Environnement : une économie (de croissance) non prédatrice est possible<!-- --> | Atlantico.fr
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Les principales figures du mouvement EELV, Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, Delphine Batho et Eric Piolle.
Les principales figures du mouvement EELV, Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, Delphine Batho et Eric Piolle.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Bonnes feuilles

Pascal Perri publie « Le péril vert » aux éditions de L’Archipel. A contre-courant des mots d'ordre de la révolution verte, Pascal Perri apporte une contribution argumentée à un débat tant politique que philosophique et dont dépend notre avenir : comment préserver la nature sans porter atteinte aux droits humains ? Extrait 2/2.

Pascal Perri

Pascal Perri

Pascal Perri est économiste. Il dirige le cabinet PNC Economic, cabinet européen spécialisé dans les politiques de prix et les stratégies low cost. Il est l’auteur de  l’ouvrage "Les impôts pour les nuls" chez First Editions et de "Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien" chez Anne Carrière.

En 2014, Pascal Perri a rendu un rapport sur l’impact social du numérique en France au ministre de l’économie.

Il est membre du talk "les grandes gueules de RMC" et consultant économique de l’agence RMC sport. Il commente régulièrement l’actualité économique dans les décodeurs de l’éco sur BFM Business.

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Sur l'autre rive de l'écologie politique et économique, les enfants naturels du rapport Brundtland, écologistes « optimistes », estiment qu'il faut changer la nature de la croissance pour l'orienter vers des modèles de production doux et décarbonés. Là encore, le débat entre les deux écoles présente un caractère théologique. Les « thomistes » pensent que l'homme, « capable de Dieu », est aussi capable de raison, et qu'il infléchira sa marche vers le progrès pour le rendre conciliable avec la préservation, voire l'enrichissement du milieu naturel, dont il n'est que dépositaire, à l'inverse de la vision luthérienne de l'homme, désespérée, sans espoir de rachat. Ces écologistes progressistes ne sont pas les plus nombreux en France, dans les rangs d'Europe Écologie Les Verts. Ils ont toujours échoué à prendre en main le parti ou à le représenter à l'élection présidentielle. C'est pourtant ce versant qui serait le plus proche des pionniers de la pensée écologiste. Ellul plaçait sa confiance dans l'homme ; avec son compère Charbonneau, il appelait l'avant-garde consciente à évangéliser la société. L'homme avant l'État. EELV peut encore évoluer et changer de stratégie mais, à ce jour, les tenants d'une ligne dure ont pris le pouvoir dans le parti. Ne nous trompons pas, cependant. Ils n’ont pas pris les manettes par la force. La gouvernance du parti leur a été confiée par les militants, dans le cadre de modes de désignation incontestables. EELV, qui n’incarne pas seul l'écologie, est aujourd'hui un mouvement considérant la croissance comme satanique, avilissante pour les êtres humains. Si l'on convoquait saint Augustin, on pourrait affirmer que la croissance est une manifestation démoniaque du mal sur l'homme et sur la nature. C'est cette branche d'EELV qui justifie les défis à l'autorité, les actions coup de poing, l'intrusion des Faucheurs volontaires dans les centres de recherche. La minorité éclairée doit guider les brebis égarées. Les hommes confrontés à la société technicienne ont un devoir d'insoumission, pensent-ils. Le thème du progrès divertit l'attention. C'est en réalité un cheval de Troie du capitalisme industriel prédateur.

La pression écologiste sur la société comporte comme toutes les énergies qui s'expriment des externalités négatives dont la peur fait partie. Benoît Hartmann, ancien dirigeant de l'ONG France Nature Environnement, estime à cet égard que « la peur ne peut convaincre que les convaincus ». Elle est globalement inefficace, en termes opérationnels. Elle colore le fond de l'air sans apporter de solutions. L'argument des inégalités engendrées par notre mode de croissance paraît en revanche plus porteur et plus pertinent. La croissance des vingt dernières années n'a pas amélioré la distribution des revenus entre les très riches et les très modestes. Les écarts sont de plus en plus grands entre un club très fermé de très riches et le reste de la population. Laissons de côté les rapports annuels d'Oxfam dirigé par l'écologiste Cécile Duflot. Ni leurs résultats ni leur méthodologie ne sont conformes aux standards de la recherche académique. En France, les inégalités primaires sont très largement compensées par la redistribution. Le rapport de 1 à 22 retombe autour d’un rapport de 1 à 12 une fois les revenus sociaux distribués. La France est sans doute le plus social et le plus égalitaire des grands pays de l'OCDE, grâce à son système fiscal, à son modèle de retraite et à son assurance chômage. De surcroit, la structure du marché français, dominé par les  petites et moyennes entreprises, exclut les écarts considérables de revenus entre employeurs et employés. Un dirigeant de TPE de moins de dix salariés se rémunère modestement, tout comme un dirigeant de PME qui dans la plupart des cas a pris le risque d'engager son capital et de nantir ses biens personnels au service de son projet entrepreneurial. La France est aussi le plus vertueux des pays développés, en matière d'empreinte carbone. Il serait donc malvenu d'appliquer un traitement de choc au bon élève de la classe.

Les écologistes méconnaissent une loi d’airain de l'économie. L’accumulation de capital est une des conditions  de la recherche et de l'innovation. Quoi qu’on en dise, les grandes entreprises industrielles investissent massivement dans la décarbonation de leur modèle. En 2007, le Grenelle de l’environnement avait réuni les parties prenantes du changement et fixé des objectifs de réduction des émissions de CO2 et de défense de la biodiversité, en même temps qu’il promettait de s’attaquer à la maîtrise de la consommation de l’énergie. Presque quinze ans après, le chantier est inachevés, sans doute insuffisant, mais il serait malhonnête de prétendre qu’il n’a pas avancé. Toutes les grandes réformes requièrent un temps de préparation et d’exécution. Nous avons monté comment les entreprises s’adaptent aux demandes de la société,  dans l’automobile, l'aéronautique, les produits de grande consommation. Observons ce qui a déjà été fait, à l'initiative des citoyens, des consommateurs et des entreprises, mesurons à Iong terme l’impact des politiques publiques. L'idéologie empoisonne ce débat. Or, le temps des changements de production ‘est pas le temps politique, impatient et exigeant. L’industrie change, l’agriculture engage sa transition digitale et réduit son impact sur l’environnement, avec une double contrainte ; assurer la quantité, la qualité et le prix des productions alimentaires et sauvegarder le revenu des producteurs. Les profits ont une vertu. Ils alimentent la machine à innover et à changer les modèles de production. L'épisode des vaccins a montré que, sans capital, on ne finance nul progrès médical. Le succès de BioNTech et de Moderna s'est bâti sur la prise de risque et sur un investissement massif, associant des capitaux privés et de l'argent public. Sans croissance, nous n'y serions jamais parvenus et, au contraire, l'humanité se serait privée du bouclier vaccinal qui l'aide à se protéger du virus. Dans un rapport publié fin avril 2021, Oxfam, encore elle, association militante de gauche, proche des écologistes, ne retient qu’une information de l’année de pandémie. Les vaccins ont permis l’émergence de neuf nouveaux milliardaires, dont le français Stéphane Bancel, un ancien de bioMérieux, dirigeant de Moderna depuis 2011. Oxfam aurait pu s’interroger sur le départ de M. Bancel vers les Etats-Unis, Oxfam aurait pu faire le compte des vies sauvées, accessoirement des milliards perdus en investissement, des risques pris, de la recherche ARN, qui permettra de soigner les cancers à bref délai… Non, Oxfam ne retient qu’une chose, que les profits (virtuels à ce stade) des dirigeants des laboratoires auraient été plus utiles à vacciner des centaines de millions d’individus, en particulier ceux des pays pauvres. Raisonnement absurde, qui fait l’impasse sur les risques de la recherche et sur le travail des chercheurs. Que se serait-il passé, si les laboratoires avaient mis au point non pas un, mais des vaccins ? Car Oxfam semble de surcroît dénoncer des situations de « monopole ». Pourtant, on ne dénombre pas un vaccin mais une relue vingtaine. Et la liste n'est pas close. La haine du marché, de la concurrence, de l’initiative et du succès ont perverti le raisonnement des ONG écologistes. Alors même que les vaccins ont à l'évidence épargné de nombreuses vies ! Qu'aurait dit Oxfam, si les laboratoires privés avaient été bredouilles ?

© L’Archipel, 2021

A lire aussi : La décroissance, cette écologie triste qui ne résout rien

Extrait du livre de Pascal Perri, « Le péril vert », publié aux éditions de L’Archipel

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