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Emmanuel Macron et le vertige du discours de la méthode
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Pour bien conduire sa raison...

Le président l’a dit, le mouvement des gilets jaunes s’est focalisé sur la question du carburant mais le malaise est beaucoup plus profond. Il en tire la conclusion qu’il faut mieux associer les Français aux décisions politiques. Étrange qu’il ne voit pas que le diesel n’est que la goutte qui a fait déborder le vase du malaise démocratique. Et que la manière dont nous avons rempli le vase, la méthode de la décision donc, importe finalement moins que ce que nous y avons mis.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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On est saisi à l’écoute du discours d’Emmanuel Macron consacré au pacte social devant désormais accompagner la transition écologique d’un profond vertige. Un vertige devant le paradoxe de ce président, jeune, brillant ayant su plus vite et mieux que d’autres comprendre la déliquescence du système politique français lors du quinquennat précédent mais aussi totalement enfermé dans une vision d’un autre âge. 

Un âge figé dans les grands choix politiques faits par la France entre 1983 (le franc fort) et 1992 (traité de Maastricht). C’est aussi la décennie où les démocraties occidentales ont pris les grandes orientations ayant produit le monde et la mondialisation d’aujourd’hui. La décennie enfin où la chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’URSS et du modèle de civilisation soviétique ont permis aux élites économiques occidentales de prendre leurs aises et de jeter par dessus bord le sens de la mesure et celui du respect de l’humain tant le risque révolutionnaire paraissait désormais circonscrit. 

Rétrospectivement, on voit à quel point l’émergence des luttes sociétales venues combler le vide laissé par l’abandon des luttes sociales masque mal le cynisme de ceux ayant intelligemment mis à profit l’effacement grandissant des frontières pour mettre l’avidité au premier rang des moteurs de notre histoire contemporaine. Bien sûr, tout n’est pas à jeter dans ce monde. Le libéralisme est aussi ce qui a permis à des centaines de millions de personnes dans le monde de sortir de la pauvreté. Et aux démocraties occidentales de continuer à vivre confortablement malgré l’essoufflement des trente glorieuses. Le libéralisme culturel a aussi contribué à la lutte contre des discriminations injustifiables. 

Mais l’abandon plus ou moins conscient des règles d’une concurrence loyale à l’échelle internationale et l’oubli du conservatisme et de la préservation de valeurs « à échelle humaine » qui ont accompagné ce néolibéralisme financier et sociétal a dissous le bon sens. Et le bon sens, c’est la seule arme qui reste à ceux que leur faible capital humain ou économique ou leur mauvaise adresse condamne au déclassement. Les Gilets jaunes le disent, ils veulent de la considération. « On n’est pas des cons » peut-on lire un peu partout sur les banderoles. 

Tout banquier d’affaires qu’il ait été, cette demande là, Emmanuel Macron l’a vraiment entendue. Son mea-culpa du jour sonnait juste. Il n’est du reste pas un yuppie attardé, vestige des loups de Wall Street ou de la City thatcherienne triomphante. Contrairement aux procès en cynisme et en président des riches qui lui sont souvent intentés, Emmanuel Macron paraît sincère dans son envie d’aider « ceux qui ne sont rien ». Et c’est d’autant plus troublant... Il entend, il comprend ce malaise démocratique qui fait qu’en France comme ailleurs en Occident, un nombre grandissant de citoyens sentent que « le monde d’aujourd’hui n’est plus fait pour eux ». Mais le diagnostic qu’il dresse sur ce qui nous a mené là est largement à côté de la plaque. 

Le président pose la question de la méthode, il l’a dit, répété et martelé. Pas celle du cap. Son repentir sur son mode de gouvernance ou celui de ceux qui l’ont précédé n’est pas de façade. Il n’est d’ailleurs pas sans objet non plus. Comme il l’a lui même souligné, l’obsession technocratique animée des meilleures intentions du monde a essentiellement produit des normes et avec elles un blocage économique et social de la France.

Sa pédagogie de la transition énergétique et de la préoccupation sociale qui doit l’accompagner est évidemment utile tant les enjeux en termes de pollution ou de dérèglement climatique sont vertigineux pour aujourd’hui comme pour demain. 

Mais considérer qu’il n’y a que la méthode qui a péché, c’est pousser les vices de l’esprit technocratique à leur maximum. Organiser une grande concertation de 3 mois avec les gilets jaunes, les territoires et les acteurs de terrain ne peut pas faire de mal et c’est une forme de réponse aussi immédiate qu’il est possible de l’être -et de ce point de vue Emmanuel Macron a raison de souligner qu’aucune annonce ne pourrait éteindre instantanément la mobilisation en cours- mais c’est passer à côté du défi du malaise des démocraties occidentales sur lequel il était plein de lucidité devant le slogan « changeons ensemble » qui ornait le podium de son discours. 

Le président en réinventant une forme de TIPP flottante a peut-être trouvé une porte de sortie provisoire au conflit sur le coût des carburants mais il n’a certainement apporté aucune ébauche de solution véritable au défi de la construction du nouveau pacte social qu’il appelle lui-même de ses vœux. 

Sa surdité sur la question des dépenses publiques est inquiétante. Oui nos impôts financent aussi les écoles, les hôpitaux ou les crèches. Mais il n’y a pas que lui ou les cerveaux de Bercy qui sont capables de le comprendre. A qui peut-il faire croire que la question de l’efficacité ET de la justice de la dépense publique serait une question illégitime ? Les Suisses ou les Singapouriens vivent-ils dans des déserts de services publics ?

Comment pourrions-nous construire un monde de pays riches qui n’oublie pas les plus faibles sans revenir sur les choix fondamentaux qui ont été faits depuis 40 ans ? Le propre discours du président serait pourtant de nature à lui mettre la puce à l’oreille s’il sortait de son obsession pour la méthode : lorsqu’il constate que le rythme de fermeture des centrales nucléaires françaises dépend des choix faits par nos partenaires en la matière ainsi qu’en matière de centrales à charbon, il voit bien que tout n’est pas affaire de concertation avec « ceux qu’on n’a pas associé à la décision politique depuis 40 ans car on ne les trouvait pas assez importants ». 

Le président l’a dit, le mouvement des gilets  jaunes s’est focalisé sur la question du carburant mais le malaise est beaucoup plus profond. Étrange donc qu’il ne voit pas que la question du diesel n’est que la goutte qui a fait déborder le vase. Et que la manière dont nous avons rempli le vase du malaise démocratique, la méthode donc, importe finalement moins que ce que nous y avons mis.

La formule est à la mode ces jours-ci qui veut qu’on rapproche fins de mois et fin du monde mais les fins de mois sont quand même nettement plus impactées par les ratés des débuts de ce nouveau monde mondialisé que par la perspective de sa fin. Les salariés de l’industrie française doivent-ils leurs angoisses de fins de mois aux nécessités de la transition climatique ou à la manière dont on a accepté une concurrence déloyale des pays en voie de développement ne respectant aucune de nos règles sanitaires, environnementales et sociales ? Le sentiment d’injustice sociale et fiscale n’a-t-il rien à voir avec la dérégulation quasi totale des mouvements de capitaux ? 

L’atonie de la croissance française et plus largement de celle de la zone euro ne serait-elle pas dûe à la structure macro-économique de ladite zone ? Comment expliquer sinon que des pays proches de nous et faisant partie de l’Union européenne comme la Suède où le Royaume-Uni aient connu des chiffres de croissance et de création d’emplois incomparablement supérieurs depuis la grande crise de 2008 ? La liste des erreurs faites dans la construction de la mondialisation ne s’arrête pas là, nous l’avons souvent développée, comme encore dans ces articles. 

>>> A lire : Toutes les erreurs de la mondialisation, ou comment nous avons produit la France des Gilets jaunes et l’Occident des populistes <<<

>>> A lire : Ce qui pourrait vraiment rendre la transition écologique “démocratique et acceptable” (et tirer la France d’une ornière qui est loin de n’être qu’environnementale) <<<

>>> A lire : Pourquoi le pacte social d’accompagnement à la transition énergétique ne pourra pas marcher <<<

Encore une fois il ne s’agit pas de vouloir s’opposer à la mondialisation, qui est un fait qui dépasse largement les capacités de la puissance politique française à s’y opposer, quand bien même le souhaiterait-elle. La question de la redéfinition de ses règles, elle, est un autre défi qui pourrait être à sa hauteur avec moins de bons sentiments multi-latéralistes et plus de stratégie sur les rapports de force géopolitiques. Le président semblait avoir oublié ce mardi qu’il partait ce mercredi pour le G20... 

Emmanuel Macron a su se faire élire en comprenant mieux que tous ses concurrents l’effondrement des corps intermédiaires de la démocratie française, des partis aux syndicats en passant par tout ce que le pays compte de relais d’opinion plus ou moins discrédités. Il devient clair aujourd’hui qu’à ses yeux, cet effondrement était principalement dû à des questions de méthode et pas à des questions de visions et de choix (ou de non-choix) politiques. Sa vision se résume finalement à la croyance que si tous les élus avaient été de bons élèves respectueux des règles, nous serions au paradis des premiers de cordée... 

La France est obsédée depuis Descartes par le discours de la méthode. Il serait temps qu’elle se préoccupe aussi de la définition des règles et pas uniquement de leur application. 

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