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Il faut savoir gérer ses émotions
Il faut savoir gérer ses émotions
©Reuters

Perspective chimique

Premier volet de notre série sur les émotions. Acquis majeur de l'espèce humaine, au sens darwinien du terme, elles nous donnent la capacité de prévoir si un évènement sera difficile, dangereux, ou plaisant. Pourtant, dans un monde où la vie est de moins en moins prévisible, l'émotion peut aussi nous enfermer dans nos échecs, notre "impuissance apprise", et dans nos complexes.

Jacques Fradin

Jacques Fradin

Jacques Fradin est médecin, comportementaliste et cognitiviste.

Il a fondé en 1987 l'Institut de médecine environnementale à Paris. Il est membre de l’Association française de Thérapie comportementale et cognitive.

 

 

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Atlantico : Quels exemples concrets permettent d'illustrer qu'une émotion puisse avoir des effets néfastes sur le réel et le quotidien ?

Jacques Fradin : Tout le monde a expérimenté le caractère potentiellement perturbateur voire destructeur des émotions : perte de moyens lors d’une épreuve d’examen, pour déclarer ses sentiments, devant un danger, etc. C’est encore l’émotion qui nous détourne souvent d’un regard lucide sur nous-mêmes, les autres ou le monde : dépendance, jalousie, rancune, crainte, soumission, etc. !

Que nous soyons submergés par certaines émotions ou que, pour les éviter, nous nous emmurions (bien souvent sans le savoir) dans un déni plus suicidaire que salvateur, les émotions peuvent nous couper de nous-mêmes, de notre capacité d’adaptation, de créativité. Et ceci aussi bien à l’échelle des grands enjeux de notre vie (ne pas oser choisir ce qui nous plaît par peur de notre peur...) que du quotidien : petits compromis qui peuvent à la fois nous couper de nos sensations et de nos projets, selon l’adage bien connu du : demain, c’est décidé, je me lance et j’affronte mes peurs !

Comment naissent les émotions, qu'est-ce qui les provoque ?

L’émotion n’est pas en soi "négative", bien au contraire : si l’on simplifie, elle est l’ombre portée, mémorisée, de nos sensations : le désir et l’appréhension sont un "souvenir" du plaisir et du déplaisir. Leur fonction biologique est de déclencher la reproduction d’un acte qui a atteint son objectif "biologique" et qui a donc produit du plaisir (alimentaire, sexuel, etc.). A l’inverse, l’échappement et l’évitement proviennent d’actes qui ont créé du déplaisir, de la douleur, de la frustration. L’émotion nous enrichit du résultat biologique de nos expériences, afin de rendre plus probable le succès de nos actes futurs. C’est donc d’abord un acquis majeur de l’évolution des espèces, fondamentalement utile au sens darwinien du terme.

Pour autant, le plus utile des mécanismes a ses limites : l’émotion peut ainsi nous enfermer dans des schémas tout prêts, souvent difficiles à formuler et dont la résolution ne relève pas forcément de ce registre psychologique dit aussi cognitif : lorsqu’il s’agit d’une peur par exemple, l’affrontement imaginaire ou réel se révèle ordinairement le plus efficace et durable. Autrement dit, la réponse, le traitement nécessitent souvent d’activer le même registre que celui du problème : face à la peur, on remplace l’évitement par l’affrontement.

Mais ce qui fait surtout que l’émotion trouve plus que jamais ses limites, c’est qu’elle ne nous permet pas de faire face à la mutation permanente qui agite et même désormais habite notre monde, tant planétaire qu’intime : tout va plus vite, plus loin, autrement, on ne sait où... L’émotion trouvait sa fonctionnalité dans la stabilité du monde, ce qui lui conférait son caractère "prévisible". L’expérience faisait alors la différence. Or nous entrons dans celui du changement permanent et de l’imprévisible...

Aujourd’hui comme avant mais sans doute plus que jamais, l’émotion peut nous enfermer dans nos échecs, notre "impuissance apprise", nos complexes.

Face à cela, nous gagnons à faire appel à nos capacités d’adaptation, de raison ou d’imaginaire pour concevoir d’autres ressources, d’autres perspectives, construire d’autres solutions... et d’autres émotions ! Car l’émotion renaît de ses cendres, de nouvelles sensations donneront de nouveaux désirs... à condition de rompre périodiquement la spirale de l’appréhension et de l’évitement, qui congèle littéralement nos initiatives et nos potentialités. Nous apprenons de nos succès et tout autant de nos échecs sauf si la peur et la souffrance nous emmurent.

Peut-on décrire quelques grands types de blocages dûs aux émotions ?

Oui et... non.

Non au sens où la diversité de nos mésaventures est virtuellement, sinon infini, du moins indéfini et personnel. Il nous suffit de participer à des séances de psychothérapie de groupe pour découvrir à quel point chaque problème est particulier, malgré les apparences de ressemblance.

Mais oui, au sens où les mécanismes émotionnels et sans doute cérébraux qui les sous-tendent semblent assez standards, comme :

  • La peur de mourir ou de souffrir, que l’on retrouve dans les phobies, les attaques de paniques ou certaines anxiétés d’anticipations... Elle provient volontiers d’expériences traumatisantes mais tout autant de contextes prédisposants, où le moindre événement imprévu fut dramatisé, car l’anticipation chronique du risque voire du drame stimule les mêmes territoires cérébraux que les événements réels, ce qui finit par aboutir au même résultat ! Ou pour le moins, à en amplifier et pérenniser les conséquences ;
  • Les peurs sociales, comme le ridicule, la honte, la culpabilité, l’humiliation (1) ;
  • Plus sournoisement, nos antivaleurs, miroirs de nos valeurs, peuvent nous rendre intolérants et transformer en calvaire notre vie (et celles des autres) lorsque nous y sommes durement confrontés...
  • Notons que les émotions "perturbatrices" ne sont pas seulement négatives et qu’elles peuvent également positives : l’optimisme invétéré, la crédulité, la naïveté, l’excès de confiance en soi, etc. Une émotion est perturbatrice lorsqu’elle induit u comportement inadapté.
  • Etc.

Tous ces mécanismes n’étant pas forcément de même nature, on conçoit que les solutions ne le soient pas davantage : plutôt psychologique (cognitive) pour les uns (les antivaleurs par exemple), comportementale et émotionnelles (par affrontement) pour les autres, etc.

Angoisse, peur, colère... Ces émotions sont souvent considérées comme néfastes. Est-il possible de les neutraliser, voire de les mettre au service de son quotidien ? Comment les gérer au mieux ?

Là, nous abordons le vaste sujet du stress, souvent confondu avec l’émotion : il en est pourtant bien distinct, tant par sa nature que par sa signification.

Le stress est instinctif autrement dit il est inné et universel, qui dépasse largement notre espèce : c’est un signal d’alerte. Plus exactement, "il" est trois : la Fuite, la Lutte et l’Inhibition chers à Henri Laborit (= les trois F flight, fight and freeze des anglosaxons (2). Trois stratégies de survie face au danger primitif, comme la menace d’un prédateur. On comprend aisément leur utilité lorsque le danger est externe et immédiat !

Par contre, nous savons aujourd’hui que le stress humain est avant tout d’origine interne, cognitive ou émotionnelle. On comprend alors que fuir, lutter ou chercher à se cacher ne soit plus forcément pertinent. Pire, on devine aisément que ce soit carrément handicapant de chercher dehors ("c’est celui qui passe qui prend") lorsque nous devrions plutôt le faire en nous.

Notre boussole du stress se trouve désormais inversée. Et, comme pour ne rien arranger, le stress inhibe notre réflexion, il débranche littéralement et chimiquement notre cortex préfrontal (3), pourtant crucial pour prendre du recul et trouver de nouvelles sensations et solutions !

A l’inverse de cette spirale négative, gérer son stress crée un cercle vertueux car le calme est propice à l’intelligence, au sens très large du terme, de la rationalité, certes, mais aussi de la curiosité, la sagesse, la subtilité, la relativité, la capacité à s’individualiser ou individualiser l’autre, donc à faire preuve d’empathie, d’altruisme (toutes capacités étroitement liées au bon fonctionnement du cortex préfrontal).

Mais, nous l’aurons compris, le calme est aussi le symptôme de notre équilibre intérieur : les thérapies cognitives ont démontré depuis longtemps que l’incohérence et les dissonances intérieures sont les causes premières les plus courantes de notre stress. Bref, le stress n’est pas seulement néfaste parce qu’il nous fait perdre nos moyens (et ceux des autres car il est contagieux !), il traduit en amont un véritable dysfonctionnement interne. Redit autrement, il est informatif : je stresse parce que je me trompe, nom d’un éléphant ! En ce sens, il est extrêmement précieux. Au final, le gérer n’est pas une option : c’est un warning, un "ordre" (que nous donne en quelque sorte notre cerveau) (4) ! Si par exemple quelqu’un m’énerve ("il me fait perdre mon temps"), je peux me focaliser sur ses "insuffisances" et me fâcher... ou me demander ce que je pense ou fait qui me met à cet instant en conflit avec moi-même : ne manquerais-je pas un peu de patience, de tolérance ou de curiosité à son égard (pour attendre son tour au guichet, travailler ensemble, partager sa vie, l’éduquer, le manager...), etc ?

Qu'y a-t-il à gagner à savoir gérer ses émotions ? En quoi est-ce si important ? 

Que ce soit gérer ses émotions ou le stress qui résulte, c’est assurément essentiel pour gagner en équilibre psychologique et donc en capacité à mener sa vie de façon satisfaisante et épanouissante. Il ne s’agit pas ici d’opposer les "mauvaises émotions" à la "bonne raison" : les émotions sont essentielles à la vie mentale, au cœur de nos mécanismes motivationnels. Elles créent une sorte d’inertie, d’ombre ou de lumière projetées bien au-delà des événements qui les produisent. Et, comme les phares, il faut parfois les détourner, réorienter pour éclairer là où nous sommes et nous allons.

D’ailleurs, les émotions sont multiples : Antonio Damasio nomme sentiments celles produites par le cortex préfrontal. Une émotion amoureuse, c’est le désir de prolonger cette expérience merveilleuse. Le sentiment amoureux, c’est le désir de partager ce bonheur, pour ne pas dire que l’on ressent celui de l’autre comme si c’était le nôtre, qu’il devient parfois plus vital que le nôtre, même lorsque les causes de nos émotions ont plus ou moins disparues (par l’âge, la maladie...) ou que nous risquons ou sacrifions notre vie pour l’autre. Le préfrontal est le lieu où intelligence et émotion se rencontrent (5) !

Gérer nos émotions et notre stress, c’est donc intégrer les trois facettes de notre vie mentale, pensée, émotion et comportement, comme un tout. La sérénité et le bonheur sont les symptômes de ce bon fonctionnement alors que le stress en traduit le dysfonctionnement : le stress est au mental ce que la douleur est au physique !

Essentiel, vital, à condition d’en comprendre le sens.

C’est justement cela l’objectif de cette connaissance de soi et la gestion qui en découle.


(1) Fradin, J., & Lefrançois-Coutant, C. (2014). La thérapie Neurocognitive et comportementale : Prise en charge neurocomportementale des troubles psychologiques et psychiatriques. Bruxelles : de Boeck.

(2) Laborit, H. (1985). L’éloge de la fuite. Paris : Folio.

(3) Arnsten, A. F. T. (2009). Stress signalling pathways that impair prefrontal cortex structure and function. Nat Rev Neurosci, 10, 410-422.

(4) Fradin, J. et al. (2008). L'intelligence du stress. Paris : Eyrolles

(5) Damasio, A. (2002), Le sentiment même de soi : corps, émotions, conscience. Paris : Odile Jacob.

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