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Engie, un navire en attente d’un vrai gouvernail
©ERIC PIERMONT / AFP

Géant de l'énergie

Après l'éviction de la directrice générale Isabelle Kocher, Engie espère tourner la page des conflits internes. Des questions se posent également sur l'avenir de la participation de l'Etat.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Les remous qui secouent la direction d’Engie, 3e grand énergéticien français derrière Total et EDF, manifestent un malaise profond au sein d’une entreprise qui, depuis sa création il y a un peu plus d’une décennie, cherche toujours sa place dans un paysage économique en pleine évolution. Il faut ainsi rappeler les conditions de la fusion entre Gaz de France (GDF) et Suez, réalisée en 2008. Plus qu’une véritable décision industrielle et politique cohérente, il s’agit avant tout de la réaction de l’Etat à l’évolution profonde des secteurs électrique et gazier européens, sous la pression de la Commission européenne. Les directives 2003/54 et 2003/55 qui libéralisent les marchés de distribution du gaz et de l’électricité dans les Etats-membres, avec une entrée en vigueur fin 2007, font craindre pour l’avenir de GDF, opérateur stratégique pour la France, mais petit à l’échelle du continent. Dans le même temps le groupe Suez, présent à la fois dans l’énergie, l’eau et les déchets dans de nombreux pays, fait l’objet d’une tentative d’OPA hostile de l’électricien national italien Enel. La concomitance de ces deux situations crée ainsi une opportunité : un mariage entre GDF et Suez, même si les deux entreprises apparaissent peu compatibles en termes de culture aussi bien que d’activités.

Le mariage de la carpe et du lapin est donc célébré par Paris après avoir obtenu la bénédiction des autorités européennes. Alors que la grande différence entre les structures était, comme dans toute fusion, une menace forte d’échec, GDF-Suez s’est étonnamment révélé un groupe aux lignes d’activités complémentaires. Les liens – devenus évidents aujourd’hui – entre savoir-faire gazier et énergies renouvelables puis entre renouvelables et eau-environnement, ont donné à GDF-Suez un profil unique. Le savoir-faire majeur de l’entreprise résidait entre 2008 et 2016 dans une capacité originale d’équilibrage du mix électrique des clients, avec la possibilité d’installer des systèmes relativement complexes mêlant hydraulique, éolien et gaz. Toutefois des choix internes ont décidé de mettre fin à cette situation, avec une servicisation à outrance avec un totem numérique sans cesse martelé, alors même que l’entreprise n’est pas un acteur historique du traitement des données ou du cyber, l’obligeant à faire appel à des géants sur lesquels elle n’a aucun contrôle.

En réalité GDF-Suez puis Engie ont avant tout souffert d’un problème – somme toute assez répandu mais toujours dramatique – d’absence de véritable stratégie. La direction bicéphale G. Mestrallet-J-F. Cirelli puis la prise en main de la direction générale par I. Kocher en 2016 ont été marquées par des errements et une absence de vision globale. L’ère Mestrallet-Cirelli était avant tout celle de la cohérence des activités avec une entreprise présente sur toutes les énergies – sauf le pétrole – et l’eau-environnement dans une quarantaine de pays. Alors même que l’équation de la complémentarité entre elles semblait avoir été résolue, le changement de dirigeant a signé une nouvelle orientation, davantage tournée vers la transition énergétique.

Or une transition réussie est celle qui chemine progressivement d’une situation à une autre en évitant à la fois les à-coups et la brutalité. Dans le cas d’Engie ce fut tout le contraire. La cession rapide des activités d’amont gazier et de gaz naturel liquéfié, poumon économique du groupe, a été l’erreur que le groupe ne cesse depuis de payer très cher. En effet le financement de la transition énergétique et numérique ne peut se faire, pour une entreprise de cette taille-là, que par un apport régulier de fonds en appui du développement technologique. Se couper de cette source, c’était par avance condamner l’évolution d’Engie comme champion des solutions énergétiques bas carbone. Total qui a, au contraire, fait le choix de financer ses activités bas carbone (SunPower, SAFT, Total Power) par le pétrole et le gaz, manifeste sa réussite par une excellente santé économique (son résultat net est 6,5 fois supérieur à celui d’Engie). Loin des ambitions irréalistes d’I. Kocher de transformer Engie à marche forcée, y compris au travers d’une numérisation non-maîtrisée des activités, la dure réalité économique montre que, dans le domaine de l’énergie, seul l’équilibre est payant. La révolution brutale est toujours séduisante sur le papier pour plaire aux Greta Thunberg de tous poils, elle l’est beaucoup moins dans la réalité.

Toutefois l’enjeu n’est pas aujourd’hui de savoir à qui imputer la faute de l’état moribond de l’entreprise. Engie demeure, en France avant tout mais aussi en Europe, un acteur d’importance vitale, ne serait-ce que par son activité de distribution et stockage de gaz. Les hypothèses d’un désengagement de l’Etat ou même d’un démantèlement de la structure, se révèleraient dramatiques pour la sécurité énergétique – et au-delà – de notre pays. Il s’agit maintenant de protéger des actifs clés des appétits de certains acteurs extra-européens, avec, cette fois, une vraie vision stratégique. 

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