Machines à alimenter les extrêmes: en quoi l'accrochage entre Montebourg et Barroso est-il censé servir l’Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le seul vrai débat européen est celui que tout le monde se refuse à aborder de face : celui de la souveraineté."
"Le seul vrai débat européen est celui que tout le monde se refuse à aborder de face : celui de la souveraineté."
©Reuters

C’est celui qui dit qui est

Alors qu'Arnaud Montebourg avait accusé dimanche José Manuel Barroso d'être "le carburant du Front national", ce dernier a répliqué hier que "certains souverainistes de gauche ont exactement le même discours que l'extrême droite."

Jean-Thomas Lesueur

Jean-Thomas Lesueur

Titulaire d'un DEA d'histoire moderne (Paris IV Sorbonne), où il a travaillé sur l'émergence de la diplomatie en Europe occidentale à l'époque moderne, Jean-Thomas Lesueur est délégué général de l'Institut Thomas More

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Atlantico : Que faut-il penser de la prise de bec entre Arnaud Montebourg et José Manuel Barroso, dont l'origine remonte aux propos de ce dernier sur le caractère réactionnaire de la France ? Ne sommes-nous pas là un peu loin des vrais débats qui seraient utiles à l'Europe ?

Jean-Thomas Le Sueur :Le seul vrai débat européen est celui que tout le monde se refuse à aborder de face : celui de la souveraineté. Et il n’y a que deux options fondamentales : le fédéralisme et le souverainisme. Bien des experts ou des responsables politiques expliquent qu'il s'agit d'une vieille querelle, que ce ne sont que de mots « qui n’intéressent pas les Français » et « qu’il faut savoir dépasser ».

Or, c’est la seule question : qui a le pouvoir et qui peut dire « je » en Europe. Bien sûr, dans la mise en œuvre, dans le chemin qui conduirait à un processus fédératif, il peut y avoir des étapes et des pauses, tout est ouvert et tout est à inventer, mais sur le fond il n'y a bel et bien qu'un seul débat. Soit on veut garder les États-nations et, dans ce cas, on fait une Europe à faible teneur politique qui sera une « Europe de projets » entre États souverains qui coopèrent. Soit on est prêt à se lancer dans un processus de nature fédérale qui doit aboutir à un État fédéral, et donc à un transfert de souveraineté au bout du chemin.

Chacun s'accuse de faire monter les extrêmes. Qui de la réaction agressive d'Arnaud Montebourg ou de la posture cinglante de Barroso est le plus susceptible de les alimenter ?

Vu l'état de ras-le-bol et d'exaspération du corps politique français, je serais tenter de renvoyer les deux protagonistes dos à dos. Ce qui fait monter le Front national aujourd'hui, c'est la majuscule impuissance à résoudre la crise, impuissance aussi bien française qu’européenne. On voit que M. Montebourg et avec lui, l’exécutif dans son ensemble, est incapable d'enrayer le processus de désindustrialisation et de destruction d’emplois qui est à l’œuvre. Quand à l'Europe, elle n’est pas davantage capable de traduire en faits tangibles ses engagements en faveur de la croissance. Cela dit, j’ajouterais que l’Union européenne est très largement ce que ses États membres en font…

Mais quoiqu’on pense de cette nouvelle passe d’arme (après quelques autres récemment provoquées par l’exécutif français), et même si elle témoigne d’une ambiance délétère, ce serait bien qu’elle soit le prélude à un débat sur le fond… Après tout, dans un an, nous avons les élections européennes et toutes les occasions sont bonnes à prendre pour aborder enfin de front la question de savoir quelle Europe nous voulons. Et puis, si pour une fois, on pouvait parler d’Europe à l’occasion du scrutin européen…

Ce genre de polémiques porte-t-il préjudice à l'Europe ?

Seulement si on a peur du débat ! Seulement si on croit que les arguments simplistes du Front national sont puissants ! Pour ou contre, il faut que l'Europe soit un sujet de débat politique. Donc, même si l’espoir est assez maigre, d’un mal pourrait sortir un bien si cette anicroche débouchait sur un débat de fond sur ce que l'on veut faire de l'Europe et de la place que la France veut y occuper.

La Commission s'inquiète, par le biais de son président, des propos anti-européens tenus par la France. A-t-elle sérieusement raison de s'inquiéter, ou n'est-ce là que les classiques critiques contre l'Union européenne que l'on entend depuis des années ?

Il est normal que les artisans et les promoteurs de l'Europe s’inquiètent de la montée du sentiment anti-européen, de droite comme de gauche, partout en Europe. Le sentiment n’est pas juste une impression diffuse : beaucoup d’Européens sont aujourd’hui hostiles à l’Union Européenne. Le Portugal est en train de voir naître des partis anti-européens, la Pologne voit renaître de forts courants eurosceptiques, l'Allemagne a également vu la création du parti Alternative für Deutschland, lui aussi eurosceptique (ce qui est une première depuis soixante ans dans le paysage politique allemand, et qui est déjà crédité de 7% dans les sondages). Je passe sur les votes de l’année écoulée en Italie, en Grèce ou au Royaume-Uni. La France ne fait pas exceptions à la règle et avec l’addition de l’abstention, du Front de gauche et du Front national, cela m’étonnerait qu’on ait une « majorité » pro-européenne l’an prochain.

Certains, à Bruxelles, commencent à se demander si le Parlement européen qui sortira des urnes l’an prochain aura encore une majorité pro-européenne. Ce sera sans doute le cas, mais il est à parier que cette majorité sera courte. L'inquiétude est donc pleinement légitime.

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