Entre enfumage des Occidentaux et virage stratégique : que pense vraiment la Chine de la guerre de Poutine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping se serrent la main après leurs entretiens à Moscou, le 5 juin 2019.
Le président russe Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping se serrent la main après leurs entretiens à Moscou, le 5 juin 2019.
©Alexey DRUZHININ / SPUTNIK / AFP

Allié

La publication de l’article d’un expert chinois en géopolitique a été perçue par certains observateurs comme le signal d’une inflexion de la position de Xi Jinping dans son soutien à la Russie face à l’Ukraine. A tort ?

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Atlantico : Plusieurs analyses d’experts chinois (Hu Wei, Wang Huiyao, etc,.) circulent sur internet relativement critiques des actions de la Russie en Ukraine. Certains y voient un signe d’inflexion du régime chinois dans sa position vis-à-vis du régime. Qu’en est-il ? A quel point est-ce une stratégie d’enfumage des Occidentaux pour éviter les critiques ?  Les analyser comme une preuve d’une évolution du régime n’est-il que de la pensée magique ?

Barthélémy Courmont : Les deux textes mentionnés, de Hu Wei et de Wang Huiyao, sont intéressants à la fois dans leur contenu, et du fait du profil de leurs auteurs, l'un et l'autre réputés et respectés. Wang peut par ailleurs être identifié comme un proche du Premier ministre Li Keqiang. Or, les relations entre Xi Jinping et son Premier ministre ne sont pas si harmonieuses que la nature du régime chinois le laisse entendre. Il y a des voix dissonantes à l'intérieur de l'Etat-parti, et la ligne politique suivie par Xi Jinping ne fait pas l'unanimité, en particulier à quelques mois du prochain congrès national du parti communiste chinois, qui reconduira le président pour un troisième mandat. Hu Wei ne bénéficie pas de la même influence dans les cercles du pouvoir, mais ses fonctions universitaires en font un intellectuel respecté. Les deux auteurs se montrent critiques de l'invasion de l'Ukraine, et donc de l'action de Vladimir Poutine. En ce sens, leur position n'est pas fondamentalement différente de celle du pouvoir chinois, qui depuis le premier jour du conflit s'inquiète de cette guerre en Europe, et appelle officiellement à la retenue et au dialogue entre Moscou et Kiev. Ils invitent cependant Pékin à prendre plus de distance avec le pouvoir russe, craignant une crispation de la relation avec Washington sur d'autres dossiers, et une nouvelle forme de bipolarité qui pourrait contrecarrer les ambitions chinoises. On voit surtout qu'ils prennent conscience de l'importance du conflit ukrainien dans sa capacité à modifier les équilibres internationaux, et estiment qu'il y a une opportunité pour la Chine qu'il ne faut pas laisser filer. Ce discours peut déplaire à ceux qui plaident en faveur d'un renforcement du lien avec Moscou comme principale conséquence de l'isolement de la Russie par les puissances occidentales, mais il n'est pas fondamentalement subversif en ce qu'il cherche à trouver la meilleure voie possible pour la Chine. Il y a donc un certain emballement dans le monde occidental qui consiste à mélanger critique de la guerre menée par la Russie en Ukraine et critique du pouvoir chinois. Ce que craignent les auteurs, c'est une nouvelle guerre froide imposée par l'Occident, mais aucun plaidoyer en faveur d'une démocratisation de la Chine n'est ici observé. Gare donc à ne pas sur-interpréter ces analyses qui ont justement le mérite d'être intelligentes et de voir au-delà du conflit ukrainien - ce qui fait précisément défaut aujourd'hui dans le monde occidental.

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Observe-t-on, dans les faits, une quelconque évolution de la position de Xi Jinping dans son soutien à la Russie face à l’Ukraine ? 

Il n'y a pas officiellement d'évolution depuis la proposition formulée par Pékin de servir d'arbitre entre Moscou et Kiev. On peut même considérer que la position chinoise est restée inchangée depuis le premier jour du conflit. Et elle est très simple: le retour à la normale doit être trouvé le plus rapidement possible, la guerre n'étant pas une option. La Chine n'aime pas la guerre, car celle-ci peut perturber et même modifier des équilibres, et provoquer des incertitudes. La Chine ne veut pas la guerre, mais cela ne l'empêche pas de réfléchir à ses propres intérêts. Or, la rupture entre Moscou et le monde occidental pousse la Russie dans les bras de la Chine. Ce peut être une opportunité, mais la contrepartie est le risque, ici nettement identifié par Hu et Wang, de voir la Chine être à son tour isolée des Occidentaux. Dès lors, pas de soutien à la Russie, mais pas de condamnation non plus. Une position assez simple à comprendre, peut-être critiquable d'un point de vue moral, mais que de très nombreux autres pays partagent.

Sait-on véritablement ce que veulent les Chinois ? Quel rôle donnent-ils à la guerre actuelle en Ukraine ?

La Chine a deux obsessions. La première est la croissance économique. Or, les dernières prévisions de croissance ont été revues à la baisse, ce qui place potentiellement le pouvoir chinois dans une situation délicate, d'autant que le retour de la pandémie de Covid-19 avec des chiffres inquiétants pourrait repousser le retour de la croissance. La guerre en Ukraine se traduit par de fortes perturbations sur la croissance mondiale. Et le pire est à venir. En tant que puissance économique de premier plan, étroitement associée à la mondialisation, la Chine pourrait en faire les frais. C'est pourquoi cette guerre inquiète Pékin. L'autre obsession est la stabilité. Stabilité du régime chinois, bien entendu, et donc volonté de conserver la légitimité de l'Etat-parti. Un objectif plus facile à atteindre quand la croissance est au rendez-vous et les perspectives de développement dans le vert. Avec la crise ukrainienne, on peut potentiellement passer au rouge. Stabilité internationale enfin, et donc volonté de ne pas rompre un équilibre des puissances qui favorise la montée en puissance chinoise. Pékin a tout intérêt à éviter de grandes perturbations qui pourraient affecter sa montée en puissance.

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Si l’on veut comprendre quelle est la position du régime et celle de Xi Jinping, quels sont les éléments dont il faut tenir compte et analyser ? 

Le régime chinois est réaliste. L'intérêt national est son objectif, et la mise en avant d'un Etat fort son mode de fonctionnement. Pas de place pour des valeurs transnationales qui pourraient menacer cet intérêt national. La Chine reste un pays de tradition confucéenne, où l'ordre et la hiérarchie sont des éléments au centre de son dispositif. La Chine est ambitieuse, elle veut retrouver sa dignité et sa place sur la scène internationale. Mais pas à la manière de Vladimir Poutine qui joue son avenir et celui de son pays au poker menteur. C'est sans mener les batailles qu'il faut gagner les guerres, et c'est en favorisant une émergence progressive, sans heurts, que Pékin entend devenir dans les prochaines décennies la première puissance mondiale. En Chine, on préfère Sun Zu à Thucydide, les vainqueurs sans combattre aux héros légendaires de tradition occidentale. Xi Jinping a des caractéristiques qui lui sont propres, et sans doute est-il plus sensible que ses prédecesseurs à un certain culte de la personnalité. Mais ce n'est pas le profil du dirigeant chinois qui compte ici, mais plutôt la nature du régime et la manière avec laquelle la Chine voit sa montée en puissance. Toute comparaison avec Vladimir Poutine, qui est un dirigeant occidental, est donc déplacée. Comprendre les positionnements des dirigeants chinois sur la scène internationale passe nécessairement par une compréhension de la civilisation chinoise.

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