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Emmanuel Macron s'attaque au casse-tête libyen
©REUTERS / Goran Tomaseciv

Libye

Une rencontre doit avoir lieu demain à Paris sur l'initiative d'Emmanuel Macron entre les deux chefs rivaux des deux camps libyens, le général Khalifa Haftar et Fayez el Sarraj à la tête du gouvernement d'union nationale (GNA). Avec cette rencontre, comme promis par Jean-Yves Le Drian, Emmanuel Macron rentre de plein pied dans le dossier Libyen.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Que peut-on attendre de cette rencontre alors que les deux hommes se sont déjà rencontrés en mai dernier aux Émirats arabes unis.

Alain Rodier : Les deux protagonistes - Haftar et Sarraj - se connaissent bien et se sont effectivement déjà rencontrés. Je ne suis pas certain qu'ils aient grand chose de nouveau à se dire mais Paris revient dans le jeu libyen après une période d’absence, du moins apparente. Il convient de replacer cette rencontre organisée par l'Élysée dans le positionnement du président Macron en matière de politique internationale. Après avoir rencontré les « grands », particulièrement lors des sommets du G7 suivi de celui du G20, il a organisé les venues des présidents russe et américain en France. Il ne faut pas se faire d’illusions ; rien n’a été décidé lors de ces grands « raouts » mais les interlocuteurs ont appris à connaître le « petit nouveau » qui, de son côté ne s’est pas laissé impressionner. Il a juste voulu signifier que la France était encore présente. Il a été écouté poliment car la France a encore une image de marque dans le monde.

Jupiter prend la situation libyenne là où le président Hollande l’avait laissé : Paris a reconnu avec la communauté internationale le gouvernement de Sarraj mais, conscient que la seule force militaire non islamiste radicale était dans les mains du maréchal Haftar, elle l’a « accompagné » pour le cas où... Qu’il soit ici rendu hommage aux membres des services spéciaux qui ont payé de leur vie la mission qui leur avait été confiée. Ils étaient dans leur rôle de contact avec les « infréquentables ». Pour résumer, les Affaires étrangères étaient derrière Sarraj, le Ministère de la défense avec Haftar. Cette situation change puisque les contacts avec Haftar sont désormais officialisés, Paris ne semblant enfin plus parler que d’une seule et même voix. Cela dit, BHL a toujours ses entrées à l'Élysée et avec un tel conseiller, tout est à craindre !

Même si la démarche paraît louable, est-ce que la France est un acteur crédible pour essayer de rapprocher les deux partis au vu de sa position "schizophrénique" sur la situation en Libye quand elle déclare publiquement ne soutenir que le GNA mais envoie des hommes appuyer l'Armée de Libération Nationale (ANL) du général Haftar ? Emmanuel Macron pourrait-il en profiter pour clarifier les choses ?

Jusque là, la position de la France en Libye était pour le moins « inconfortable ». En effet, même si le dictateur Kadhafi n’attirait guère la sympathie, l’opération militaire de 2011 lancée par le président Sarkozy a effectivement amené à la disparition d’un personnage « nuisible » mais elle entraîné un processus incontrôlable. La Libye s’est décomposée en une multitude d'entités dirigées par des chefs de guerre locaux. 

C’est là où l’on mesure que le « devoir d’ingérence » prôné depuis les années 1990 (avant BHL) par les nouveaux « colonisateurs » amenant avec eux la « Démocratie à l’occidentale » a été la source de bien des bouleversements mortifères. Des hécatombes ont peut-être été évitées mais il y a eu ensuite bien d’autres victimes innocentes ou non. Il faudra un jour se rendre compte que l’on ne fait pas une politique étrangère avec la « morale » même si cette dernière ne doit pas être totalement absente de l’esprit des décideurs. Le général de Gaulle que tout le monde cite aujourd'hui en exemple (mais que presque plus personne n'a connu) ne faisait pas une politique étrangère pour la morale mais pour l'intérêt de la France et de ses concitoyens.

Comment évoluerait la situation en matière de crise des migrants et de terrorisme si la situation politique en Libye ne se stabilise pas dans un avenir plus ou moins proche ? 

Selon l’Organisation des Nations Unies pour les migrations, depuis le début de l’année 2017 plus de 111 000 migrants ont rejoint l’Europe dont 93 000 en Italie. 2 360 auraient péri en mer. La majorité venait de Libye dont les côtes ne sont pas contrôlées.

Il faut regarder les choses en face : pour l’instant, il n’y a pas de solution viable surtout tant qu’aucun gouvernement stable n’est en mesure de gouverner la Libye dans son intégralité.

Le Maréchal Haftar a certes des forces à sa disposition. Il a repris les ressources pétrolières du centre libyen (ce qui lui donne des moyens financiers) mais il n’a pas la capacité tactique de s’emparer de l’ouest et du sud du pays.

Pour faire court, la situation n’est aujourd’hui pas contrôlable. Il lui faudrait un soutien massif de l'Égypte, des Émirats Arabes Unis (ce qu’il a déjà), de la Russie (qui est déjà bien occupée en Syrie) et des Occidentaux pour parvenir à des résultats tangibles. Sarraj peut lui donner la légitimité s’il le désigne comme ministre de la défense du gouvernement aujourd'hui reconnu par la communauté internationale.

La Turquie et le Qatar qui soutiennent les Frères musulmans qui manipulent les forces islamistes en Tripolitaine sont pour le moment accaparés par la crise avec l’Arabie saoudite. Le moment est peut-être bon pour agir.

Mais bien sûr, il ne faut pas négliger les salafistes-djihadistes de Daech toujours éparpillés autour de Syrte et surtout Al-Qaida « canal historique » très présent sur l’ensemble du territoire libyen et particulièrement dans le sud du pays. Pour compliquer le tout, le crime organisé (dont on parle peu car il fait ses affaires discrètement) a trouvé en Libye le "hub" pour tous les trafics ; migrants, drogues, armes, etc. Les mafias italiennes et turques y trouveraient leurs comptes et ne souhaitent pas que la situation s'apaise, question de business!

Comme on le voit, la situation est compliquée et la France n'a pas de solution toute trouvée. Mais faciliter le dialogue entre les différents intervenants, locaux et étrangers, est toujours un bon début.

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