Energie : pourquoi Bill Gates croit qu’une révolution technologique sauvera la planète des pénuries d’ici 15 ans<!-- --> | Atlantico.fr
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Le nucléaire n'est pas l'avenir du modèle énergétique mais ce sont plutôt les énergies renouvelables et le développement de l'efficacité énergétique.
Le nucléaire n'est pas l'avenir du modèle énergétique mais ce sont plutôt les énergies renouvelables et le développement de l'efficacité énergétique.
©Reuters

Excès d’optimisme ?

L'optimisme de Bill Gates sur la révolution énergétique qui aura lieu d'ici 15 ans n'a rien d'outrancier. L'échéance fixée correspond à la période pendant laquelle des changements majeurs doivent avoir lieu. Par ailleurs, il existe des moyens de revoir en profondeur nos modes de consommation et de production énergétique.

Henri Landes

Henri Landes

Henri Landes est Directeur général de la Fondation GoodPlanet. Il enseigne aussi la politique de l’environnement à SciencesPo Paris depuis 2013 et est le cofondateur de CliMates, un think et do tank sur le changement climatique. Il a également cofondé une start up, Croc, un traiteur bio, local et zéro déchet en Ile-de-France. Franco-américain, il s’intéresse à la comparaison entre la politique américaine et la politique française, notamment sur les questions écologiques. Il est le coauteur avec Thomas Porcher de l'ouvrage sur la COP21, Le déni climatique (novembre 2015) et auteur de Allô Houston, ouvrages respectivement sur la politique climatique internationale et sur la politique américaine. Diplômé de SciencesPo Paris en Affaires internationales et de l’Université de Californie, Davis, Henri Landes a grandi a New York et San Francisco avant de s’installer à Paris en 2009. Il est passionné par la biodiversité marine, et est par ailleurs ancien joueur de tennis de haut niveau.

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Atlantico : Bill Gates a mis au point une équation mathématique démontrant la nécessité d'une révolution dans le domaine des technologies énergétiques, afin que les objectifs climatiques internationaux de réduction de gaz à effet de serre soient atteints. Selon lui, une telle révolution aura lieu d'ici 15 ans et sauvera la planète. Qu'exprime concrètement cette équation ? Qu'apporte-t-elle de nouveau ?

Henri Landes : L’équation de Bill Gates est intéressante car elle prend en compte plusieurs réalités concernant le changement climatique : il y aura une augmentation de la demande énergétique mondiale, une hausse de la population, et ainsi la nécessité de nouvelles technologies dans le domaine de l’énergie. Bill Gates conjugue ces différents paramètres afin que l'objectif de zéro émission nette de carbone soit atteint.

L’échéance de 15 ans, présentée dans l'équation, est pertinente. En effet, les quinze prochaines années seront déterminantes pour atteindre les 2 degrés, voir les 1,5 degré de réchauffement climatique préconisé par les experts du climat.

Mais dans la lutte contre le changement climatique, 15 ans c'est déjà loin ! Nous avons un budget d'environ 800 à 1000 milliards de tonnes de CO2 à émettre en tout. Actuellement, nous émettons 30 milliards de tonnes de CO2 par an. Cela veut dire qu'avec notre trajectoire actuelle, nous dépasserons le budget dans une trentaine d'années. Ainsi, nous devons déjà faire un grand pas en avant dans la transition énergétique dans les 5 et 10 ans à venir.

Bill Gates a bien compris que l'humanité doit sortir du carbone au cours du XXIe siècle pour garder notre planète vivable. Mais c'est un défi d'aujourd'hui. L'action est nécessaire immédiatement.

Par ailleurs, l'équation de Bill Gates est trop réductrice. Le changement climatique ne se résume pas seulement à un problème de carbone, ni un à un problème énergétique. La préservation du climat doit se faire dans d'autres secteurs économiques que l'énergie, notamment dans l'agriculture et le traitement des déchets. L'agriculture est très émettrice de méthane, gaz à effet de serre bien plus puissant que le carbone en termes de réchauffement de la température et qui correspond à 13-14% des émissions mondiales. Autre gaz à effet de serre, le protoxyde d'azote est un problème qu'il faut résoudre et qui n'est pas pris en compte dans l'équation de Bill Gates.

Enfin, Bill Gates ne prend pas en compte la préservation de la biodiversité et des océans. Ces derniers offrent des immenses puits de carbone naturels et qui maintiennent les équilibres naturels sur Terre. Or, les deux sont en train de se dégrader rapidement. Pour sauver le climat, préserver la biodiversité, les écosystèmes et les océans doit être mis au même plan que la révolution énergétique.

Partagez-vous son optimisme concernant l'imminence d'une avancée significative sur le sujet ? 

Oui, je partage son optimisme. Nous avons les moyens de lutter efficacement contre le changement climatique. Cela ne veut pas dire que le changement climatique n'a pas déjà des impacts sur les populations dans le monde entier et que certains impacts futurs ne sont pas inévitables. Résoudre le problème du changement climatique ne veut pas dire sauver tout le monde, car ce n'est plus possible. A ce stade, il s'agit d'éteindre un feu qui a déjà beaucoup dévasté.

Mais il faut se poser la question "que signifie réellement préserver le climat et l'environnement?" Il est nécessaire de changer nos modes de production et de consommation, dans toute l'économie et la société, pour que notre monde soit de plus en plus respectueux de la nature. Cela revient à ce que les individus se respectent de plus en plus entre eux parce que malheureusement, la pollution affecte plus les populations défavorisées. La préservation de l'environnement et la justice sociale vont de pair.

Selon lui, il s'agit avant tout d'un problème d'innovations technologiques dans le domaine de l'énergie. Pourquoi n'y en a-t-il pas eu davantage jusqu'à présent ? 

L'innovation technologique n'est pas la seule réponse. Si nous n'allons pas vers plus de sobriété, d'intelligence et de bon sens dans notre consommation, nous passerons à côté d'une grande partie du problème et continuerons à dégrader le milieu naturel et à réchauffer la planète. Les études montrent bien que lorsque nous remplaçons une technologie ancienne par une nouvelle plus "verte", l'empreinte carbone et écologique ne se diminue pas toujours mais se transfère sur un autre produit, à un autre secteur ou à un autre pays. Il faut que nous ayons une vision globale sur notre modèle de développement, notre consommation, sur la structure de notre économie et sur les échanges de biens et de services dans le monde.

Plusieurs raisons expliquent la lenteur des innovations, ou plutôt la lenteur de la généralisation de l'usage de ces innovations, car nombreuses solutions technologiques existent depuis longtemps. Par exemple, le premier panneau solaire a été fabriqué dans les années 1950.

Il s'agit surtout de choix politiques. Les choix politiques doivent prendre le dessus et inciter les choix des acteurs économiques, et non l'inverse. A toutes les échelles, les décisions politiques doivent maintenant mettre une priorité et une cohérence dans la préservation du climat et de l'environnement. Ensuite, sont nécessaires la pédagogie auprès des populations d'une part, et des politiques d'accompagnement et de soutien des acteurs économiques d'autre part.

La transition écologique doit être posé comme le projet de société de notre époque. Les moyens financiers et techniques doivent être mobilisés et les choix politiques doivent révéler une cohérence et une approche transversale. Trop souvent, des objectifs ambitieux sont fixés dans des négociations sur le climat, notamment lors de la COP21, mais ils sont oubliés dans d'autres instances de décision, notamment sur l'économie. Par exemple, lorsqu'un traité de libre-échange est signé entre des pays de l'Amérique du Nord et du Pacific, comme le dernier TPP, et qu'il n'est fait aucune mention du changement climatique, et encore moins d'un objectif sur le climat, cela revient à se tirer une balle dans le pied.

Suite à l'accord signé à la COP21, il faut irriguer la lutte contre le changement climatique dans toutes les décisions politiques. L'après COP21 doit être un temps de "transversalité écologique."

Pour accélérer la transition écologique et l'innovation, il faut aussi changer d'indicateurs et de paramètres économiques afin de mieux prendre en compte l'importance de ne pus polluer. C'est un effort à tous les niveaux qui est nécessaire : global, national, régional et local. Sans cette approche, nous resterons dans des schémas inefficaces et verront des effets de dilemme de prisonniers et de passagers clandestins qui diminuent l'effort global.

Certaines mesures sont incontournables. C'est le cas du prix du carbone, et plus largement du prix de la pollution. Si la tonne de carbone coûtait de100 à 200 euros à l'échelle mondiale, la massification des innovations dans l'énergie verte serait beaucoup plus rapide. Après la COP21, au cours de laquelle un signal en faveur de la fin des énergies fossiles sur le moyen-long terme a été envoyé, nous devons œuvrer vers une généralisation des mesures de tarification du carbone. Bill Gates a raison lorsqu'il affirme que dans de nombreux cas, le fait qu'il soit parfois encore plus cher d'investir dans les énergies vertes incite à polluer. Mais c'est déjà de moins en moins le cas.

Bill Gates considère que plusieurs voies doivent être empruntées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il a d'ailleurs investi dans l'énergie nucléaire de dernière génération. Pensez-vous que l'option du nucléaire soit l'une des réponses au défi posé par le changement climatique ?

Sur le nucléaire, la priorité doit tout d'abord être la sûreté des centrales actuelles, la réduction au maximum des risques à l'environnement et des risques à la santé publique. La santé et les bonnes conditions de travail des ouvriers dans les centrales nucléaires sont notamment une priorité. 

Ensuite, il faut sortir du débat par le haut et voir le nucléaire, notamment en France où il correspond à une grande part de la production électrique, comme un atout pour la transition énergétique car il permet de ne pas avoir recours aux énergies fossiles pendant cette transition. 

Mais selon moi, et selon la plupart des économistes, des investisseurs et des entreprises à travers le monde, le nucléaire n'est pas l'avenir du modèle énergétique mais ce sont plutôt les énergies renouvelables et le développement de l'efficacité énergétique. Les coûts des énergies renouvelables sont en baisse constante. Un panneau solaire coute huit fois moins cher aujourd'hui qu'il y a 15 ans. Nous ne pouvons pas dire la même chose pour le nucléaire, une source d'énergie qui nécessite des grands investissements et un temps long pour le développement. 

Par ailleurs, contrairement au nucléaire, les énergies renouvelables permettent davantage de développer un modèle énergétique décentralisé qui implique les collectivités locales, les acteurs économiques locaux et les populations. C'est une des clés pour l'acceptabilité sociale des innovations technologiques et pour l'engagement citoyen dans le projet de société qui est la transition écologique et énergétique. 

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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