Georges Bensoussan : « Jean-Luc Mélenchon participe d’un authentique fascisme de gauche qui recrute chez des intellectuels prolétarisés en plein ressentiment »<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon.
Jean-Luc Mélenchon.
©Ed JONES / AFP

Grand entretien

Seconde partie d’un grand entretien avec l’historien qui avait tiré la sonnette d’alarme sur la montée de l’islamisme et le délitement démocratique français dans "Les territoires perdus de la République" il y a déjà 22 ans.

Georges Bensoussan

Georges Bensoussan

Georges Bensoussan est Historien. Dernier ouvrage paru : Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950), Presses universitaires de France, 2023.

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Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Seconde partie de l'entretien avec Georges Bensoussan. Vous pouvez retrouver la première partie ICI.

Jean-Sébastien Ferjou : Vous avez fait partie de ceux qui alertaient sur la montée d’un nouvel antisémitisme en France sans être entendu. Avec le recul, croyez-vous que la leçon ait été comprise depuis ? La France vous paraît-elle suffisamment réarmée intellectuellement comme moralement pour faire face aux stratégies des islamistes qui voient l’Europe comme le ventre mou parfait pour implanter leur idéologie en Occident ?

Georges Bensoussan : Nous n'avons pas alerté seulement sur l’antisémitisme, mais sur le délitement démocratique à l’œuvre dans certaines banlieues. Certes, depuis 22 ans qu’est paru Les Territoires perdus de la République, la prise de conscience a progressé même chez les esprits les plus lents. Pour autant, cela ne signifie pas que la France est armée intellectuellement. 

Elle ne l'est pas du fait de cette partie de l’immigration arabo-musulmane qui a été réislamisée ces 20 dernières années, et partant radicalisée dans des attitudes anti occidentales et antifrançaises. La démographie, généralement considérée comme le parent pauvre des analyses, est pourtant la donnée essentielle des nouveaux rapports de force qui dessinent notre avenir.  

En second lieu, une partie des élites françaises continue à voir dans l’islam la religion des déshérités.  Et dans la situation des musulmans aujourd’hui, celle des Juifs des années 30 en Europe, objet d’une persécution sans fin. Cette partie des élites est sur-représentée dans le monde médiatique et dans les écoles de journalisme. Il est clair que, volontairement ou non, ce petit monde se fait le fourrier de la future défaite française. Comme un certain nombre de ces gens-là, d’ailleurs, il y a près de dix ans avaient facilité le passage à l’acte contre Charlie Hebdo, leur responsabilité sera entière dans les affrontements de demain. 

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 Il faut s’interroger enfin sur la volonté du grand patronat français d’ouvrir grand les vannes de l’immigration, en particulier après la grande peur des mois de mai-juin 1968, et le mouvement social que l’on sait, le plus important que la France ait connu au XXe siècle, plus important même que celui de mai-juin 36 au temps de la victoire du Front populaire. 

Pour ne plus vivre une telle frayeur, cette grande bourgeoisie a misé sur l’immigration de masse. Elle a gagné son pari. Mais à quel prix. Celui du chaos qui voit des classes populaires disloquées, un chômage de masse qui a usé plusieurs générations, une crise multiforme qui divise les milieux populaires et explique qu’il ait déserté le vote à gauche, et se soit replié souvent sur le Rassemblement national. Par intérêt de classe, l’égoïsme du patronat français a sacrifié la nation. Jadis, dans un livre intitulé Nationalistes et nationaux (1870-1940)[1], Henri Guillemin avait montré comment la grande bourgeoisie française au XIXe siècle avait souvent œuvré contre la nation. C’était particulièrement vrai lors de la défaite de 1870. L’analyse de Guillemin peut dans certains cas être prolongée jusqu’à nos jours.

Vous avez parfois décrit l’antiracisme “dévoyé” comme une “arme de classe”. Qu’entendez-vous exactement par cela ?

Une partie du vote populaire en faveur de la gauche s’est reportée peu à peu sur le Rassemblement national. Les effets de l’immigration de peuplement, en particulier de la poussée de l’islam, ont été vécus difficilement dans les quartiers populaires, entraînant ici et là des frictions et, plus encore, ce que Christophe Guilluy, le premier, avait nommé l’insécurité culturelle. Une partie des élites de gauche a traduit cette réaction en termes de racisme. Les classes populaires qui avaient le sentiment de voir menacé leur être collectif et leur identité, ont vu leur monde d’appartenance bouleversé. Elles se sont retrouvées en première ligne face aux mutations économiques et démographiques du dernier demi-siècle. Elles ont essuyé les conséquences de décisions dans lesquelles elles n’avaient pris aucune part. Mais au lieu d’entendre cette souffrance (et cette peur) des milieux populaires, une partie de la bourgeoisie de gauche les a stigmatisés comme racistes, en les rangeant dans le camp de l’infamie, en en faisant des infréquentables par leur « vote honteux ». Parallèlement, cette bourgeoisie de gauche était la première à pratiquer une subtile stratégie sociale d’évitement, évitement résidentiel pour commencer, évitement scolaire pour continuer à l’endroit de ceux-là même à propos desquels ils vantaient le « vivre ensemble ». Mais pour les autres. En même temps qu’elle jetait l’opprobre sur des milieux populaires qui n’avaient pas les moyens matériels, eux, de pratiquer cette stratégie d’évitement. Et qui vivaient directement les effets d’une immigration de masse de moins en moins bien intégrée. Et qui générait, par l’effet de masse du regroupement, des comportements de plus en plus intolérants et sectaires, voire violents. Au lieu d’entendre cette souffrance, on a caricaturé ces milieux populaires travestis en beaufs et en Deschiens. C’était l’esprit Canal+. Tout un comique de gauche a pris le relais en s’avisant de représenter ces milieux populaires sous les traits de personnages miteux et mesquins, hargneux, méchants et particulièrement bornés. Tout un comique de dérision et de ricanement, d’esprit fasciste, s’est mis en place au nom du bien et de l’antiracisme. Précisément d’un antiracisme dévoyé parce qu’il fonctionne ici comme une arme de relégation sociale.

Qu’auriez-vous envie que les musulmans occidentaux de bonne volonté entendent ? Que leur dire pour que le néofascisme que vous dénoncez chez Jean-Luc Mélenchon et LFI ne gagne pas la bataille des esprits ?

Je voudrais qu'ils entendent que le combat n’est pas ethnique. Il n’y a pas deux peuples qui s’affrontent, mais deux camps, celui des Lumières et celui des anti-Lumières. En faisant le choix de vivre en Occident, ils ont fait le choix des Lumières. Ils ne peuvent pas accepter l’Occident pour nouvelle patrie sans en accepter en même temps les valeurs et les combats. Or, ces combats sont antinomiques de l’islamisme contemporain.

C’est pourquoi la barrière n’est pas ethnique mais politique. Choisir la France et l’Occident aujourd’hui, c’est épouser le combat des Lumières (à commencer par le primat de la raison et du sujet) comme c’est récuser également le vieux cauchemar européen de l’antisémitisme. Il faut imaginer ce que certains musulmans d’origine, courageux, comme Sonia Mabrouk, Sonia Zadig, Fadila Maaroufi, Amine el Katmi et d’autres endurent et entendent en matière d’insultes et tous les jours. Et de menaces. Ils sont de notre camp, leurs racines ne nous importent pas. De la même manière que le Conventionnel Rabaut Saint-Étienne affirmait que « notre histoire n’est pas notre code », nous pouvons dire que nos racines ne sont pas notre identité. Que notre identité, c’est le combat mené au présent. C’est cela que nous avons à dire aux musulmans qui vivent parmi nous. Par-delà l’héritage d’une histoire française qui ne fait pas forcément partie de nos racines personnelles, et que nous respectons (je pense bien sur ici aux racines chrétiennes), l’important aujourd’hui est de rejoindre ce projet collectif antitotalitaire,  anti islamiste et anti woke qui s’enracine dans le long combat des Lumières, entamé à la fin des guerres de religion avec la lente émergence de la notion de tolérance.

J’ajoute que ne crois pas que Mélenchon et ses alliés de LFI puissent gagner la bataille des esprits. Mélenchon personnellement, et quelques-unes de ses troupes, mais pas toutes loin s’en faut, participent d’un authentique fascisme de gauche, on retrouve chez eux le même type de terrorisme, la même violence d’intimidation, le même irrespect vis-à-vis de l’Assemblée nationale parfois tournée en dérision et de la fonction de député (il faudra dire un jour combien le comportement d’histrion de certains d’entre eux aura porté atteinte à la notion de politique et à la substance de la république), les mêmes tendances à la stigmatisation de certaines populations. Pour l’instant il ne s’agit que d’une violence verbale, mais elle pourrait déborder demain vers la violence de rues pour peu que le résultat des urnes ne leur convienne pas. Toutefois, intellectuellement, LFI a perdu la bataille des idées. Cette nébuleuse de gauche extrême corrobore la thèse de Gramsci sur l’hégémonie idéologique mais à son détriment. Pourquoi ? Parce que LFI cristallise le ressentiment d’une strate sociale nombreuse, ces intellectuels prolétarisés dont le statut s’est dégradé depuis 30 ou 40 ans. De là, chez eux, une atmosphère de ressentiment contre une société dont ils pensent qu’elle ne les reconnaît pas à leur valeur ni ne leur accorde la place qui leur revient eu égard à leur parcours scolaire et à leurs diplômes. Bref, un manque douloureux de reconnaissance sociale. C’est ce prolétariat intellectuel, médiatique et du monde du spectacle (les « intermittents ») que capte Mélenchon. Un monde socialement circonscrit mais dangereux parce qu’animé par le ressentiment. L’étude des phénomènes révolutionnaires, je pense en particulier à la Révolution française, montre le rôle important de ces demi-lettrés, qui sont les prolétaires du « pouvoir intellocrate ». Ils sont présents dès les débuts de la Révolution et ce sont souvent parmi eux que se recrutent les éléments les plus radicaux dont Jean-Paul Marat, mi-journaliste, mi-médecin, est le prototype. Marat fait partie de cet entre-deux social, pas reconnu par la bourgeoisie et n'appartenant déjà plus au « peuple ». La difficulté à vivre cet entre-deux rend compte de la radicalité de certaines prises de position.

 De là à penser que ces gens-là gagneront aujourd’hui la bataille des esprits, il y a un monde…  Socialement, ils grapilleront ici et là quelques points dans l’opinion, mais c’est surtout dans les banlieues islamisées qu’ils chercheront à gagner des voix sur le thème de la « Palestine ». De là que ladite « Palestine » joue un rôle étonnant dans une campagne destinée à renouveler le parlement européen.

Cela posé, ils n’iront pas plus loin parce qu’ils méconnaissent l’insécurité culturelle évoquée plus haut et ne comprennent pas la mutation politique d’envergure opérée depuis une quarantaine d’années autour de la question de l’identité, prise en tenaille entre l’Europe de Maastricht (1992) et la poussée de l’islam. Ils applaudissent à l’immigration de peuplement et défendent le concept frauduleux d’islamophobie. Ce faisant, ils signent leur divorce avec la majorité des Français et des Européens.  

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