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Peut-on critiquer nos élites 
sans "faire le jeu du FN ?"
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Au coeur du MEDEF

Dans son livre "Au cœur du MEDEF : Chronique d'une fin annoncée", Eric Verhaeghe raconte de l'intérieur comment la France a manqué le virage de sa réinvention sociale. Extraits.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Un souvenir me revient ici. J’étais sur un plateau de télévision face à Olivier Ferrand, qui préside avec talent un think tank appelé Terra Nova, proche du Parti socialiste. Comme moi il est énarque, et je lui ai proposé, en direct, de reconnaître que l’emprise d’une certaine énarchie sur notre société commençait à poser de sérieux problèmes. Il est venu me trouver après l’émission, dans les coulisses, pour me dire que je faisais le jeu du Front national en critiquant ainsi les élites. Cette technique d’intimidation est vieille comme toutes les dictatures : si tu ne nies pas les problèmes que tout le monde connaît et que tout le monde tait par contrainte, si tu ne tiens pas la ligne officielle, tu fais le jeu de nos ennemis et donc tu es un ennemi. Le système stalinien n’a pas fonctionné autrement, et avant lui tous les systèmes liberticides, brutaux ou non.

Que faire face à cela ? Je ferme les yeux et j’imagine ma honte sur mon lit de mon mort, si je dois confesser ce jour-là avoir cédé à l’intimidation de ces petits marquis qui se font plus royalistes que le roi en espérant, par leur docilité, pouvoir paraître au lever de Louis XIV. Entre la réprobation de ces courtisans prisonniers des illusions qu’ils nourrissent sur le pouvoir, et mon éternel regret de n’avoir pas accompli mon devoir, le doute n’est guère permis.

Cette digression éthique me paraît importante pour comprendre l’intention qui sous-tend l’ensemble de mon livre. J’y parle essentiellement du travail, avec l’intime conviction que le principe du salariat est une forme d’aliénation totalement dépassée et inadaptée à notre sociologie. L’idée qu’une partie de la société loue ses services à durée indéterminée à une autre partie de la société sans participer à droits égaux, ce qui ne signifie pas forcément à parts égales, à la redistribution des richesses, ne paraît plus conforme au degré de conscience de la main d’œuvre française. La préservation de cet état de fait se révélera de plus en plus difficile, et de plus en plus coûteuse en énergie.

Nicolas Sarkozy ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il impose aux entreprises d’inclure le partage de la valeur ajoutée dans le dialogue social. Ce faisant, il prend une position infiniment plus révolutionnaire que tous les gouvernements de gauche avant lui, infiniment plus en rupture avec les règles du capitalisme qu’aucun chef de l’État jusqu’ici, ce qui ne manque pas d’étonner.

Parallèlement, dans une société marquée par une pénurie régulière de travail, il est impossible de ne pas discuter à tête reposée de ce que doit être la sécurisation des parcours professionnels. Trop de Français vivent dans l’angoisse quotidienne de perdre leur emploi et de n’en jamais retrouver. À long terme, un corps social ne peut vivre pacifiquement dans pareille peur du lendemain, et dans l’angoisse de l’exclusion. L’état moral de notre pays le confirme. Après 30 ans d’incertitude sur la relation de travail, nous vivons une ère de désintégration morale qui peut conduire à tous les extrémismes.

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Extraits de Au coeur du MEDEF : Chronique d'une fin annoncée, Jacob-Duvernet (septembre 2011)

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