Erreur stratégique : pourquoi la gauche a-t-elle délaissé la France rurale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des Gilets jaunes sur un rond-point lors des rassemblements du 17 nomvebre.
Des Gilets jaunes sur un rond-point lors des rassemblements du 17 nomvebre.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Bonnes feuilles

Paul Melun publie « Libérer la gauche » aux Editions du Cerf. Que reste-t-il de la gauche ? De celle de Jean Ferrat et des damnés de la terre ? Aujourd'hui, Paul Melun sent la gauche de son enfance se dérober sous ses pieds, se perdre dans les limbes d'un siècle qu'elle peine à comprendre. Sa gauche est morte. Ses héritiers ont embrassé les pires instincts de l'époque et ont érigé l'individualisme en totem. De trahisons en trahisons, la gauche a perdu son âme et ses électeurs. Extrait 2/2.

Paul Melun

Paul Melun

Paul Melun est essayiste, chroniqueur, conseiller en stratégie et président de « souverains demain ! ». Il est l'auteur, avec Jérémie Cornet, de Les enfants de la déconstruction. Portrait d’une jeunesse en rupture (éd. Marie B., 2019).

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Depuis des décennies, la gauche est aux abonnés absents pour défendre la France rurale. Pire, elle s’emploie à ostraciser et salir tout combat de défense de la ruralité. Aux audacieux qui se prennent de défendre les traditions locales ou les intérêts de la France périphérique, les ayatollahs de la néo-gauche sortent la sulfateuse ; les procès en conservatisme et le qualificatif ultime « d’extrême droite » sont dégainés avant même d’avoir pu prononcer un mot. À dessein, les tenants de la nouvelle gauche ont enfoui le socialisme municipal et ses théoriciens dans les limbes de l’histoire. Le triomphe du centralisme à la fin du XXe siècle a détruit une large part de l’héritage local et enraciné de la gauche. Les radicaux et les socialistes ont su conserver un tissu d’élus de proximité, soucieux de la décentralisation et de la démocratie locale. J’ai pu côtoyer certains d’entre eux, à l’instar d’Alain Rousset, le président de la région Nouvelle-Aquitaine, fervent partisan du rôle politique des « territoires ». Malheureusement pour la gauche, la ligne qu’il représentait avec quelques courageux, tels Carole Delga ou Michaël Delafosse, était minoritaire depuis trop longtemps chez les socialistes. C’était d’ailleurs ces quelques élus enracinés qui ont contesté la NUPES, à juste titre.

Avant eux, les précurseurs du socialisme municipal comme Charles Fourier ou Saint-Simon avaient théorisé une gauche populaire et collective. La commune était déjà l’échelon privilégié pour régir les rapports sociaux et la démocratie locale. Visionnaires, ces penseurs du XIXe siècle avaient eu le génie de penser la nation comme une architecture bien plus complexe et diverse que le jacobinisme, en vogue auprès d’une autre partie de la gauche (communiste notamment). Certains comme Engels, voyaient pourtant dans le socialisme municipal une forme de pouvoir réformiste et « bourgeois ». Au fil des décennies, la gauche a choisi Engels contre Fourier. J’ai toujours déploré ce mouvement vers le centralisme parisien, ce qui m’a très tôt valu les critiques de certains de mes camarades. Défendre aujourd’hui la pensée de Jaurès sur la nation, ou celle de Fourier sur l’échelon communal, est devenu un casus belli au sein de la néo-gauche. C’est d’ailleurs pour cette raison que les mouvements politiques tels LFI, le PS ou les Verts sont totalement passés à côté du mouvement des gilets jaunes. Authentique insurrection de la France rurale et des villes moyennes, cette mobilisation des « ronds-points » était incompréhensible à Paris. Habituée aux manifestations étudiantes, antiracistes ou féministes, la gauche regardait incrédule et avec un certain mépris cette France populaire à laquelle elle ne comprenait rien. Ça n’est qu’au bout de longs jours de manifestations que Jean-Luc Mélenchon s’est intéressé aux gilets jaunes. La suite ? Une vaste (et ratée) opération de récupération politique.

Il y avait pourtant derrière les revendications des gilets jaunes tous les ingrédients d’une gauche locale, sociale et patriote. À Noizé, je parlais souvent avec des amis et voisins actifs lors des manifestations. Sur Facebook, ils avaient conservé les photos des ronds-points occupés et des déjeuners passés ensemble à refaire le monde. Il y avait derrière leurs récits une force politique et une poésie que je n’avais jamais ressenties en dix ans de militantisme à gauche. C’était eux, les héritiers authentiques du socialisme municipal, pas Olivier Faure et ses sinistres lieutenants parisiens. Je trouvais dans les revendications des gilets jaunes une multitude d’éléments moteurs à un projet d’avenir en France. Qu’il s’agisse de la démocratie locale, de la lutte pour que le travail paye mieux ou de la préservation des libertés, leurs combats étaient nobles. Je percevais dans nos discussions une forme tragique de déception quant aux combats qui avaient été menés et à leur issue. À son habitude, Emmanuel Macron les avait roulés dans la farine avec son Grand débat national et ses cahiers de doléances, et la gauche les avaient abandonnés sitôt l’été venu (à quelques exceptions près comme le réalisateur devenu député François Ruffin). Le triomphe de la « gauche Traoré » (en référence au soutien actif d’une partie de la gauche au comité de soutien à Adama Traoré) sur la gauche des campagnes se vérifiait lors de l’élection présidentielle de 2022. Jean-Luc Mélenchon perdait dans les campagnes et gagnait dans les banlieues et les grandes villes.

La défaite du socialisme municipal et la fin du gaullisme ont livré la France et ses campagnes au pire de l’époque actuelle. Le Thouarsais, région naturelle du nord des Deux-Sèvres où je vivais, était l’exemple parfait de ce phénomène. Ce territoire jadis prospère et emblématique d’une civilisation debout, subit aujourd’hui les effets de cinquante ans de mondialisation et de progressisme à marche forcée.

Ancienne cité industrielle et cheminote, Thouars avait connu la révolution industrielle du XIXe siècle et ses effets prospères jusqu’à la fin des Trente Glorieuses. La désindustrialisation et les délocalisations auront raison de la puissance économique de la ville dès la fin du siècle suivant. Les effets délétères de la mondialisation faisaient de la France l’économie la plus désindustrialisée du G7 (avec la Grande-Bretagne), et les villes moyennes n’étaient pas épargnées. Outre la mondialisation, l’importation du mode de vie consumériste à l’américaine avait lui aussi largement contribué au déclin de Thouars ces dernières années. D’immenses centres commerciaux avaient été érigés en périphérie, contribuant à l’effondrement du commerce de proximité, à la désertification du centre-ville et à la dégradation sinistre des abords de la commune. Le modèle de surconsommation et de la maison individuelle neuve a participé à l’abandon du bourg, comme dans de nombreuses villes moyennes du pays. En résultent aujourd’hui des rues fantomatiques, des commerces fermés et des paysages alentour abîmés sur plusieurs kilomètres (artificialisation des sols, zones pavillonnaires, panneaux publicitaires, etc.). Depuis plusieurs années désormais, Thouars perd des habitants qui préfèrent quitter la ville. Si les élus locaux font aujourd’hui preuve d’initiatives et de volontarisme, il est difficile de résorber en un mandat les insuffisances d’un demi-siècle d’erreurs majeures au nom de la mondialisation et de la consommation de masse.

Sur le plan civilisationnel, l’exemple thouarsais est lui aussi édifiant. Depuis quelques années l’insécurité explose dans de nombreuses villes moyennes. Dans les pages des quotidiens locaux, j’étais surpris de la fréquence des vols, agressions et trafics de drogue pour une commune de cette taille, dans un département réputé si calme. Rien que depuis 2020, Thouars a été le théâtre d’une double attaque à la sortie d’un restaurant (deux « jeunes » dont un mineur de 16 ans ont été interpellés), d’une agression au couteau (par un homme déjà condamné à 33 reprises) et de nombreux vols dont certains avec menaces de mort (dans les grandes surfaces ou les commerces). Thouars, ville jadis particulièrement tranquille, n’échappait pas à la vague de violence qui touchait l’ensemble du pays. Les conséquences tragiques de cinquante années d’une immigration de masse non-assimilée et d’une profonde crise de valeurs et d’autorité ont eu raison de la paix thouarsaise, comme partout. Si les bourgs alentour étaient pour le moment épargnés, je comprenais que Thouars ressentait les prémices de l’immense bouleversement civilisationnel à l’œuvre dans l’ensemble du pays. La contagion de la violence aux villes moyennes et à certaines zones rurales avait quelque chose de terrifiant pour l’avenir de la France.

À l’issue d’une brève analyse des principaux facteurs de déstabilisation du Thouarsais, des Deux-Sèvres et plus généralement de la « France périphérique » durant ces dernières décennies, la responsabilité est clairement identifiée. La doctrine mondialiste-progressiste, calquée sur la société américaine est à l’origine de la plus vaste opération de destruction de la France depuis des siècles. Avec la fin du gaullisme en 1974, le pays a été gouverné par une alternance de mondialistes aux différentes nuances, mais partageant le même dessein : la dilution méthodique de la vielle patrie tricolore dans l’Union européenne, puis dans le monde. La gauche au pouvoir choisissait le mondialisme au nom de l’ouverture au monde et de la tolérance, quand la droite le faisait au nom du capitalisme et du progrès technique. Par-delà le clivage gauche/droite, ils s’accordaient sur l’essentiel. Le système mondialiste avait un agenda à tenir et éliminait tous ceux qui lui barraient la route, qu’il s’agisse d’hommes d’État comme Jean-Pierre Chevènement et Philippe Séguin ou du peuple lui-même. Comme lors du référendum de 2005 sur la constitution européenne, où les élites mondialistes ont préféré passer outre quelques années plus tard par le traité de Lisbonne.

En quarante ans, l’irrésistible tandem des élites mondialistes de droite et de gauche a poursuivi sans obstacles son entreprise méthodique d’effacement de la France. Tous les piliers de la puissance française ont été sciés, à commencer par l’industrie, l’armée, l’éducation et la diplomatie, tout en assurant un transfert progressif du pouvoir vers des institutions supranationales (Maastricht, Traité de Lisbonne, etc.). Peu à peu la nation, qui était le bien suprême du peuple, a été affaiblie. Si les élites urbaines ont été les vainqueurs de ce cycle mortifère, les ruraux, les classes populaires et la classe moyenne en ont été les victimes, lâchement abandonnées.

Extrait du livre de Paul Melun, « Libérer la gauche », publié aux Editions du Cerf

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