Emmanuel Macron voit une cohérence macroéconomique globale à sa politique. Oui… à un (énorme) détail près<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une conférence à l'Elysée.
Emmanuel Macron lors d'une conférence à l'Elysée.
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Contexte économique

Face à la crise énergétique et malgré les difficultés économiques en Europe, Emmanuel Macron tente de maintenir une cohérence macroéconomique et de stabiliser les dépenses. Parviendra-t-il à maintenir ses engagements, notamment sur le remboursement de la dette ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Emmanuel Macron a parlé de cohérence macroéconomique, de stabilisation des dépenses à un niveau soviétique et de début de remboursement de la dette vers la fin de son mandat (ce qui est pratiquement impossible). Nous ne parlerons pas ici des deux derniers points, tant ils sont lunaires. Sur le premier, qu’il nous soit autorisé de revenir sur quelques axes répétés dans ces colonnes depuis 2011, en particulier le primat de la politique : une fois qu' elle est fixée, peu importe la politique budgétaire, cf l’Angleterre, où 10 mois de hausses hystériques des taux de la Bank of England ne pouvaient aboutir qu' à un krach obligataire, quel que soit le locataire du 10 Downing street. Dans cet esprit la seule cohérence à trouver pour Macron est celle avec Francfort, ce qui renvoie à son conformisme derrière de grands airs d’aventurier : au-delà de quelques excentricités et de quelques coups de menton, la France depuis plus de trois décennies, et Macron depuis 2017, restent très proches de la ligne mainsteam et pro allemande. A court terme c’est la stratégie italienne (Pas le choix, vus les spreads de taux), et pas le pire choix pour la France (vue la modération de Lagarde cette année, comparativement à la FED et à la BoE, et compte tenu des pressions germaniques). Mais après ? Et que se passera t-il si Francfort se radicalise ? Et comment redresser un pays avec non pas un projet de conquête mais une attitude de cou pelé ? Ce que le président oublie, c’est le primat de la politique monétaire. Emmanuel Macron n’a pas eu un mot pour les vilaines réalités que nous allons aborder. Il maintient cette fiction médiatique d’une souveraineté macro, où d’une souveraineté partagée dans le cadre d’un couple (couple qui n’est plus jamais évoqué de l’autre côté du Rhin depuis bientôt 15 ans). En fait la BCE monte les taux et la "stratégie" française ressemble à celle d’un petit pays latino confronté à la hausse du dollar US : faire diversion, faire du blabla, ou, puisque ces choses nous échappent, feignons d’en être les organisateurs. Aussi, puisqu’il n'en a pas touché un mot, rappelons-lui quelques éléments. Pour cela, concentrons-nous sur l’essentiel, par un petit jeu de questions-réponses :

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Question 1 : à quoi ça sert de monter les taux d’intérêt aujourd’hui en zone euro ?

Ça sert à ralentir l’économie dans 18 mois. Si on pense qu’il y aura une dangereuse surchauffe au début de l’année 2024, trop de salaires, trop de crédit, trop d’enthousiasme délirant, alors c’est une bonne idée de monter les taux maintenant. Si on pense qu’on en a pour un moment avec l’Ukraine, que la vulnérabilité énergétique et financière de la zone euro est là pour durer et pourrait empirer, et que « l’inflation » actuelle n’est ni de l’inflation véritable (c’est un mouvement de prix relatifs et une dégradation des termes de l’échange, pas une dérive vénézuélienne, et avec du gaz plus cher on ne rembourse pas mieux ses dettes) ni un phénomène qui devrait s’incruster (effets de base, déclin du prix des matières premières et du fret depuis des mois, récession à venir), alors la hausse des taux est juste une bonne façon de se tirer une nouvelle balle dans le pied, une nouvelle vague de coûts pour les entreprises, et accessoirement un motif de satisfaction pour Poutine.    

Question 2 : qui monte les taux ? la banque centrale ou les marchés financiers ?

C’est là où on voit qu’il y a une dissonance dans la propagande officielle. La banque centrale est responsable de la partie courte de la courbe des taux (les prêts de un jour jusqu’à deux ans environ). Les marchés s’occupent de la partie longue, en se basant sur les taux courts qu’ils imaginent dans les prochains mois, et en ajoutant ensuite divers risques, surtout les anticipations d’inflation, et secondairement des primes en fonction de la qualité de la signature de l’émetteur obligataire. S’il n’y a plus de pente, si les taux longs passent en dessous des taux courts, ce qui est déjà une réalité aux USA et ce qui arrive en Allemagne, cela signifie qu’il y a cachalot sous roche : d’une part cela signale une probable récession dans 18 mois (car quel est l’intérêt de prêter pour les banques ?), celle-là même qui réfute la pertinence des choix actuels, d’autre part c’est une preuve que le marché n’avale pas trop le narratif officiel sur les craintes d’une inflation persistante. Avec des taux courts qui foncent dans les semaines à venir vers 4% aux USA et vers 2,5% en zone euro, on s’attendrait à des taux longs vers environ 6% et 4% respectivement. On n’y est pas et on n’y va pas, et puis si on y va alors… adios muchachos. Donc les marchés tablent sur le fait que l’hystérie va se calmer du côté des banquiers centraux, à mesure que la pseudo-inflation refluera et que la vraie récession se confirmera. Pourvu qu’ils aient raison, car ils misent avec notre épargne. Et ce qui s’est passé avec les fonds de pension britanniques et la Banque d’Angleterre il y a quelques jours nous laisse penser qu’il y a une limite « physique » au durcissement monétaire, et qu’il faudra bientôt aller dans l’autre sens, peut-être de façon panique.    

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Question 3 : mais au fait c’est quoi un taux d’intérêt ?

Ce n’est pas le prix du temps (ça, ce serait plutôt le taux d’actualisation, et encore). Ce n’est pas ce qui équilibre l’épargne et l’investissement (ça c’est la vision des manuels scolaires, le réel est un peu loin). Ce n’est pas le seul outil pour faire de la politique monétaire (il y a le Quantitative Easing ou achat massif de titres, et la communication). Ce n’est pas non plus un jugement sur la qualité des finances publiques (si tel était le cas, tous les taux souverains monteraient depuis 40 ans !). Ce n’est même pas le prix de la monnaie ; plutôt le prix de la monnaie empruntée. En résumé le taux d’intérêt est le prix du crédit. Court ou long, privé ou public, fixe ou variable, dans telle ou telle devise, mais le prix du crédit. Ce qui implique que la hausse des taux va surtout frapper ceux qui veulent acheter un logement, ou ceux qui se sont endettés pour le faire, a fortiori dans les pays qui procèdent par des taux variables. Il y a aussi les classes moyennes qui vivent au dessus de leurs moyens, et les affreux financiers des entreprises qui s’endettent pour racheter leurs propres actions ; honnêtement je ne vais pas pleurer sur tous ces gens, sauf que les conséquences seront globales, holistes, par exemple via le canal des taux de changes (l’euro baisserait plus vite si nous faisions comme les japonais au lieu d’imiter les américains, et cela sauverait une partie de l’industrie et de l’Italie).  

N’oublions pas le canal fiscal, même si ce n’est pas le principal : pour les contribuables d’un pays qui est endetté avec une duration moyenne de 6 ou 7 ans, la nouvelle donne est douloureuse, et serait très très douloureuse si elle s’installait dans le temps. Depuis 40 ans les Français ont consacré 1600 milliards d’euros au seul paiement des intérêts de leur dette publique roulée pour l’éternité, sans rien rembourser (et avec un pipeline de déficits en cours très consistant, et sans mentionner le hors-bilan des autorités publiques) ; imaginez ce que le service de cette dette (maintenant à 120 points de pourcentage du PIB annuel) représentera en coût d’opportunité, en absurdité et en manque de crédibilité si les taux nominaux renversent leur trend des 40 dernières années, a fortiori si toute l’inflation que nous récoltons vient non pas de revenus nominaux plus élevés mais de taxes plus fortes payées aux algériens, aux norvégiens et aux producteurs de gaz de schistes US…       

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Question 4 : si on vous suit, dans ces colonnes depuis des années, les taux nominaux sont trompeurs et assez secondaires ; alors pourquoi s’inquiéter ?

Oui ce sont les conditions monétaires au sens large qui importent, et je regarde plus les masses monétaires (qui ralentissent) ou les taux de changes (qui montrent clairement que la FED est restrictive depuis 18 mois) que les taux nominaux, qui peuvent être élevés à 0% (Japon) et trop bas à 200% (Venezuela). Ceci dit, je sais aussi que la plupart de mes contemporains sont nominalistes en diable, ils font leurs choix de consommation et d’épargne en fonction des taux nominaux qui se trouvent ainsi être en partie auto-réalisateurs. De plus, ceux qui sont un peu plus malins se croient très malins en calculant (mal) des taux réels ; mais ils utilisent comme déflateur une inflation courante hyperbolique (le CPI, et en plus en glissement sur 12 mois afin de renforcer le biais « rétroviseur »), ou alors plus proprement des anticipations d’inflation qui sont assez sales, polluées par les diverses imperfections des obligations indexées. Pour résumer ils se retrouvent avec des taux réels qui ont un faux air « bas », et au passage ils oublient ce que cela impliquerait (une croissance potentielle pitoyable).

En fait le mouvement actuel des taux nominaux est préoccupant car il s’accompagne d’un grand désordre sur les taux de changes, les spreads et la liquidité, et d’une menace de « normalisation » de la taille de bilan des banques centrales (« quantitative tightening ») dont on ne connait pas bien l’agenda et la crédibilité, qui arrive au pire moment et qui nous rappelle de tristes souvenirs (cf fin 2018) ; les conditions monétaires se durcissaient déjà sans qu’on en rajoute, et là on joue carrément avec le feu. Alors oui, créer un krach obligataire n’était pas la première urgence, et 2022 est pire que 1994 car au moins à l’époque de Greenspan il y avait quelques arguments pour monter les taux même si ce fut une erreur (beaucoup de gens craignaient une surchauffe pour 1995, alors qu’il faut consommer des substances illégales pour entrevoir une surchauffe en 2023).     

Question 5 : alors pourquoi la FED est-elle devenu dingo à partir de décembre 2021 ?

Pour ne pas finir en bous émissaire de l’épisode de dérive des coûts, post-Covid. Pour diffracter le blâme. Pour préserver son capital indépendantiste à Washington. Pour se mettre dans le costume de Paul Volcker (qui lui montait les taux après 15 ans de dérives monétaires et non 15 mois de remontée des coûts). Pour éviter un procès ultérieur en Greenspanisation. En bref, pour le bien-être d’une quinzaine de personnes, qui feront l’inverse dans quelques mois si le vent change de direction, après le pic de l’inflation statistique.

A noter que le durcissement monétaire a commencé en réalité dès décembre 2020, avec les reverse repos puis avec le démantèlement des divers mécanismes d’urgence : on le voit dès février 2021 sur la parité dollar-yen, sur les cryptos et sur les valeurs les plus spéculatives. Cela fait donc 20 mois de durcissement, d’où les nervous breakdown de l’hiver qui vient. La FED n’a pas du tout été en retard, et son retournement de veste narrative il y a 10 mois ne doit pas grand-chose aux données économiques et tout au climat washingtonien très anxiogène (pas de chance pour eux, tous les indicateurs qui pointaient vers une « surchauffe » se sont inversés peu après ce retournement de veste !). Vous verrez qu’après les mid-terms de novembre le discours va progressivement évoluer. 

Question 6 : pourquoi le marché et les médias sont-ils aussi complaisants ?

Le marché ne l’est pas. On a déjà parlé ici du dollar, qui monte partout car il est trop rare, et de l’inversion très révélatrice de la pente de la courbe des taux, on pourrait ajouter les actions, qui baissent, ou les spreads de crédit, qui s’envolent. Ce sont les banques qui sont complaisantes avec la hausse des taux : comme les pétrolières, elles adorent quand le prix de leur matière première monte. Bien entendu et comme d’habitude elles scient la branche sur laquelle ils sont assis (moins de crédit, plus de défauts, une book value revue vers le bas), mais à court terme elles s’en moquent, elles avaient tellement peur d’être scotchées dans les taux négatifs pour l’éternité, et puis comprenez-les, elles avaient tellement prévu depuis 20 ans un scénario de montée chaque année des taux…

Les médias ne voient rien comme d’habitude, ils sont nuls, trop occupés avec la baffe d’un députaillon et la main courante sur un autre. Ils ne s’intéresseront au sujet que si le sang gicle sur les murs (un « moment Lehman » comme on dit désormais). En gros, une faillite retentissante. Et encore, vous pouvez être sûr que ce sera la faute du capitalisme mondialisé, des chinois, de Poutine. Tout est budgétaire ou structurel chez tous ces gens, rien n’est jamais monétaire. Et Jancovici nous dira que c’est un sous-produit du réchauffement, comme pour la Tunisie en 2011.  

Question 7 : que va-t-il se passer ? Que faire ?

Une décennie de croissance perdue. C’est le tarif quand on fait autant de bêtises : souvenez-vous des montées de taux anachroniques de Trichet à l’été 2008 et au printemps 2011, qui nous ont tant coûté. Après le Covid et l’Ukraine les marges de sécurité s’amenuisaient, désormais il n’y en a plus. Les américains s’en sortiront peut-être, parce qu’ils sont plus souples et parce que le nouveau rideau de fer avec la Russie ne leur coûte rien (en net). Les asiatiques vont continuer à ne rien faire avec leurs taux ou même à les baisser, parce qu’ils sont plus intelligents. Les britanniques sont coincés, ils récoltent ce qu’ils ont semé, comme tous ceux (nombreux à Paris, Francfort, etc.) qui prétendent refroidir l’économie par la hausse des taux tout en la réchauffant par les mesures budgétaires (les soutiens aux factures gazières, etc). Les eurolandais vont souffrir longtemps (et ce n’est pas Lagarde qui est en cause, car elle ralentit le processus du mieux qu’elle peut à Francfort) : des mois de hausses des taux devant nous, puis 18 mois pour qu’elles fassent leurs effets, non seulement la croissance 2023-2024 est fichue mais celle de 2025 est menacée.

Puisque nous arrivons vers un vaste désert de croissance nulle, il faut agir en conséquence.

a/ Financièrement. Garder du cash. Resserrer les portefeuilles vers les convictions les plus fortes, qui ne dépendent pas de la macro, des banques centrales, des Etats. Il y a déjà un certain nombre de belles valeurs à capter (Tesla…). Ecarter tout ce qui dépend de la croissance domestique, des classes moyennes, virer les boites gnan-gnan assez bêtes pour recruter et accorder des hausses de salaires à la veille d’un long hiver. Se préparer à un long dégazage immobilier après des années de débauches. En profiter pour investir dans son capital humain. Regarder vers le large, vers l’Asie en particulier. Et ne pas oublier les taux de changes, comme indicateurs et comme moteurs de performance.

b/ Politiquement. Les deux mandats Macron n’auront servis à rien. Du tangage à prévoir pour 2027, et peut-être avant. Un avant goût avec l’Italie dans les mois à venir, où à mon avis la Bundesbank fera faire le sale boulot par les marchés. Du risque partout, du rendement nulle part. 

c/ Sérieusement. Demander des comptes aux banquiers centraux, aux allemands en particulier. Il n’est pas normal qu’en plus de nous mettre dans la panade énergétiquement et géopolitiquement ils nous coulent monétairement pour la 3e fois en un tiers de siècle (1992 aurait du servir de leçon, et au pire 2008-2011). La diplomatie à la Lagarde permet de limiter la casse et de passer cet hiver, elle retarde toutefois une confrontation nécessaire avec les totems et tabous germaniques. Il va falloir arrêter de les suivre aveuglement, comme des caniches, des cous pelés. Le prix de la liberté sera certes assez élevé à court terme, mais c’est le genre d’inflation qui nous rapportera. Souvent un divorce vous coûte la moitié de votre argent et vous êtes pourtant bien content.

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