En 1956, on pouvait voir que 1958 se profilait… Et maintenant, que peut-on voir arriver ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Quel avenir pour la Vème République ?
Quel avenir pour la Vème République ?
©

Mêmes causes, mêmes effets

L'affaire Leonarda a mis la gauche face à ses contradictions sur les questions d'immigration, alors qu'à droite, de plus en plus de digues sautent entre l'UMP et le Front national. Dans un contexte généralisé de défiance face aux hommes politiques, doit-on attendre l'arrivée d'un homme (ou d'une femme) "providentiel" ?

Guillaume  Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

Voir la bio »

Atlantico : Dans une interview que vous accordez au site Jolpress.com (à lire ici), vous vous interrogez sur le système des partis et la pertinence de l’opposition gauche-droite. Vous rappelez notamment que la IVe République a été facilement balayée en 1958 car, aux législatives de 1956, seul un électeur sur deux s’était prononcé pour un des partis incarnant le régime. Aujourd'hui, alors que la France traverse également une grave crise, que peut-il se passer ?

Guillaume Bernard : Un scénario du même type qu’en 1958 n’est, a priori, pas envisageable. L’histoire ne se répète jamais à l’identique. Il paraît peu probable qu’il y ait des hommes, comme les généraux Massu et Salan, partisans de l’Algérie française, prêts à faire le coup de force du 13 mai qui permit à Charles De Gaulle d’être, le 1er juin, investi président du Conseil. En outre, c’est sûrement moins les institutions (du moins nationales) que son personnel et la politique menée qui sont, pour l’heure, discutés voire désavoués. Cela dit, il suffit souvent de peu pour que la perte de confiance envers les partis politiques se transforme en authentique défiance et que celle-ci se répercute sur les institutions.

Or, ceci n’est pas un scénario purement hypothétique. C’est, en effet, déjà le cas pour les institutions européennes (Conseil et Commission en tête). Une déferlante eurosceptique (multiplication par deux ou trois du nombre des députés de cette tendance), lors des prochaines élections européennes de mai 2014, est très sérieusement envisagée. Il est vrai que les partis modérés (de gouvernement) aussi bien de droite que de gauche ont préconisé et accompagné l’approfondissement institutionnel et l’élargissement géographique de l’Union. Ils risquent donc d’être sévèrement sanctionnés. Il est vrai, aussi, que l’Union (c’est-à-dire les gouvernements des différents Etats membres) a officiellement relancé le processus d’adhésion de la Turquie. Alors que les peuples européens sont inquiets quant à la persistance de leur identité et doutent de l’efficience d’une « gouvernance » commune réunissant des Etats aux économies disparates, ne s’agit-il pas, là, d’une forme d’entêtement voire d’autisme intellectuel de la part des élites politiques ?

Quant à la France, son climat politique et social est de plus en plus délétère. Certains analystes vont jusqu’à parler de guerre civile latente. Il est certain que les émeutes urbaines à répétition depuis plusieurs années (pendant le dernier été, il y en a eu à Trappes, à Creil ou encore à Avion) semblent leur donner raison. De manière générale, les Français doivent faire face à une triple insécurité : physique et matérielle (depuis les incivilités jusqu’à la plus violente des criminalités), économique et sociale (progression du chômage, paupérisation des classes moyennes), culturelle et identitaire (multiculturalisme dû à l’immigration non assimilée, déracinement en raison de la mondialisation). Ainsi, la porosité des frontières extérieures de l’espace Schengen et leur suppression à l’intérieur, la crise financière et la politique monétaire décidée par une institution indépendante, la BCE, l’augmentation (confiscatoire) des prélèvements obligatoires, le refus gouvernemental de prendre en compte les immenses manifestations contre le « mariage pour tous », la baisse du niveau scolaire, etc., tous ces sujets a priori fort disparates ont-ils cependant un point commun : ils illustrent le sentiment que les Français ont de perdre leurs libertés et, en particulier, leur capacité de décider de leur destin. Nombre de citoyens sont, dès lors, dans un état de forte exaspération. Il ne faut pas exclure qu’une étincelle puisse mettre le feu aux poudres.

Comme en 1956, les partis de gouvernement sont discrédités. Assiste-t-on à une recomposition politique du même type ? Quelle forme peut-elle prendre ? Une VIe République est-elle envisageable ?

La classe politique, dans son ensemble, est effectivement discréditée (promesses électorales non tenues, espoirs déçus), ce qui explique la progression de l’abstention et du vote extrême. S’il faut différencier le système partisan du régime politique, ils entretiennent naturellement des liens. Or, il est peu discutable que le système partisan soit en train de se transformer, tant en France qu’en Europe, illustrant ce que j’ai proposé d’appeler le « mouvement dextrogyre » (concept que j’ai déjà eu l’occasion de développer dans vos colonnes). L’une de ses manifestations (mais non la seule) est, en France, la progression du FN.

Si celle-ci se poursuit, il n’est pas inenvisageable d’arriver à une situation où aucune majorité absolue, à droite ou à gauche, ne pourra être dégagée. Dans ce cas, soit dit en passant, le centre – longtemps écrasé par la cristallisation du clivage droite-gauche avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct – retrouverait un rôle « central » dans la politique. La seule solution consisterait, alors, dans un gouvernement de grande coalition réunissant les partis modérés de droite et de gauche (la France en a déjà connu une forme édulcorée avec les trois cohabitations). Mais, cela avaliserait la thèse de la collusion « UMPS », ce qui favoriserait encore la progression du FN… Celui-ci est, à l’heure actuelle, susceptible (si tous ceux qui ont déjà voté au moins une fois pour lui se cristallisent à l’occasion d’un scrutin) de rassembler jusqu’à un tiers des suffrages exprimés.

Dès lors, un vent de panique (d’aucuns diraient de folie) souffle sur la classe politique. Certaines prises de position sont effarantes. Ainsi, Monsieur Malek Boutih (PS) a-t-il lancé des menaces anti-démocratiques à peine dissimulées : « Même si vous [le FN, il s’adressait à Florian Philippot] gagnez (…) on ne se laissera pas faire » (France 2, émission « Mots croisés » du 7 octobre 2013). Au final, s’il devait y avoir, à l’avenir, une combinaison d’une forme d’instabilité gouvernementale (impossibilité de constituer des équipes cohérentes et pérennes) et de l’impuissance politique (dégradation de la situation sociale), cela pourrait conduire à une nécessaire adaptation des institutions (la constitution de la Ve République a déjà été révisée plus de vingt fois) voire à leur remplacement (la France a connu plus de dix régimes différents depuis la Révolution...).

A l'époque, le général De Gaulle avait été un recours. Qui pourrait jouer ce rôle aujourd'hui ?

Trois éléments semblent devoir être réunis pour qu’un homme (ou une femme) s’impose et apparaisse « providentiel » : une personnalité dotée d’un charisme (lui permettant de forcer le destin et non de se laisser porter par les événements), un principe susceptible d’entraîner le corps social et que la personnalité incarne mieux que tout autre (l’ordre, la révolution, l’indépendance nationale, etc.) et, enfin, une situation de crise, c’est-à-dire un moment de bascule (une personne n’est providentielle que relativement à certaines circonstances). Ainsi, Bonaparte a-t-il pris le risque de ruiner sa carrière d’officier pour faire un coup d’Etat, incarnait le retour à l’ordre (après dix années d’effervescence et de tueries) et répondait à la nécessité d’un retour de la puissance de l’Exécutif (sans que celui-ci soit, pour autant, une restauration de l’Ancien Régime).

Cela dit, hormis quelques cas particuliers, c’est la reconstitution du passé par la science historique qui, en règle générale, permet de distinguer les personnes ayant effectivement été sinon providentielles du moins névralgiques. Faut-il évoquer le cas de Jeanne d’Arc ? Alors qu’elle avait libéré Orléans et permis le sacre de Charles VII, elle fut ensuite abandonnée par le roi, capturée par les Bourguignons, jugée et condamnée par un tribunal d’inquisition et, enfin, exécutée par la puissance séculière occupante, en l’occurrence anglaise. Ce n’est donc qu’avec le procès en réhabilitation quelques années après sa mort (et sa canonisation plusieurs siècles plus tard), puis le travail des historiens (notamment républicains) que son rôle éminent a été finalement reconnu et connu de tous.

Sur le moment, dans le feu de l’action, des personnes peuvent enthousiasmer mais finalement décevoir (le général Georges Boulanger par exemple) ou, à l’inverse, apparaître en retrait voire anodines et se révéler, par la suite, avoir eu un rôle fondamental dans l’évolution des sociétés. Il est difficile, au cœur même des événements, de savoir qui est vraiment la personne centrale, celle dont l’apport sera finalement décisif dans l’histoire des hommes.
En tout cas, l’histoire enseigne que, vraies ou fausses, les personnes providentielles peuvent percer d’une manière fulgurante. Si aucun homme politique n’apparaît, aujourd’hui, indiscutablement de taille face aux multiples crises qui frappent la société, rien ne dit qu’une personne ayant l’envergure nécessaire ne puisse apparaître (dès) demain. Rien ne dit non plus qu’elle ne soit pas devant nos yeux et que nous ne la voyons pas (encore).

En l'absence de figure historique aussi forte, l'arrivée au pouvoir du Front national est-elle vraisemblable ?

Avec l’impopularité grandissante de la majorité de gauche et le manque de crédibilité de l’opposition de droite,  la victoire du FN paraît effectivement possible (même si Brignoles n’est, évidemment, pas la France). Le fait que Marine Le Pen apparaisse désormais comme le meilleur opposant à François Hollande et Jean-Marc Ayrault (pour 46 % des Français) très loin – près de trente points ! – devant le second du palmarès, François Fillon (18 %), peut en être le signe annonciateur. Dans le même sens, à l’occasion d’une autre enquête, la présidente du FN est perçue par 50 % des Français comme la personnalité politique la plus capable de réformer en profondeur le pays et de surmonter les blocages au sein de la société. Son score est le double de celui atteint par Jean-François Copé (26 %) (sondage CSA pour Atlantico : 44% des Français considèrent que le FN est le parti le plus à même de réformer en profondeur le pays).

Cependant, cela ne signifie pas qu’il y ait, de manière certaine, une adhésion majoritaire au projet du FN. Celui-ci ne semble pas, pour l’instant du moins, capable d’emporter, à lui seul, la majorité des voix. Toutefois, il n’est pas du tout impossible qu’il devienne la plus importante formation politique. Pour exercer le pouvoir, le FN aura donc vraisemblablement besoin de tisser des alliances (sans doute avec une partie de l’UMP, le parti avec lequel il existe la plus grande porosité du point de vue électoral), soit parce que, dominant, il les aura proposées, soit parce que, indispensable à la constitution d’une majorité, il les aura acceptées.

Il semble qu’il y ait, ces derniers mois, comme une accélération du cours de l’histoire politique nationale tout à fait fascinante. Des digues psychologiques ont, à l’évidence, lâché, phénomène renforcé par des maladresses quelque peu étonnantes (c’est un euphémisme). Regardez, par exemple, la taxation rétroactive (sur 17 ans !) d’une partie de l’épargne qui vient d’être votée par l’Assemblée nationale. Même si le Gouvernement vient de faire marche arrière, cette affaire est édifiante. Cette taxation devrait rapporter au fisc 600 millions d’euros par an, c’est-à-dire un peu plus que ce que semble coûter (540 millions) l’AME (Aide médicale d’Etat). En pleine « affaire Léonarda », le Gouvernement et les députés se sont-ils, ne serait-ce qu’un instant, demandés comment le rapprochement de ces chiffres (même s’il n’y a pas d’affectation des recettes aux dépenses) pourrait être interprété et vécu par l’opinion publique ? La spoliation des familles (qui font notamment des économies sur un PEL pour s’acheter un logement) sert à financer la couverture maladie essentiellement destinée aux étrangers… en situation irrégulière ! Dans ces conditions, pourquoi voulez-vous que le FN cesse de progresser ?

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !