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En Suisse, les femmes partiront (vraisemblablement) à la retraite à 65 ans
©FABRICE COFFRINI / AFP

Exception suisse

Considérant à la fois le vieillissement de la population suisse et, à terme, l’insoutenabilité du régime de retraite actuel, le 17 décembre 2021 une majorité d’élus à l’Assemblée fédérale votait une modification de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (AVS 21). La principale disposition de cette énième mouture de l’AVS, institution créée en 1948, est le report de 64 à 65 ans du départ des femmes à la retraite, alignement sur l’âge auquel les hommes peuvent actuellement faire valoir leur droit au repos.

François Garçon

François Garçon

Auteur de France défaillante, Il faut s’inspirer de la Suisse, Ed. L’Artilleur, 2011, prix Aleps du livre libéral 2022. François Garçon a rédigé plusieurs ouvrages sur les mérites de la Suisse (Le modèle Suisse, Perrin – Le Génie des Suisses – Tallandier) , et a enseigné pendant plusieurs années à la Sorbonne.

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Les syndicats ouvriers ne l’entendent pas de cette oreille

Dans la foulée du vote et usant d’un droit de véto figurant dans la Constitution fédérale depuis 1874, un comité de citoyens opposés à cette loi lançait le 4 janvier 2022 un référendum contre AVS 21 et, en moins de deux mois, récoltait plus de 100 000 signatures, soit le double du seuil nécessaire au déclenchement d’un référendum dit facultatif. Conséquemment, le 25 septembre prochain, soit neuf mois après le vote contesté des parlementaires, l’ensemble des citoyens suisses tranchera quant à savoir si les Suissesses pourront ou non partir à la retraite à 65 ans. 

La votation suisse est intéressante à plus d’un titre. 

D’abord, on observera que le travail des élus au niveau fédéral (mais également cantonal et communal) peut être légalement et pacifiquement défait par des citoyens mécontents. Charge à eux, dans un premier temps, de récolter les signatures permettant le déclenchement de la votation ; puis, dans un deuxième temps, charge aux mêmes de convaincre non plus 50 000 pétionnaires, mais une majorité des 5,3 millions d’électeurs suisses de la justesse de leurs arguments, le résultat du vote étant évidemment contraignant. Selon les premiers sondages réalisés à trois semaines du scrutin, une large majorité d’électeurs valide le travail des chambres fédérales, rejetant donc l’action des syndicats et des partis de gauche. Pourtant directement pénalisées par cette modification de l’AVS, les Suissesses se disent même favorables à cette disposition.

Ensuite, les Suisses démontrent une nouvelle fois leur attachement à la valeur travail. Pour toucher une rente dite complète, il faut aujourd’hui avoir effectué des versements continus depuis l’âge de 20 ans pendant 44 ans. Ce premier « pilier », qui garantit au retraité un revenu annuel d’au moins 14 340 SFR (montant maximal 28 440 SFR), s’adosse à un deuxième « pilier » : une prévoyance professionnelle obligatoire pour tous les salariés, financé par l’intéressé et son employeur. Premier et deuxième pilier visent à couvrir environ 60% du dernier salaire. Enfin, un 3ème « pilier » consolide l’édifice. Il s’agit d’une prévoyance facultative inscrite dans la Constitution, chaque individu étant libre de choisir son système par capitalisation. L’objectif recherché et de permettre à chaque individu de « maintenir de manière approprié son niveau de vie antérieur » (2)

Pourquoi l’absence de tempête sociale ?

Observée depuis la France, l’absence de manifestations de masse à propos d’une modification majeure du régime de retraite ne laisse pas de surprendre. A cela, plusieurs explications. La première est que la rédaction de la loi n’est pas abandonnée aux mains des parlementaires et de l’exécutif mais, si tel est son souhait majoritaire, confiée au peuple. Favorable ou non au projet AVS21, une majorité sortira des urnes le 25 septembre. Le verdict populaire, prononcé à majorité simple, sera incontestable. En démocratie, cette loi d’airain emporte tout. Le calme autour de cette votation et de son résultat tient encore au fait que les votations autour du régime de retraite sont régulières. Les Suisses y semblent même abonnés. A coups d’initiatives populaires et de référendums, la question a déjà été bien rôdée dans les isoloirs. Ainsi, en 1978, les électeurs ont refusé à près de 80% l’idée de ramener le départ à la retraite à 60 ans pour les hommes et 58 ans pour les femmes ; rejet à nouveau par le peuple en 1988 d’un départ à 62 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes. Rejet encore des initiatives populaires en 2000 et 2004 contre les relèvements d’âge de départ en retraite, ou, en 2008, « Pour un âge de l’AVS flexible ». A contrario, le peuple a régulièrement validé les décisions parlementaires repoussant l’âge de départ à la retraite : ainsi, en juin 1995, le peuple acceptait le relèvement de 62 à 64 ans de l’âge de départ pour les femmes. 

Comme en atteste la fréquence des votations sur la question (et sur des centaines d’autres sujets), les élus suisses ne peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Hors des Chambres fédérales et des parlements cantonaux, les contestataires sont là, armés de leurs stylos et de leurs pétitions, bien décidés à porter le débat devant l’entier de la population. Les droits politiques suisses (référendum obligatoire, référendum facultatif et initiative populaire) leur garantissent de telles entreprises, qui sont autant de soupapes de sécurité. Ainsi, depuis 1948, pas moins de quinze votations ont porté sur l’aménagement du régime de retraite et sur les conditions de son financement. 

Un peuple laborieux, et prospère

Le 25 septembre, une énième votation populaire entérinera donc probablement le travail des chambres fédérales. Déjà, il est acquis que d’autres comités pétitionnaires verront le jour dans les prochaines années qui contesteront à nouveau les futurs et inévitables réaménagements du système de retraite. Force est d’admettre qu’armés de tels droits, les citoyens suisses en font un usage raisonné. Le clientélisme électoral et la démagogie ne prennent pas dans un pays où l’on travaille beaucoup. Pour mémoire, en 2019, le taux d’actif des 15-64 ans en Suisse était de 84,3%, de 71,7% en France. Avec un PIB par habitant quasiment 60% supérieur à celui de la France (3) et une démocratie participative à ce point huilé, les laborieux suisses ne sont finalement pas les plus à plaindre. Au demeurant, ils se plaignent peu, définitivement moins que leur voisin français.

(1) Espérance de vie 86 ans/femme, 82 ans/homme, chiffres 2019

(2)  Constitution fédérale de la Confédération Suisse du 18 avril 1999, Art. 113 Prévoyance professionnelle

(3) 50 200 SFR, vs 33 800 SFR, en standard pouvoir d’achat (SVA), chiffres 2019, Mémento statistique de la Suisse 2021, Office fédéral de la statistique, Neuchâtel, pp. 26/27

François Garçon

Enseigant-chercheur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Historien, essayiste, 

Vice-président de Démocratie directe pour la France

Derniers ouvrages parus

Le Génie des Suisses, Tallandier, 2018

La France démocratie défaillante, Pourquoi il faut s’inspirer de la Suisse, L’Artilleur, 2020.

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