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Enrôlé de force dans la Wehrmacht : le terrible moment du serment hitlérien
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Bonnes feuilles

Jeune Français de 18 ans, Joseph Isler a été enrôlé de force dans la Wehrmacht pendant deux ans, comme nombre de jeunes lorrains et alsaciens appelés "Malgré-Nous". Grâce à l'aide de sa fille Simone, il livre dans "Malgré Nous" (La Martinière) son témoignage sur l'une des pages les plus sombres de l'histoire (1/2)

Le serment hitlérien, qui a été instauré sous le IIIe Reich, est une cérémonie au cours de laquelle les soldats de l’armée allemande et les fonctionnaires allemands doivent jurer loyauté et fidélité à Adolf Hitler. En s’engageant auprès de la personne de Hitler plutôt qu’à la nation ou à la Constitution, ces hommes se retrouvaient ainsi liés par l’honneur au Führer. Ce serment est un point fort dans la volonté de Hitler de soumettre son peuple de façon inconditionnelle : beaucoup de cadres de l’armée ne reviendront jamais sur leur engagement personnel de loyauté, ce qui explique en partie qu’ils n’aient jamais remis en cause les ordres militaires, et plus tard leur suicide.

Le vendredi 28 s’est passé pour beaucoup de recrues à apprendre par cœur le serment en question : « Je jure devant Dieu obéissance inconditionnelle à Adolf Hitler, guide du Reich et du peuple allemand, commandant en chef des forces armées, et je jure que je suis prêt à donner ma vie en brave soldat pour respecter ce serment. » La cérémonie est répétée maintes et maintes fois, afin d’éviter toute erreur et d’avoir l’allure requise.

Chacun de nous est confronté à la réalité : s’engager officiellement dans l’armée de Hitler. Les enrôlés de force sont tenus autant que les autres à ce serment. Pour nous il sera terrible à prononcer puisque nous pensons le contraire sans jamais pouvoir l’exprimer. Il va pourtant falloir être capable de le dire stoïquement. Tandis que j’apprends ces mots terribles, j’espère très fort ne jamais avoir à tuer aucun homme dans cette guerre stupide due à la volonté folle d’un dictateur d’annexer la terre entière. Je me persuade au fond de moi- même que Dieu me protège et que des hommes courageux et vaillants réussiront bientôt à anéantir ce fou.

Nous ne devons jamais rien exprimer, sous peine de mort. Et les moments d’intimité avec quelques êtres de confiance sont rares, où les cœurs peuvent épancher leur amertume et leur colère sans être contraints à ces faux- semblants si terribles à vivre à dix- sept ans. Nous allons être nombreux, les Malgré- Nous, à souffrir dans notre âme de cette opposition entre nos actes et notre conscience, le corps obligé de faire le contraire de ce que la conscience lui dicte.

Nous apprendrons donc les terribles paroles par cœur sans rien laisser paraître, mais ce jour- là nous serons nombreux à prendre de profondes résolutions en notre for intérieur : tout faire pour nous désolidariser de ce pacte diabolique. Mais pourquoi sommes- nous si seuls, où est donc l’Église dans toute cette folie ?

Jusqu’en 1933 elle s’est peu exprimée, puis le Concordat signé le 20 juillet 1933 entre le Vatican et l’Allemagne a donné l’illusion à beaucoup de catholiques d’un respect de l’Église par les nazis. Cependant Hitler ne voit là qu’un moyen d’influencer le catholicisme allemand et de le manipuler. Entre 1933 et 1939, cinquante-cinq protestations émanèrent de la part du Vatican. Mais l’attitude de l’Église est un mélange de compromissions et d’actes de résistance au pouvoir allemand qui viole le concordat. Pie XI publie en 1937 l’encyclique nommée Mit brennender Sorge (Avec un souci brûlant) sur l’incompatibilité de la doctrine nazie avec celle de l’Église. Après cette encyclique, mille cent dix prêtres seront arrêtés en Allemagne.

Cependant les attaques de la majorité des catholiques sont davantage dirigées contre le communisme que contre le nazisme. Cette encyclique dit pourtant bien que la foi en un « Dieu national » est une erreur totale et que le Dieu chrétien ne peut être réduit aux limites d’un peuple, d’une race. Tous ces éléments me reviennent en mémoire : notre petit curé de village nous avait alors très bien expliqué cela dans le secret.

Je me rappelle également que les évêques allemands approuvaient globalement la politique de Hitler. Ils acceptèrent même de faire sonner les cloches des églises le 10 avril 1938 lors de l’Anschluss autrichien, pour fêter l’événement. Puis, il y eut la lettre pastorale de septembre 1939 : « Nous exhortons les catholiques à faire leur devoir de soldats et à tout sacrifier d’eux- mêmes en obéissance au Führer. Nous faisons appel aux fidèles pour qu’ils prient ardemment la divine Providence afin qu’elle conduise la patrie et le peuple à un bienheureux succès et à la paix ! »

Seuls sept catholiques refusèrent de servir militairement leur pays dans tout le Reich. Six furent exécutés et le septième déclaré fou. Malgré la répression féroce, de nombreux catholiques résistèrent. Quatre cent quarante-sept prêtres allemands furent envoyés à Dachau et quatre- vingt- quatorze y moururent. Dans cette résistance catholique allemande, se trouvent surtout des jésuites, des syndicalistes et des objecteurs de conscience. Notre curé nous avait bien expliqué les choses afin que notre pensée soit claire et forte quand nous serions confrontés aux réalités de la guerre. Aujourd’hui j’y suis, face à la réalité, moi et tous ceux qui sont obligés de prononcer ce serment à Hitler. C’est à mon tour de passer, en tenue militaire, sur le devant de la scène où tout est fait pour être à la hauteur du cérémonial. Mais nous les enrôlés de force, nous interdisons à nos visages toute expression pénétrée et convaincue. Je me tiens donc là bras levé devant tous, et prononce du bout des lèvres ces paroles terribles du serment hitlérien pendant que mon âme les abjure une à une.

Extraits de "Malgré moi, enrôlé de force dans la Werhmacht" de Joseph et Simone Isler publié aux Editions La Martinière (2014). Pour acheter ce livre, cliquez ici

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