Emmanuel Macron entre volonté et décomposition politiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans un entretien accordé à l'Opinion dimanche 14 mai, Emmanuel Macron est une nouvelle fois revenu sur le déni de réalité, en affirmant que "le déni de réalité est le carburant des extrêmes".
Dans un entretien accordé à l'Opinion dimanche 14 mai, Emmanuel Macron est une nouvelle fois revenu sur le déni de réalité, en affirmant que "le déni de réalité est le carburant des extrêmes".
©Photo AFP

Déni de réalité

Entre déplacements et interviews, ce lundi soir sur TF1 notamment, le président de la République fait feu de tout bois. Assez pour masquer l’enlisement de son gouvernement et de sa majorité ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans un entretien accordé à l'Opinion dimanche 14 mai, Emmanuel Macron est une nouvelle fois revenu sur le déni de réalité, en affirmant que "le déni de réalité est le carburant des extrêmes". "A deux reprises, les Français m’ont placé au second tour de l’élection présidentielle face à Madame Le Pen. Je n’ai jamais convaincu les électeurs de voter pour moi sur des questions morales, mais par un discours de vérité sur la question de l’euro, sur les conséquences de son abandon sur le pouvoir d’achat, sur le travail. Si tout le monde refuse d’affronter la réalité, le pays s’en relèvera mal", a-t-il déclaré. Dans quelle mesure Emmanuel Macron est-il lui-même englué dans le déni de réalité, notamment au sujet d'une réforme des retraites qui était peu utile ? Est-ce à dire qu'il pratique l'inversion accusatoire ?

Christophe Bouillaud : Revenons d’abord sur les conditions de son élection en 2017 et de sa réélection en 2022. Emmanuel Macron n’a pas tort de souligner qu’un certain nombre d’électeurs ont voté pour lui au second tour pour éviter les conséquences économiques fâcheuses à leurs yeux qui pouvaient résulter de l’élection de Marine Le Pen, mais il occulte le peu de poids de cette raison strictement économique pour bien d’autres électeurs. De fait, beaucoup d’électeurs, de gauche bien sûr, mais aussi du centre et de la droite, ou sans orientation partisane bien définie, ont voté pour lui pour ce qu’il appelle dans cet entretien à l’Opinion des « questions morales ». Beaucoup de ses électeurs du second tour ont fait, comme on dit « barrage », au nom du refus de la xénophobie, du racisme, plus largement en étant conscient des racines du Rassemblement national dans la période de la Collaboration ou dans celle de l’O.A.S. C’est vrai en 2017 et en 2022. J’ajouterai qu’en 2022 il y avait aussi une autre raison de faire barrage en votant E. Macron au second tour pour une autre « question morale » plus actuelle celle-là : la position de Marine Le Pen et de son parti dans le cadre de l’invasion du 24 février 2022 par la Fédération de Russie. Les « anti-munichois » de 2022 n’avaient eux aussi d’autre choix au second tour que de voter Macron.

Pour ce qui est de la question de la réforme des retraites, Macron est effectivement englué dans son déni. Il n’avait visiblement pas compris en lançant cette énième réforme des retraites à quel point le monde du travail était en crise en France. Comme ni lui-même ni ses proches n’ont développé aucun lien avec les salariés ordinaires de ce pays, ils sont complètement passés à côté des raisons qui allaient rendre ce conflit sur la nième réforme des retraites depuis les années 1990 si virulent et si intraitable. Pour résumer en quelques mots ce que tous les sociologues du travail ont pu rappeler depuis quelques mois, dont un récent colloque du CESE a fait la synthèse,  les salariés français sont de plus en plus soumis à un encadrement débilitant, à des rythmes forcenés,  n’ont aucune reconnaissance, et surtout n’ont aucune prise sur ce qu’on leur demande de faire. Pas très étonnant dans ces conditions très dégradés de « management à la française » que ces salariés n’aient du coup qu’un rêve en tête, la retraite. La « macronie » a quand même fini, au moins en paroles, par se rendre compte du problème posé par le mal-être des Français au travail  au cours même du conflit. Il faut ajouter que, comme il s’agit de la nième réforme, aucun salarié français ne peut non plus être dupe sur le sort qui l’attend s’il perd son travail après 55 ans. Les entreprises françaises restent depuis des décennies dans la maltraitance des seniors.  Mais, malgré ces éléments visiblement nouveaux pour lui, au lieu de tout arrêter et de prendre l’affaire par le bon côté, à savoir la crise du travail, E. Macron a préféré promulguer sa réforme à la va-vite, et a décrété que la population concernée devait penser à autre chose. 

Il est certes possible qu’E. Macron pratique l’inversion accusatoire comme stratégie un peu inconsciente.  Je crois plus simplement qu’E. Macron et ses proches sont totalement incapables de reconnaitre leurs erreurs, d’admettre qu’ils ne savent pas tout sur tout, et qu’en l’occurrence, ils ne connaissaient en fait rien du tout au vécu des salariés ordinaires. C'est tout le problème d’E. Macron d’avoir été porté au pouvoir très jeune sans avoir même été élu local, et d’avoir à sa disposition un parti (LREM, puis Renaissance) dont l’armature est faite de jeunes loups et louves n’ayant jamais fait autre chose que de la politique dans leur courte vie et de quelques vieillards du même acabit. Un parti constitué à 100% fait d’arrivistes et d’arrivés ne peut pas comprendre la société des gens ordinaires. E. Macron, à la tête d’un « parti personnel »,  n’a même pas, comme S. Berlusconi, ou A. Babis, l’expérience de la gestion d’un grand groupe économique et les cadres expérimentés qui vont avec. 100% de professionnalisme politique dans les cadres d’un parti, ce n’est pas excellent pour comprendre la société qu’on entend gouverner.

Il règne, sur l'exécutif et la majorité, un étrange parfum d’imbroglio. Sur l’immigration, par exemple, il n’est pas rare de voir des députés tenir des propos à rebours de l’action gouvernementale. De même, il arrive parfois qu’un ministre en démente un autre. Que dit cette situation de la façon dont Emmanuel Macron et ses troupes exercent aujourd’hui le pouvoir ?

Il y a quelques années on aurait parlé de « couacs » à répétition.  La ligne fluctuante tient probablement à la volonté de coller de trop près à ce que le pouvoir, Macron et son premier cercle, croit devoir faire pour satisfaire l’opinion publique et faire remonter la côte de popularité présidentielle. On godille donc à vue, pour donner une bonne impression sur les différents sujets qui passent dans l’actualité, mais sans trop réfléchir à la faisabilité de ce qu’on prétend faire et aux conséquences que cela peut avoir et sans même se soucier de savoir si les députés macronistes suivent bien les méandres de la ligne. 

La situation dans laquelle Emmanuel Macron et les siens se sont aujourd’hui enfermée vous apparaît-elle viable ? L’exécutif pourra-t-il tenir longtemps ainsi… ou risque-t-il au contraire l’implosion ?

Vu le personnel ministériel actuel, ce petit jeu des « couacs » peut continuer longtemps. En effet, il faut bien comprendre qu’être ministre actuellement, c’est juste appliquer et mettre en musique les instructions du Château. Le plus caricatural de cette situation nouvelle du Ministre en l’an VI de l’ère de Macron est la position de l’actuel Ministre de l’éducation. Un universitaire de renom transformé en recteur d’Académie, guère plus. Aucun de ces ministres ne va quitter le navire parce que l’un des projets qui lui tiendrait à cœur aurait été refusé. Ils n’ont rien à défendre en propre en termes de politique publique. On est vraiment arrivé au stade où le seul intérêt du poste est de disposer du titre de Ministre et de tous les à-côtés, un salaire, un carnet d’adresses, etc. En tout cas, il est frappant de voir que, quoi qu’il arrive, aucun membre de cette belle compagnie n’a songé à quitter la table. Il est vrai que, vu leur total manque de notoriété et de poids politique, personne ne s’en apercevrait vraiment. Nous ne sommes plus à l’an II de la Macronie quand un Collomb ou un Hulot pouvaient claquer la porte avec fracas pour un motif de fond.

A dire vrai, le seul Ministre qui pourrait encore claquer la porte, en y gagnant même quelque poids politique, serait sans doute Darmanin. Dans un magnifique geste,  il pourrait partir en accusant la « macronie » de « crypto-gauchisme ». Toutefois, lui aussi, ne dispose pas vraiment d’un parti derrière lui. Il doit donc rester dans la barque ministérielle, en espérant prendre la tête de cette dernière au prochain ministère.

Outre l’évidente confusion que peuvent des séquences comparable à l’interdiction de manifestation par le ministre de l’Intérieur après la déclaration par la Première ministre de l’impossibilité d’interdire, quels sont les dangers réels (électoraux ou plus politiques) auxquels s’expose le gouvernement, selon vous ?

Pour l’instant, du point de vue institutionnel, tant que les oppositions ne sont pas capables de se coordonner sur une motion de censure, les risques sont faibles pour le gouvernement Borne.  Pour que le gouvernement Borne tombe ainsi, il faudrait que les Républicains se décident à joindre toutes leurs voix à une motion de censure et croient pouvoir profiter des éventuelles législatives anticipées. Ensuite, sur le plan électoral, la prochaine échéance, ce sont les européennes, dans un an. Si le gouvernement Borne a tenu jusque-là, le résultat de ce vote pèsera sans doute sur son maintien.

Par contre, Emmanuel Macron peut vouloir changer de gouvernement en croyant donner plus d’impulsion à son action réformatrice. Soit il choisit alors un autre ectoplasme comme Castex ou Borne qui lui ne fera pas d’ombre, soit il choisit une personnalité forte.  S’il choisit un autre ectoplasme, inconnue des Français, cela ne changera en fait rien. S’il choisit une personnalité forte, ayant un vrai poids politique, le conflit entre lui-même et cette personne risque d’être rapide. On évoque par exemple le nom de Sarkozy. Image-t-on ce dernier se plier bien longtemps aux demandes d’un E. Macron ? De même, un Darmanin promu Premier Ministre serait rapidement incontrôlable. 

Enfin, il faut bien se rendre compte qu’actuellement, même si la popularité d’E. Macron n’est pas excellente, elle ne descend pas dans les tréfonds qu’avait connu F. Hollande. Cela se comprend pour deux raisons. D’une part, il ne faut pas oublier qu’une bonne part de la « France qui va bien », celle qui est déjà retraitée en particulier, n’a pas grand-chose à reprocher à E. Macron. Pour l’instant, les retraites sont payées, les dividendes tombent avec régularité, les prix de l’immobilier commencent à peine à baisser, les impôts sur les successions restent légers pour qui sait se faire bien conseiller. D’autre part, la stratégie d’étouffement des problèmes me parait beaucoup plus élaborée qu’à l’époque. On ne peut pas dire que les médias audiovisuels brillent par leur audace critique. Les « 100 jours d’apaisement » promis par E. Macron me paraissent ressembler furieusement à 100 jours de bourrage de crâne sur bien des médias. 

D’aucuns soupçonnent que cette situation résulte, notamment, de la volonté de donner des gages à la gauche comme à la droite… le retour, affirme ainsi Le Parisien, du “en même temps” si cher au président de la République. Est-ce là la seule cause d’une telle confusion selon vous, ou faut-il chercher plus loin encore ?

Oui, effectivement, cette volonté de ne pas oublier complètement son aile gauche peut provoquer une partie de ces couacs. Mais c’est là une raison mineure. C’est plutôt le fait que le fond de l’affaire Macron, c’est de ne jamais jouer franc jeu, de dissimuler ses véritables intentions. Pour revenir sur l’exemple des retraites, au lieu de dire qu’il s’agit juste de faire des économies budgétaires pour l’Etat, E. Macron a prétendu, pour vendre sa réforme aux Français, qu’elle augmenterait les petites retraites, améliorerait le sort des femmes, des carrières longues. Cela ne consiste au mieux qu’en semi-vérités. Cet exemple montre bien du coup le problème plus général. Au lieu de dire, ‘Chers compatriotes, le pays s’est appauvri, et nous ne pouvons plus payer de retraites, désolé’, on a tenu un autre discours, lui complètement fallacieux. 

On pourrait lister tous les domaines d’action publique, et c’est à mon avis toujours la même rengaine. On biaise avec la réalité de ce qu’on veut faire parce qu’on pense que les Français ne pourraient pas approuver les réformes proposées s’ils les comprenaient vraiment. On promet des choses tout en sachant pertinemment que cela couterait trop cher aux finances publiques, tout en étant incapables de dire clairement que cela n’est pas finançable. Le programme d’E. Borne tel que présenté en septembre 2022 est caricatural de ce point de vue : l’Etat s’y fixe des tas d’objectifs, et, en même temps, il s’agit de faire tout cela sans augmenter les impôts. Du coup, faute d’argent, faute de savoir se donner des vraies priorités, on use de pis-aller, subterfuge, poudre aux yeux. On ne sortira de ce marasme qu’en mettant carte sur table, mais ce n’est sans doute pas dans les projets de la « macronie ». 

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