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En marche vers une fin de quinquennat difficile ?
©Thomas SAMSON / AFP / POOL

Crépuscule

Libération publiait le 15 octobre dernier une déclaration de François Hollande prédisant une "claque" pour En Marche lors des élections européennes et la prochaine dissolution de l'Assemblée par Emmanuel Macron. Des déclarations démenties entre temps par le cabinet de l'ancien Président mais qui poussent à s'interroger sur l'apparente imperméabilité d'Emmanuel Macron avec les sondages. En cas de défaite lors des prochaines élections, pourra-t-il continuer à passer outre l'opinion publique ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Bien que les récents sondages illustrent une fracture profonde entre le Président et les Français, Emmanuel Macron présente une image d'homme imperméable à la démocratie sondagière. Mais si la situation venait à s'envenimer, combien de temps pourrait-il maintenir cette posture ?

Christophe Boutin : Si Emmanuel Macron était aussi insensible aux sondages d’opinion que vous le dites, il n’aurait pas fait faire dans l’urgence, bricolée par des techniciens peu au fait des modalités de la « mise en lumière » d’un Président de la République, et ce dans tous les sens du terme, sa pitoyable prestation télévisée de mardi soir. Et s’il ne s’agissait pas d’un bricolage, si effectivement les erreurs (lumière crépusculaire, cadrage en contre-plongée, discours lu sur un papier raturé…) étaient voulues et participaient d’une stratégie de communication destinée à rendre Jupiter humain – trop humain ! -, nous serions alors plus encore dans la prise en compte de ces sondages.  

Retenons cependant votre hypothèse d’un Macron refusant d’aller à Canossa s’agenouiller devant des médias qui, jouant de ces sondages qui montrent effectivement une baisse de la cote de popularité présidentielle, lui proposaient comme seule porte de sortie de venir faire amende honorable devant quelques-uns de leurs grands-prêtres. Faudrait-il s’en alarmer ?

Il est certain que la perspective de voir le pays dirigé par un pouvoir autiste qui se refuse à tenir compte de la réalité et s’enferme dans une suffisance aigrie n’a rien de séduisant. Mais voir ce même pouvoir, l’œil collé au seul baromètre des sondages d’opinion, changer de cap à chaque risée, le serait peut-être moins encore.

On rappellera d’abord à, ce sujet qu’un sondage ne donne jamais qu’un aspect de la réalité et n’est pas la réalité. Parce que des paramètres comme, par exemple, ceux de l’échantillon choisi, qu’il s’agisse d’un sondage empirique ou probabiliste, de la ou des questions posées, avec des choix fermés ou ouverts, et leur variété de propositions, celui des marges d’erreur enfin, jouent un rôle non négligeable.

On rappellera ensuite le rôle que joue l’institut de sondage ou le commentateur en faisant ressortir une donnée par rapport à une autre, pour en tirer une conclusion qui valide sa propre théorie pensée en amont, écartant ce qui, dans le même sondage, peut la contredire. En bref, on pose des questions en sachant déjà ce que l’on aimerait trouver comme réponses, et l’on trie dans les résultats pour en avoir la confirmation. Le tout dans un temps court, celui des médias, et avec une volonté d’impact sur l’opinion qui conduit souvent à caricaturer les résultats par des formules choc.

Dans ce cadre, on comprend la légitimité bien limitée de cette « démocratie sondagière » mêlant médias et instituts, une pseudo-démocratie d’ailleurs régulièrement surprise par les résultats réels donnés par la seule démocratie qui vaille, la démocratie citoyenne s’exprimant lors des élections. Ni fiable, ni légitime, elle ne saurait être qu’un instrument marginal d’aide au gouvernent, et ce d’autant plus qu’il peut exister des choix politiques nécessaires… mais nécessairement impopulaires, dont s’abstiendrait alors celui qui, uniquement préoccupé de son image dans les fameux sondages, flatterait l’opinion publique ou, au moins, essaierait de ne pas la choquer.

Mais sous cette « monarchie républicaine » qu’est la Cinquième république, les Français imaginent mal leur Président oscillant au vent des sondages et se soumettant aux diktats des médias, et le lien direct créé entre eux et le Chef de l’État par l’élection de ce dernier au suffrage universel direct, loin d’enlever son aura à la fonction et de faire descendre son titulaire de son Olympe, invite au contraire à l’y replacer. Un chef doit « cheffer » comme le rappelait en ses jeunes années Jacques Chirac, et c’est pourquoi le Président, comme d’ailleurs l’avait bien compris le Macron des premières semaines de pouvoir, doit maîtriser sa communication et ne pas avoir l’air de répondre aux injonctions de qui que ce soit, et moins encore des médias.

La posture de la distance d’avec cette « démocratie sondagière » que vous évoquez est donc la bonne, tant du moins qu’elle semble légitime. Mais lorsque le titulaire du pouvoir vient lui-même perturber le rapport qui s’est créé, accumulant les fautes de communication, de la surprotection de ses proches aux selfies improbables, la distorsion créée vient mettre à mal l’image du pouvoir transcendant, au point que certains citoyens finissent par trouver légitime la mise en accusation médiatique dont il est l’objet… ce qui amplifie sa baisse sondagière. Un cercle vicieux dont il est bien difficile pour un pouvoir dès lors affaibli de sortir sans ressourcer sa légitimité politique d’une manière ou d’une autre…

Chloé Morin :Je ne suis pas certaine qu’on puisse le dire totalement « imperméable » aux sondages, même si l’idée que le Président n’en fait qu’à sa tête et gouverne un peu trop seul s’est effectivement installée dans l’opinion ces derniers temps. 

Certes, il a semblé ignorer les alertes pendant plusieurs mois, car les sondages montrent depuis longtemps que sa politique est perçue comme injuste (déjà 71% en mars 2017 selon BVA, par exemple), ou encore que les Français le jugent arrogant et coupé de leurs réalités quotidiennes. Il a semblé sous-estimer ou vouloir minimiser l’impact dans l’opinion de polémiques récentes - comme « l’affaire Benalla » -, et persisté dans les petites phrases provocatrices qui, à l’image du conseil donné au jeune horticulteur de traverser la rue pour trouver du travail, ont contribué à dégrader son image. 

Pour autant, il a opéré ces dernières semaines l’amorce d’une révision, sinon de sa ligne politique elle-même, du moins de son « style » et de sa méthode de gouvernement. Il semble vouloir associer davantage le pays à la conduite des réformes, et notamment les collectivités territoriales avec lesquelles il a entretenu de si mauvaises relations depuis 1 an. Il a par ailleurs, lors de son allocution télévisée, fait son mea culpa sur les « petites phrases » qui avaient pu choquer. Reste à savoir, évidemment, si ce réajustement de la communication et de la méthode seront jugés suffisants, durables, et crédibles pour l’opinion...

Dans l'hypothèse d'une défaite de LREM aux élections européennes et municipales, à quel point la position d'Emmanuel Macron serait-elle fragilisée ?

Christophe Boutin : Si, à la baisse sondagière et aux mises en accusation médiatiques, succédaient des défaites politiques, aux européennes en 2019 et aux élections locales de 2020, la position d’Emmanuel Macron serait sans nul doute fragilisée.

Un échec en 2019 viendrait mettre à mal son projet personnel de prise du pouvoir européen. Le Président français avait vocation, disaient certains, à remplacer comme leader des chefs d’État de cette Union européenne à tendance fédéraliste une Angela Merkel en fin de carrière – crise des migrants ou pas, la seule différence étant pour elle de partir la tête haute, ayant établi la domination de l’Allemagne sur ses partenaires, ou la tête basse, ayant créé, en ouvrant ses frontières, une crise identitaire et sécuritaire sans précédent. Il y a quelques mois encore, la seule question était de savoir sur lequel des partis européens Jupiter allait jeter son dévolu pour y intégrer le flot des Marcheurs français et européens qui allaient être les garants du « progressisme ».

Las, un an plus tard les populistes font recette partout, et les choses ne semblent pas devoir changer d’ici mai 2019. Heureusement pour les eurocrates, il est douteux de les voir s’allier, non seulement entre populistes « de droite » et « de gauche », mais même seulement entre « souverainistes » de droite… Il n’en reste pas moins que si LaREM ne devait pas tenir ses promesses aux européennes de 2019, ce serait effectivement vu comme une première défaite. Mais on peut penser que sa position centrale comme l’absence de listes concurrentes pourrait éviter ici une trop grande chute.

Les choses seraient autrement plus graves en cas d’échec aux élections locales de 2020 car LaREM ne représente toujours pas grand chose à ce niveau. Certes, çà et là, des élus locaux ont rallié le parti présidentiel, mais ses alliés, le MoDEM par exemple, ou d’autres centristes, sont bien plus présents à ce niveau. Or ils ne choisiront pas nécessairement pas l’alliance électorale et les listes communes aux municipales puisque le mode de scrutin leur offre la possibilité d’une recomposition entre les deux tours… en fonction des résultats obtenus au premier ! Reste que le parti présidentiel ne peut indéfiniment rester « hors sol », flottant sur la « divine surprise » de 2017, et qu’un échec à ces élections de 2020 poserait nécessairement la question de la préparation des élections présidentielles de 2022, pas tant d’ailleurs en termes de candidatures concurrentes qu’en termes d’alliances préalables… et de répartition ultérieure des places.

Chloé Morin : Il faut distinguer, même si évidemment elles ont des liens entre elles, plusieurs dimensions : la dimension institutionnelle, la dimension symbolique, le plan intérieur et le plan extérieur. 

D’un point de vue purement institutionnel, le quinquennat de François Hollande a démontré que la force de nos institutions était de permettre à un Président disposant d’une majorité - et celle d’Emmanuel Macron est encore bien plus large que celle dont disposait Hollande …- de surmonter toutes les difficultés, qu’il s’agisse d’une accumulation de défaites sévères aux élections intermédiaires, ou bien des attaques terroristes qui ont ébranlé le pays dans ses fondements. Il n’y a donc aucune raison pour qu’un échec, même retentissant, aux Européennes empêchent le Président d’aller au bout de son mandat, et de conduire ses réformes tant que sa majorité lui conserve sa confiance.

D’un point de vue symbolique, c’est une autre affaire : l’Europe est au coeur de son logiciel depuis l’origine de l’aventure macronienne, et une défaite porterait un coup à son récit politique. Celui-ci articule redressement de la France et relance Européenne : la France se réforme pour retrouver son rôle moteur et son rang en Europe, et en retour une Europe rénovée et relancée permettra à la France de faire face aux défis majeur de notre temps, qu’il s’agisse du défi climatique, migratoire, terroriste, ou de la panne du progrès social. Les deux dimensions - souveraineté nationale et construction européenne - sont complémentaires et Emmanuel Macron a besoin de montrer le visage d’une France conquérante et pesant dans le monde afin de justifier les efforts demandés sur le plan intérieur - sans pour autant laisser croire que ces derniers seraient des injonctions venues de l’extérieur, qu’il s’agisse de la Commission Européenne ou de l’Allemagne. Dès lors, si Emmanuel Macron subissait une défaite importante sur le plan européen, son récit politique serait mis à mal et il perdrait une part de l’aura internationale qui lui permet aujourd’hui - et encore, à grand peine - de faire bouger les lignes en Europe. 

Enfin, il faut distinguer le plan extérieur, dont je viens de parler, de la politique intérieure. On voit bien que deux grilles de lectures s’affrontent dans les discours actuels pour tenter d’imposer le cadre de l’élection à venir : 

- d’un côté, Emmanuel Macron et Marine Le Pen en font un enjeu Européen, où populistes affronteraient les européens, ou les « souverainistes » affronteraient les « mondialistes ». 

- de l’autre, Jean-Luc Mélenchon tente de faire de cette élection européenne un référendum sur la politique menée par Emmanuel Macron sur le plan intérieur, et plus encore, sur la personnalité et le style d’Emmanuel Macron lui-même. C’est pour cette raison qu’Emmanuel Macron, dans ses discours, semble vouloir « enjamber » l’élection à venir : il ne veut pas que la grille d’interprétation des résultats à venir soit celle d’un jugement sur sa politique intérieure. 

Marine Le Pen tente de coaliser les angoisses autour du rejet de l’UE, quand Mélenchon tente de coaliser les colères suscitées par la politique menée, notamment sur le plan économique et social, et par le style du Président. Selon la lecture qui dominera au moment du vote, on pourra dire que le Président est davantage fragilisé sur le plan international ou bien sur le plan intérieur. Il est trop tôt pour le dire...

En dépit du régime de la Vème République qui le protège et lui garantit une majorité jusqu'à la fin de son mandat, Emmanuel Macron pourrait-il maintenir sa ligne pendant tout le quinquennat si sa base se retourne contre lui ?

Christophe Boutin : C’est effectivement la logique du système telle que nous la vivons, mais pas nécessairement l’esprit de la Cinquième. De Gaulle voyait en effet le septennat présidentiel traversé, de manière régulière, ou exceptionnelle si doutes il y avait sur la politique à mener, par des questions de confiance posées à l’électorat – élections législatives ou référendums. Et le désaveu du Président de la République lors de ces consultations au suffrage universel direct ne pouvait conduire selon lui qu’à sa démission, comme il en tira pour lui-même la conclusion en 1969. On sait qu’ensuite François Mitterrand ne s’estima pas affecté dans sa légitimité présidentielle par la défaite de son camp aux élections législatives, mettant en place la première cohabitation, et que Jacques Chirac, quelques années plus tard, expliqua aux Français que s’ils rejetaient par voie référendaire le projet qu’il soutenait il n’y verrait nullement un désaveu personnel.

Mais l’arrivée du quinquennat et le rapprochement des élections présidentielle et législative, comme le quasi-abandon de la procédure référendaire depuis que les Français ont eu le mauvais goût de mal voter en 2005, font qu’il n’y a plus de votes sur un sujet de politique nationale entre deux élections présidentielles. Emmanuel Macron est donc pleinement légitime à rester Président, quand bien même son parti connaîtrait-il des défaites en 2019 et 2020.

Pleinement légitime à rester Président et pleinement légitime à choisir la ligne de son gouvernement. Pour autant, on peut envisager comme vous le faites un retournement de sa « basse » contre lui, mais, politiquement, les seuls à pouvoir lui forcer la main seraient des députés qui ne seraient plus alors « ses » députés. En dehors de l’éventualité d’une application de l’article 68, et de la destitution du Président pour « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » par le Parlement réuni en Haute Cour, cela passerait par le vote d’une motion de censure à l’Assemblée nationale émis à l’encontre d’un gouvernement « macronien », et qui conduirait le Président à écouter les revendications des députés LaREM devenus plus que frondeurs et à nommer une équipe allant dans leur sens.

Mais il est permis de douter de la mise en œuvre effective de cette hypothèse. Confronté à telle une épreuve de force, le Président pourrait en effet être tenté de faire trancher le débat par les électeurs par la dissolution de la Chambre basse et le renvoi des députés eux. Et même si ces électeurs donnaient raison à l’opposition, même si les macronistes revenaient minoritaires à la Chambre que cela ne contraindrait juridiquement pas le Président à présenter sa démission, mais seulement à entamer… une cohabitation.

Chloé Morin:ll convient de distinguer sa base électorale de sa majorité parlementaire. Pour le moment, sa base électorale tient plutôt bien, même si elle a subi récemment une légère érosion. Malgré certaines fragilités, elle s’avère même plus solide que la base de François Hollande, pourtant cimentée par une histoire longue et des valeurs communes. 

Chez ce dernier, la perte de confiance de la base avait rétroagit sur les députés - qui se faisaient engueuler le week end sur les marchés de leur circonscription -, et accéléré le délitement de la majorité. Ce phénomène n’était, contrairement à ce qui a pu être dit, pas uniquement imputable aux seuls frondeurs… 

Avec Emmanuel Macron, il est difficile d’anticiper l’impact que pourrait avoir un retournement de la base électorale sur la majorité. En effet, beaucoup de députés sont nouveaux en politique, donc leurs liens avec le « local » sont parfois plus distants, et ils n’ont pas forcément le souhait de se représenter pour un second mandat. On peut donc imaginer deux hypothèses :

- soit un scénario classique, où l’impopularité conduirait à fractionner la majorité, rendant de plus en plus difficile au Président de faire passer des réformes difficiles.

- soit que l’absence d’enjeu de réélection et d’ancrage local conduise une grande partie des députés LREM à assumer une posture de « bon petit soldat », quasi « sacrificielle » : ils assumeraient ainsi l’impopularité temporaire pour permettre au projet collectif de porter ses fruits à long terme, au delà même du temps électoral. 

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