autorité de régulation aussi imprévisible et incompétente, les biotechs qui ont besoin de rigueur ne veulent pas prendre de risque. » Constat partagé par un salarié : « Des scientifiques (ou le petit nombre restant) sont enfermés entre eux, sans ouverture vers l’extérieur, à savoir aucune participation aux comités d’expertise, aucune participation aux congés scientifiques. Encore une méthode maîtrisée par les responsables de l’ANSM afin que les non-sachants n’étalent pas leur incompétence aux yeux de la communauté scientifique. »

Autre exemple, depuis plus de dix ans, les per‑ sonnes qualifiées pour la pharmacovigilance au niveau de l’Union européenne pour les laboratoires ne sont plus choisies en France afin d’éviter d’avoir comme interlocuteur l’ANSM.

En 2014, un salarié de l’Agence proche de la direc‑ tion générale a créé un blog sur lequel il rapportait les bruits de couloir internes. Un jour, il a même écrit sur les coucheries supposées d’une collègue, n’hésitant pas à parler de prostitution. La salariée, abasourdie, a été consternée. L’information a été transmise à la direction, qui a convoqué l’auteur du blog sans pour autant porter plainte. Mieux, il a été promu et… nommé représentant de la France à l’Agence européenne du médicament.

L’incurie.

Extrait du livre de Anne Jouan et Christian Riché, « La Santé en bande organisée. Dissimulations, menaces et barbouzeries : le monde du médicament et ses arrangements entre amis », publié aux éditions Robert Laffont

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