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Entre néolibéralisme décomplexé et nationalisme provocateur : l'impossible stratégie de la décennie sarkozyste
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Bonnes feuilles

En ce début de XXIe siècle, tout semble à nouveau remis en cause : tandis que les gauches sont menacées de disparition, les droites sont aujourd'hui hégémoniques. Mais le pluriel s'impose plus que jamais. De fait, les oppositions ne manquent pas, entre tenants du libéralisme et droite nationaliste, ou entre "les mondialistes" et "les patriotes", comme Marine Le Pen aime à le répéter. Extrait de "Histoire des droites en France" de Gilles Richard, aux Editions Perrin (2/2).

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Gilles Richard

Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud et agrégé d'Histoire, Gilles Richard a été professeur à l'IEP de Rennes et enseigne aujourd'hui à l'Université de Rennes 2. Il est notamment l'auteur de Histoire des droites en France 1815-2017 (Perrin, 2017).

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Il devint sur-le-champ le ministre le plus en vue, omniprésent par ses interventions quasi quotidiennes, ses déplacements médiatisés, ses initiatives politiques faites sur un mode volontiers provocateur. L’adoption de la loi de programmation sur la Sécurité intérieure en 2002 (création de 13 500 postes de policiers et gendarmes en cinq ans et de « centres éducatifs fermés » pour les mineurs délinquants) fut la première étape de la stratégie anti-FN conçue par le ministre de l’Intérieur et ses conseillers. De quoi s’agissait-il ?

À la différence de bien d’autres, Nicolas Sarkozy n’avait jamais prôné une alliance avec le FN. En décembre 2002 puis en novembre 2003, il affronta en direct à la télévision Jean-Marie Le Pen – ce que Jacques Chirac avait refusé en avril 2002 – dans l’émission 100 minutes pour convaincre (France 2). Face à un adversaire déstabilisé à plusieurs reprises, il affirma haut et fort son rejet des « idées d’extrême droite ». Il était en cela sur la même longueur d’onde qu’Alain Juppé, adepte du cordon sanitaire entre UMP et FN, mais il refusait dans le même temps, comme Charles Pasqua, de tirer un trait sur les électeurs frontistes. Jusque-là, ni l’un ni l’autre n’étaient cependant parvenus à leurs fins. Il fallait donc dépasser l’opposition entre partisans et adversaires d’une alliance en élaborant une politique globale sur la question nationale qui eût sa logique propre et dont la réalisation ne dépendît pas de son adversaire. Comment ? En privilégiant sans hésiter la répression sur la prévention, sur un mode qui rappelait, par certains aspects, celui de Michel Poniatowski dans les années 1970 ou celui de Charles Pasqua dans les années 1980, en luttant sans faiblesse contre les immigrés délinquants ou illégaux mais en excluant dans le même temps toute idée d’expulsion massive des étrangers et en défendant au contraire le principe de l’intégration, à la fois souhaitable et possible pour la majorité d’entre eux. Au nom de ses origines étrangères, hongroises du côté de son père, ottomanes (comme Édouard Balladur) du côté de sa mère, il aimait se définir comme un « petit Français au sang mêlé », ardent défenseur des plus démunis, principales victimes de la délinquance quelles que fussent leurs origines.

Pour montrer que sa politique de répression n’était en rien inspirée par un quelconque racisme comme on l’en accusait souvent à gauche, il fit aboutir le projet imaginé par Pierre Joxe en 1989, repris par Charles Pasqua en 1993 puis Jean-Pierre Chevènement en 1999 mais non abouti faute d’accord général, d’un Conseil français du culte musulman. Les 6 et 13 avril 2003, environ 3 200 grands électeurs, représentant près d’un millier de lieux de culte musulmans, désignèrent les membres du CFCM. Pour faire aboutir des négociations enlisées pendant des années du fait des divisions entre musulmans selon leurs origines géographiques et, plus encore, leurs conceptions divergentes de l’islam, Nicolas Sarkozy imposa un compromis qui permettrait à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, de participer à part entière au CFCM tout en accordant d’office, avant le vote, la présidence du futur Conseil à Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, proche de l’Algérie, cela pour rassurer ceux qui se méfiaient des fondamentalistes. Les résultats montrèrent qu’à côté de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), proche du Maroc (39 %), l’UOIF (32 %) était plus influente que prévu alors que la Mosquée de Paris n’obtenait que 14 % des voix, les autres associations, dont le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) 5 %, se partageant le reste des suffrages.

Comme prévu dans l’accord préalable, Nicolas Sarkozy assista – une première – au congrès de l’UOIF le 19 avril suivant, afin de signifier officiellement que l’association était bien légitime aux yeux de l’État. De nombreux musulmans attachés à la laïcité, à l’image du mufti de Marseille, Soheib Bencheikh, dénoncèrent la respectabilité ainsi offerte aux « obscurantistes ». Lors de l’élection des 25 Conseils régionaux du culte musulman, organes privilégiés des relations avec les pouvoirs publics (carrés musulmans dans les cimetières, construction des mosquées, etc.), l’UOIF conquit 11 présidences (dont celles d’Île-de-France, Provence et Alsace, les trois régions où il y avait le plus de musulmans) contre 10 à la FNMF et 1 seule à la Mosquée de Paris. Dalil Boubakeur accusa l’UOIF d’avoir utilisé des fonds envoyés par les pays du Golfe pour acheter des voix et annonça sa démission de la présidence du CFCM en août mais la reprit, sur intervention du ministre de l’Intérieur qui ne voulait pas voir son action remise en cause. À n’en pas douter, les organisations musulmanes hostiles aux principes de la République sortaient renforcées et légitimées de ce processus institutionnel6.

La popularité croissante de Nicolas Sarkozy et les conflits permanents au sein de l’UMP entre chiraquiens et balladuriens poussèrent Jacques Chirac à agir. Il retira l’Intérieur à son titulaire pour le confier à Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères respecté et chiraquien fidèle. Dans le troisième gouvernement Raffarin, formé après l’échec électoral aux élections locales de mars 2004, Nicolas Sarkozy devint ainsi ministre des Finances tandis que Dominique de Villepin, remplacé au Quai d’Orsay par Philippe Douste-Blazy, s’installait Place Beauvau. Mais la manœuvre fit long feu car la démission forcée d’Alain Juppé en juillet 2004 de son poste de président de l’UMP, après sa condamnation dans la procédure judiciaire sur les emplois fictifs de la mairie de Paris, ne fit qu’accroître au sein du parti la volonté de tourner la page du chiraquisme.

Le 1er septembre, Nicolas Sarkozy annonça sa candidature à la présidence de l’UMP. Le 28 novembre, au congrès du Bourget, il fut élu avec 85 % des voix contre 9 % à Nicolas Dupont-Aignan et 6 % à Christine Boutin. Il avait reçu le soutien des principales tendances de l’Union, libéraux (« Les Réformateurs » d’Hervé Novelli), démocrates-chrétiens (« Démocrate et populaire » de Pierre Méhaignerie) et anciens séguinistes (« France 9 » de François Fillon). Clôturant la journée, le nouveau président annonça de façon à peine déguisée son intention d’être candidat à la prochaine élection présidentielle : « Je suis prêt parce qu’au plus profond de moi-même, je sais que la France ne redoute plus le changement mais qu’elle l’attend. Et ce changement, c’est nous qui allons l’incarner. » Le lendemain, il démissionna de Bercy, comme le président l’avait exigé pour ne pas accroître encore son influence dans le gouvernement. Cela le libéra de toute tutelle et, assuré du soutien d’un parti où les adhésions affluaient pour le soutenir, il put se consacrer à son objectif.

La victoire du « non » le 29 mai 2005 porta le coup de grâce au gouvernement Raffarin. Le gouvernement Villepin lui succéda dans un contexte si difficile que Nicolas Sarkozy imposa au président son retour Place Beauvau, avec le titre de ministre d’État, tout en restant président de l’UMP et président du conseil général des Hauts-de-Seine où il avait succédé en 2004 à Charles Pasqua.

En octobre-novembre 2005, de graves émeutes éclatèrent dans diverses banlieues populaires de la région parisienne après la mort de deux adolescents poursuivis par la police à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et réfugiés dans un transformateur EDF où ils furent électrocutés, puis, trois jours plus tard, après une violente intervention policière contre une mosquée de la même ville. Jamais encore le pays n’avait connu des violences suburbaines de cette intensité, la plupart provoquées par de très jeunes gens, soutenus – au départ – par leurs familles7. Dramatique aboutissement d’une longue série d’affrontements entre forces de l’ordre et jeunesse populaire plus ou moins en échec scolaire, plus ou moins touchée par la délinquance, confrontée au chômage de masse, désespérée par les promesses non tenues des gouvernements successifs en matière d’égalité. Le gouvernement recourut à la loi sur l’état d’urgence du 3 avril 1955. Bien qu’il le fît de façon ciblée et modérée, d’aucuns ne purent s’empêcher de faire le rapprochement avec la guerre d’indépendance de l’Algérie dont les cicatrices n’étaient toujours pas refermées. Durant toute la crise, le ministre de l’Intérieur s’était bien sûr trouvé au premier plan. Le Premier ministre, voulant reprendre l’initiative politique, proposa en janvier 2006 une « loi pour l’égalité des chances » dont la mesure phare était la création du « contrat première embauche », vite appelé « CPE ». La loi fut adoptée au pas de charge le 21 février 2006, en recourant à l’article 49‑3 de la

Constitution. Pour favoriser l’embauche des jeunes trop souvent au chômage, un nouveau contrat de travail était instauré, sans que le patronat l’eût demandé. Réservé aux moins de 26 ans, il autorisait les employeurs à licencier le salarié sans motif pendant les deux premières années du contrat. La jeunesse scolarisée comprit l’enjeu de la mesure et, bientôt soutenue par une majorité de la société, se mobilisa massivement (plus de trois millions de manifestants dans les rues des villes le 4 avril) pour contester la loi, au point de contraindre le pouvoir à renoncer au CPE.

L’année 2006, en même temps qu’elle scella l’échec définitif des chiraquiens, acheva de promouvoir le ministre de l’Intérieur au rang de meilleur candidat à droite en 2007, imposant, selon ses mots au Figaro (9 avril 1998), « un discours qui ne soit pas outrancier mais décomplexé »

*Extrait de "Histoire des droites en France" de Gilles Richard, aux Editions Perrin

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