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Emmanuel Macron, chronique d'une mort (politique) annoncée
©PASCAL GUYOT / AFP

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On souhaite que les appels au calme et à la responsabilité lancés par Emmanuel Macron et largement relayés par l’opposition et les syndicats, produiront leurs effets sur la journée de samedi et que les mobilisations seront pacifiques. Pour autant, le ciel politique du président paraît singulièrement obscurci.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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1) Le volet revendications du mouvement est en train d’être noyauté par l’extrême gauche. Les trotskistes et autres militants savent y faire et la question sociale leur offre un biais en or pour prendre le contrôle des plateformes de doléances. La sémantique des demandes des Gilets jaunes montre cette évolution.

2) Pour autant, le mouvement des Gilets jaunes reste largement un mouvement à l’ethos de droite ou d’extrême-droite pour paraphraser le président Macron.

3) Le discret décrochage des Français de droite dans les sondages en ce qui concerne le soutien aux Gilets jaunes montre d’ailleurs que la question de l’ordre refait surface. S’il existe une demande latente de violence dans le pays depuis que l’abus de violence symbolique et le mépris social d’une bonne partie du pouvoir macronien ont fait sortir le mauvais génie de la bouteille, la peur du chaos politique s’installe en sourdine. La crainte que la journée de samedi se conclue par des morts est évidente pour tous, celle du dérapage total et d’une perte de contrôle du pays et de son avenir émerge. Discrètement encore. 

4) Si l’extrême-gauche parvient à ses fins sur l’instrumentalisation des revendications du mouvement, une réaction chimique se produira : la demande d’ordre -au sens d’ordre politique tout autant que d’ordre public- se fera entendre fortement. La tentation de régime autoritaire analysée ici ou là, dans Atlantico depuis déjà trois ans comme par le Cevipof, pourrait faire irruption sur la scène politique française. Les derniers chiffres sur la sécurité du quotidien, + 21 % sur les cambriolages en 2017 ne sont, qui plus est, certainement pas de nature à tempérer le mouvement. Le Point titrait récemment sur la France livrée aux pillards, cette France des campagnes mise à sac par les voleurs de cuivre ou de tout et n’importe quoi et il suffit d’ouvrir la presse quotidienne régionale pour tomber quasi-quotidiennement sur des récits de braquage, qui dans une pharmacie, qui dans une boulangerie, qui dans un PMU bar tabac etc... 

Pour autant, la figure tentée de surfer sur la vague de cette demande d’autorité voire d’autoritaire n’existe pas nécessairement. La hiérarchie des officiers français est profondément républicaine même si, en ce qui concerne les rangs, commandements policier ou militaire rapportent ces derniers jours un nombre grandissant d’hommes ou de femmes affichant des Gilets jaunes sous leurs pare-brises en rejoignant leurs commissariats ou leurs casernes. 

5) Marine Le Pen commet un sans-faute en parvenant à se tenir à la bonne distance des Gilets jaunes depuis les débuts du mouvement : soutien, sympathie, rejet du mépris social infligé aux Français des ronds-points mais pas d’instrumentalisation ni de tentative de récupération trop voyante, contrairement à Jean-Luc Mélenchon. Elle a été la première à relever qu’Emmanuel Macron était en train de se mettre dans le corner de celui qui serait le premier depuis des décennies à devoir donner l’ordre de tirer sur son peuple. L’image de son incompétence d’entre-deux tours s’efface peu à peu au rythme de la spirale infernale de l’effritement de la statue de son adversaire de débat. 

Pour autant, en interne, les cerveaux du parti s’inquiètent : ils constatent le boulevard électoral qui semble s’ouvrir devant eux mais savent aussi que le parti n’est absolument pas en état de gouverner et manque cruellement des relais au cœur de l’État qui lui permettraient d’assumer une transition sans soubresaut. Le cœur du réacteur du RN souhaite le renversement du système mais reste relativement lucide sur sa capacité à en être l’artisan et le maître d’œuvre. 

6) Emmanuel Macron a produit jusqu’à l’absurde le scénario du « moi ou le chaos » qui par ces temps de révolte jaune se transforme en « eux ou moi ». Les « eux » l’ont bien compris et n’hésitent plus à affirmer benoîtement sur les plateaux de télévision qu’ils souhaitent prendre d’assaut l’Élysée sans que cela ne suscite de véritable émoi tant les esprits se sont vite acclimatés à l’idée que nous étions dans une phase où tout devient possible. 

Après avoir vendu en souterrain à ses mentors et ses financiers le scénario du « moi ou la fin du camp de la raison », Emmanuel Macron a vendu à des électeurs français intéressés mais dans leur majorité sur la réserve, le scénario du « moi ou le chaos » au moment du deuxième tour de la présidentielle. Une fois élu, il a alimenté la chronique de ses postures de « je suis le chef » à «qu’ils viennent me chercher » ou autre mise en lumière avantageuse de la star en chef du camp du Bien qu’il incarnerait face à celui de la lèpre. Sans aucun recul -avant ses mea-culpa de l’automne 2018- sur le rejet qu’il commençait à susciter dans le pays, des bugs de son 1er été (Villiers, APL) à ceux du deuxième (Benalla), il a posé à l’icône sexy du camp du progrès contre celui du danger nationaliste, du camp des modernes contre celui les archaïques ou du camp des-lendemains-qui-sourient-aux-audacieux contre celui des défaitistes abandonnés à leurs passions tristes. Allant jusqu’à mettre en vente dans la boutique de l’Élysée des T-shirts exploitant l’image de lui dans un déhanché à la John Travolta au moment de la finale de la coupe du monde.

À sa décharge, tout ce que le pays compte d’oppositions et de corps intermédiaires lui a largement rendu service en matière d’archaïsme économique et social ou de vacuité de la proposition politique. Au bout du chemin, le scénario du clash final est écrit. Nous ne sommes plus dans le face à face entre la France périphérique et la France d’en haut mais dans celui entre la France (des 70% de soutiens aux Gilets jaunes) et Emmanuel Macron. Du « Eux ou moi » à « qu’ils viennent me chercher » en passant par l’affichage symbolique de son refus de bouger du moindre centimètre sur la protection des riches là où il acceptait finalement de passer par pertes et protection de l’environnement, Emmanuel Macron répond une sorte de « Chiche » en creux à la menace de ceux qui ambitionnent de venir le chercher jusque dans l’Elysée. 

La journée du 5 décembre restera de ce point de vue dans les annales des manuels d’anti-politique. En passant ce mercredi soir par-dessus la tête du conseil des ministres, de son premier ministre, du Parlement ou des membres de sa majorité défendant sur les plateaux télés le moratoire sur la hausses des taxes écologiques, il a confirmé en lettres de feu, ce que nombre de Gilets jaunes paraissent avoir en tête : l’Etat, c’est lui. Et personne d’autre. 

7) Par la mise en scène retenue hier de l’annonce de l’annulation de la hausse des taxes, il a mis un terme symbolique aux concertations qu’il annonçait. Pourquoi syndicats, élus de terrain, militants ou experts divers et variés prendraient-ils la peine de discuter puisque tout se décide à l’Élysée et peut être renversé d’un claquement de doigts, même pas annoncé au préalable aux soldats qui défendent ses positions sur les plateaux de la démocratie non pas directe mais EN direct dans laquelle nous sommes désormais plongés. 

Pire, non seulement Emmanuel Macron a-t-il construit cette image de « l’État, c’est lui » mais il est aussi l’incarnation du monde que les Gilets jaunes rejettent désormais catégoriquement. Contrairement à François Mitterrand qui pouvait engager le virage de 1983 parce qu’il n’était ni sous la pression de la rue, ni l’incarnation profonde du socialisme version « gauchiste » de l’alliance avec les communistes, Emmanuel Macron porte dans sa personne même, l’alliance du monde de la mondialisation triomphante et de cette technocratie française toujours prête à imposer au pays les réformes les plus intelligentes sur le papier, fussent-elles sèchement démenties par le réel.

Prise à temps, les demandes des Gilets jaunes auraient pu être contenues par des mesures relevant à la fois du pouvoir d’achat et du symbolique (à condition qu’il soit puissant). Désormais, la revendication est systémique. Si la thématique du pouvoir d’achat domine, les Gilets jaunes veulent désormais plus que du bifteck, de la brioche ou des baisses d’impôts comme le pensent ceux qui ne voient en eux que jacquerie fiscale, poujadisme ou catalogue à la Prevert de revendications plus ou moins immatures. 

La demande de dignité est sur la table. Les Gilets jaunes ont bien compris que s’il leur était devenu difficile de payer leur plein d’essence ou encore ces petits plaisirs qui rendent la vie acceptable, c’était aussi à cause des grands choix politiques ayant construit le monde dans lequel nous vivons, de l’Europe assignée à un destin de goulag budgétaire et monétaire -alors qu'elle pourrait être tant d’autres choses, à commencer par un bouclier contre les vicissitudes de ce monde redevenu tragique- aux traités de libre-échange en passant par la liberté des mouvements de capitaux rendant possible toutes les stratégies d’optimisation fiscale

Certains dans les rangs de la majorité en viennent à murmurer que le président pourrait dissoudre, en assumant de perdre sa majorité pour mieux revenir une fois l’incompétence de ses adversaires démontrée. Les vents du dégagisme qui soufflent dans le pays rendent le scénario hautement hasardeux, et ce d’autant plus que nombre de ses adversaires qui se retrouveraient en situation de former un gouvernement pourraient être tentés de jouer la crise de régime afin de mettre le président définitivement à terre.

La question n’est du reste pas très éloignée en ce qui concerne le choix d’un nouveau premier ministre. Les Xavier Bertrand ou François Bayrou concernés feraient-ils le calcul, pour leur destin personnel comme pour celui de la France, de monter sur le Titanic en essayant de le sauver... ou de tenter d’être le premier acte du monde d’après ?

7) Emmanuel Macron semble se faire plus richiste que les riches ou pour parler français, plus royaliste que le roi. Les riches le sont en général devenus -ou restés- car ils savent faire preuve de pragmatisme. Il est des moments où il faut savoir payer pour éviter d’avoir à payer plus encore voire de tout perdre. Le capital politique d’Emmanuel Macron est dépensé. Il est désormais à découvert, les agios commencent à pleuvoir et comme le savent ces Gilets jaunes confrontés aux frais bancaires au moindre découvert, il faut alors réagir immédiatement pour éviter la spirale infernale. La tribune de Serge Weinberg dans Les Échos le soulignait hier, la demande de souplesse est là, même au cœur de la France macronienne et même si elle n’y est pas encore nécessairement majoritaire. 

8) Sur la scène internationale, le tweet moqueur et cruel de Donald Trump relevant qu’Emmanuel Macron semblait s’être rangé à la même vision que la sienne sur les accords de Paris et le climat, pour mesquin et immature qu’il soit, montre bien ce qu’est devenue la figure d’Emmanuel Macron dans les capitales étrangères. De champion des démocraties libérales capable de résister à la vague populiste, le président français semble être en train de se transformer à son corps défendant en artisan de la mise à bas de la mondialisation des 30 dernières années. Au regard de l’égo du président français, on imagine mal les prochains sommets internationaux et même européens... Les Salvini, les Orban, ou dans un registre différent les Britanniques, seront peut-être plus discrets que le président américain dans leur manière de faire. La puissance politique du président français, elle, accusera de toute façon le coup

9) Quelle que soit la porte politique de sortie désormais choisie -et à supposer qu’il en existe une capable de redonner de l’oxygène à l’exécutif- dissolution, changement de premier ministre ou référendum, le quinquennat d’Emmanuel Macron est politiquement terminé. Et ce, d’autant plus que les nuages macro-économiques s’amoncèlent sur la croissance française comme internationale. La psyché d’enfant à qui tout réussit qui semble être celle de notre président peut-elle y résister ou s’y adapter ? 

On espère évidemment que les appels au calme et à la responsabilité lancés par Emmanuel Macron et largement relayés par l’opposition -à l’exception notable de François Ruffin- et les syndicats, produiront leurs effets sur la journée de samedi et que les mobilisations seront pacifiques

La question du recours est néanmoins désormais ouverte. Bien malin celui capable de prédire qui aurait aujourd’hui l’envergure et l’intelligence politique d’un Charles de Gaulle

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