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En 2016, les réseaux sociaux vont conquérir notre vie professionnelle (... en plus des mails)
©Slack (Press)

Cette fois, c’est la bonne

Le mobile et les réseaux sociaux ont complètement transformé nos usages en tant que consommateurs, mais n'ont eu qu'un impact limité sur notre vie de travail. Et si c'était sur le point de changer ? Le messaging, la "killer app" du social, est entrain de débarquer dans l'entreprise.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Dans le logiciel, il y a des "ères"--des périodes où c'est un paradigme technologique qui domine les usages. Il y a eu l'ère du PC, et du système d'exploitation, dominée par Microsoft, il y a eu l'ère du web, dominée par Google, et maintenant nous sommes dans l'ère du mobile, mais aussi du social. Ce sont les réseaux sociaux, notamment sur mobile, qui dominent l'expérience pour les utilisateurs, surtout les jeunes, et qui déterminent comment nous découvrons les contenus, comment nous interagissons, et comment nous utilisons le logiciel. 

A quand pour les entreprises ? 

Chez les consommateurs, cette ère est déjà bel et bien parmi nous. Mais quid de l'entreprise ? Dans le monde de l'entreprise, nous semblons être loin de cela. Pourquoi ? 

Premièrement, parce qu'il y a toujours un décalage naturel entre la vitesse de propagation des innovations dans le monde des consommateurs et dans l'entreprise. C'est une grosse tendance depuis l'ère du PC -on pourrait même dire que les ères PC/web/mobile-social sont des moments dans une grande ère du passage à l'ère du consommateur. Jusqu'aux années 1980, les nouvelles technologies se propageaient en cercles concentriques : d'abord l'Etat (notamment la défense), ensuite les institutions, enfin les consommateurs. Depuis l'ère PC, c'est l'inverse. Le PC a commencé par être adopté par les consommateurs, puis il est rentré dans les entreprises, avant de faire son trou dans les administrations. 

La raison ? Deux phénomènes : la baisse du prix de la recherche et développement, et la puissance du phénomène de la découverte par tâtonnements, signalé par des auteurs tels que Tim Harford et Jim Manzi. L'évolution technologique suit un processus darwinien : au fur et à mesure qu'on tente quelque chose et qu'on voit si et comment l'innovation fonctionne, celle-ci évolue en fonction du feedback du marché. Chaque nouvelle version d'un produit est une expérience, qui est validée ou non. Dans ce genre d'environnement, plus le nombre d'expériences pratiquées sera élevé, plus il y aura d'évolution. Or, il y a beaucoup plus de consommateurs qu'il n'y a de grandes entreprises, et beaucoup plus de grandes entreprises qu'il n'y a d'Etats. Si le prix du développement d'une nouvelle innovation est très élevé, alors seuls les Etats et les grandes entreprises pourront participer au processus. Mais à partir du moment où le prix de développement est assez faible pour que les consommateurs y participent, les évolutions seront beaucoup plus rapides dans le monde des consommateurs que dans le monde de l'entreprise. 

C'est ce que répondait en substance Steve Jobs, lorsqu'on lui signalait que les produits d'Apple étaient souvent très appréciés des consommateurs, mais qu'aucune des tentatives d'Apple de conquérir le monde de l'entreprise n'a été couronnée de succès, à part dans quelques niches. Avec son style inimitable, il répondait que dans le monde de l'entreprise, ce ne sont pas les employés qui choisissent les technologies qu'ils utilisent ; au lieu de cela, il faut passer par des "orifices" -en clair, les DSI (Direction des systèmes d'information ndlr) - pour vendre ses produits. L'approche d'Apple ne passait pas : "Nous faisons les meilleurs produits que nous pouvons faire, on en parle aux gens, et si les gens les veulent, ils les achètent, s'ils ne les veulent pas, ils ne les achètent pas." 

Puisque les logiciels d'entreprise doivent correspondre aux attentes de la DSI, pas à celles de ceux qui vont de facto les utiliser, il y a un décalage plus fort que dans le monde des consommateurs entre la solution qui répond le mieux aux attentes des utilisateurs et la solution existante. Ce décalage s'explique aussi pour des raisons légitimes, notamment de sécurité, de compliance, d'intégration entre les applications, et de fiabilité, qui sont plus fortes pour les entreprises, comme le signale l'analyste Larry Bonfante

A contrario, Microsoft a su exploiter cette configuration avec brio. Comme le signale l'analyste Ben Thompson de Stratechery, tout le talent de Microsoft dans le monde de l'entreprise a été de faciliter la vie du DSI, en intégrant ses logiciels et ses solutions. La plupart des DSI doivent employer au moins un logiciel Microsoft. Par exemple, Exchange, le serveur de mail que tout le monde utilise. Exchange fonctionne sur Windows Server, donc il faut acheter Windows Server. Et Windows Server contient Active Directory, le système de répertoire et d'identité logicielle de Microsoft, donc la tentation sera d'utiliser Active Directory. Et ainsi de suite : mieux vaut utiliser les logiciels qui fonctionnent avec Active Directory. Et une fois qu'une grande partie des technologies sont Microsoft, le DSI, qui connaît Microsoft et travaille avec eux, sera beaucoup plus enclin à continuer avec Microsoft. 

Vers l'ère du social en entreprise

Aujourd'hui, le social a progressé en entreprise. On a beaucoup entendu parler de Yammer, sorte de Facebook de l'entreprise, racheté par Microsoft pour plus d'1 milliard de dollars. Le cabinet d'audit Deloitte, notamment, a réussi à faire évoluer sa culture d'entreprise par l'usage de Yammer, comme le signale le cabinet d'analyse Forrester, qui a donné un prix à cette collaboration. Mais il reste qu'en règle générale le centre des usages en entreprise reste le mail, c'est-à-dire une pratique assez inefficace et très "web 1.0."

Que manque-t-il ? Selon Ben Thompson, ce qui manque c'est une "killer app." Une plateforme peut avoir toutes les merveilles, ce qui fait l'adoption de cette plateforme, c'est la "killer app", l'application qui donne aux gens envie de l'adopter. Par exemple, le PC était une curiosité jusqu'à l'invention du tableur : pour la première fois, on pouvait faire ses comptes, et le fait de changer une cellule changeait magiquement tout le reste, une révolution (et un énorme soulagement) pour tous ceux qui faisaient leurs comptes sur papier, comme l'avait signalé l'expert Ted Nelson à l'époque.

Et pour Ben Thompson, la killer app de l'ère du mobile et du social, c'est le messaging. "Si le téléphone fixe a permis la communication en temps réel, et le web la communication passive, le messaging permet la communication constante. Les conversations ne finissent jamais, et les amis vont et viennent à un rythme dicté non par les contraintes physiques, mais par l'attention. Et, étant donné que nous sommes tous humains et avons un besoin fondamental d'interaction et d'affection, nous sommes plus qu'heureux de dévouer des quantités monumentales d'attention au messaging, à ceux qui comptent le plus pour nous, et qui sont toujours là, dans nos poches et nos sacs à main."

Or, le messaging a débarqué dans l'entreprise. L'application de messaging d'entreprise Slack, valorisée à plus d'1 milliards de dollars, a fait énormément parler d'elle à cause de sa facilité et de son plaisir d'utilisation, qui a mené à une folle croissance. En un an, l'application est passée de 15 000 utilisateurs quotidiens à 500 000 -un facteur de 33. Les chiffres révélés par Slack lors de son dernier anniversaire et repris par Business Insider sont vraiment frappants : l'utilisateur moyen l'utilise 2 heures et 15 minutes par jour et y est connecté plus de 9 heures par jour de la semaine ; les utilisateurs envoyaient collectivement 300 millions de messages chaque mois. Et ces chiffres génèrent du chiffre d'affaires : en février, le chiffre d'affaire de Slack croissait d'1 million de dollars de revenus récurrents annuels tous les 11 jours. Il semblerait en effet que le social en entreprise ait trouvé sa killer app. 

Ce qui explique pourquoi Slack a décidé de capitaliser sur cet avantage stratégique en créant sa propre plate-forme. Pour l'instant, la plateforme se constitue d'un app store, d'un fonds d'investissement lancé par Slack pour investir dans les entreprises de la plate-forme, et d'un environnement de développement, appelé Botkit. Et HipChat, le principal rival de Slack, a lui aussi lancé sa plate-forme. Le business model est clair : il s'agit de licences payantes, pas de pub. 

Pour Thompson, "il est difficile de voir quiconque -y compris Microsoft- qui aie une opportunité plus grosse que Slack." En effet, si le messaging est la killer app de l'arrivée de la nouvelle vague du logiciel en entreprise, c'est une formidable tête de pont pour permettre à Slack d'être la plate-forme de la nouvelle génération du logiciel d'entreprise, adaptée à l'ère du mobile et du social. 

Quoi qu'il en soit, au-delà de telle ou telle entreprise ou plate-forme, la tendance générale semble claire : le social est entrain d'arriver dans l'entreprise, et il s'agit d'une tendance lourde qui non seulement va déstabiliser de nombreux acteurs du secteur, mais va changer nos habitudes de travail et notre manière de travailler au jour le jour.

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