Éric Zemmour peut-il réussir à implanter en France des mouvements à la Vox ou à la 5 étoiles ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour, bientôt candidat ?
Eric Zemmour, bientôt candidat ?
©Ludovic MARIN / AFP

Antisystème

Le nom choisi par Eric Zemmour pour son mouvement rappelle certaines initiatives politiques étrangères comme Vox en Espagne ou le Mouvement 5 étoiles en Italie.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Eric Zemmour s’apprête à se lancer dans la course à la présidentielle avec un mouvement appelé « Vox populi ». Que nous révèle ce choix de nom ?

Arnaud Benedetti : Il révèle qu’il faut renouer avec le peuple parce qu’il est la source de tout : du pouvoir , de la démocratie, de la Nation, de l’histoire. D’emblée, le peuple, figure qui unifie et non la société qui complexifie et qui du fait de sa complexité fractionné, car le peuple c’est l’enracinement, c’est ce qui transcende la différence, ce qui surtout est la finalité du politique. C’est cette voix là qu’il convient d’entendre et de faire advenir, car elle n’est pas entendue, ni portée, mais oubliée et méprisée. Zemmour procède à sa manière comme Marx avec Hegel et la dialectique : « chez Hegel, disait Marx, la dialectique marche sur la tête, il faut la remettre sur ses pieds ". Zemmour part du constat que la démocratie ne marche plus qu’à travers la tête des élites oligarchisées, et qu’il est nécessaire d’en revenir aux fondamentaux du peuple. Il remet en exergue ainsi un acteur dont le vocabulaire politique, exclusivement communicant, voire inspirée par la seule sociologie, ne parle plus. La gauche parle des « gens » ou de la société, la droite se réfère aux français ou subsidiairement aussi à la société : Éric Zemmour entend réhabiliter ce héros collectif de l’histoire révolutionnaire et national que constitue le peuple. Il se pose comme l’antithèse de la politique saisie par le sociétal. Il est l’anti-sociétal, car il ne pense pas que le mouvement de la société serait bon par nature. Il prend par ailleurs le contre-pied de ce qui est désormais ignoré, méprisé, dénoncé notamment sous le vocable de «populisme». Il occupe ainsi un espace historique fondateur de l’imaginaire national. Explicitement, en installant sémantiquement le peuple au cœur de son expression, il s’en approprie la force créatrice pour mieux s’opposer à ce qu’il critique en creux, la captation de la démocratie par des oligarchies. 

Le choix d’appuyer sur le « populi » est-il une stratégie pour éviter de mettre l’accent sur le fait que le polémiste se lance sans parti et est crédité de 5% dans les sondages ?

Arnaud Benedetti : Aux yeux de Zemmour, les partis ont failli, y compris le RN qui n’est plus apte à mobiliser électoralement ; les corps intermédiaires se sont unifiés dans une vision univoque du politique ; les élites combattent le peuple ouvertement, comme l’a montré leur effroi durant la crise des gilets jaunes. La politique est une terre en jachère, féodalisée, bunkerisée autour d’une alliance implicite de ces nouvelles féodalités que constituent les lobbys : Zemmour ne rentre pas par effraction dans le jeu politique, il le fait en partant d’un constat de déshérence, et en installant tout à la fois l’évidence de son constat et la dynamique de sa promesse. Sa démarche sous cet angle n’est pas sans rappeler tactiquement celle de Macron en 2016/2017. A l’origine, personne n’y croyait, ou très peu dans tous les cas mais l’exceptionnalité du temps par sa dimension dramatiquement anomique rend possible toutes les entreprises audacieuses. Le problème pour le journaliste néanmoins est d’être crédible dans le regard des autres : comment convertir un polémiste, aussi visible soit-il, en leader politique. Emmanuel Macron de ce point de vue avait été ministre, et disposait y compris d’un petit réseau d’élus. Eric Zemmour a priori reste sans divisions, autre que celle de son aura , de quelques aficionados et d’une image parfaitement identifiable . Est-ce suffisant pour renverser la table ? 

En Espagne, un parti Vox, a réussi à s’illustrer à certaines élections en 2018-2019. Eric Zemmour et son mouvement peuvent-ils réussir à s’implanter dans le paysage politique à la façon de partis comme Vox ou le mouvement 5 étoiles ?

Arnaud Benedetti : C’est peut-être l’hypothèse la plus probable. 2022 ne serait dans ces conditions qu’une étape. Eric Zemmour miserait sur l’échec de Marine Le Pen et entendrait incarner le post-lepenisme. Il considère que le marinisme a affadi non seulement son offre, le rendant peu susceptible de conserver sa force d’attractivité pour l’électorat de la colère et de la rupture, mais qu’en outre il pêche par manque de structuration intellectuelle, qu’il n’est animé que par sa seule force communicante, en voie potentielle d’essoufflement, et non par la vision claire d’un projet. En d’autres termes, il entend substituer à un ensemble qui serait devenu flou une alternative dépourvue d’ambivalences. Zemmour providentialise sa démarche dans une élection dont les fondements historiques en appellent à l’homme providentiel. Sa démarche a du sens, ou tout au moins une logique dans la perspective de la bataille élyséenne, mais la question de l’implantation sur et dans la durée nécessitera des qualités d’organisateur, de « professionnel de la politique» au sens que Max Weber donne à ce terme lorsqu’il décrit entre autres la démocratie électorale américaine dont on ne sait si Eric Zemmour est doté ou non. 

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