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Emmanuel Macron, ce président qui regrette un absent dans la France d'aujourd'hui : la figure du roi
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Bonnes feuilles

L'élection d'Emmanuel Macron a bouleversé notre système partisan, sans pour autant faire disparaître les frustrations qui l'avaient ébranlé. Mais les sombres prévisions sur l'avenir de la Ve République ont été démenties. Extrait de "Emmanuel Macron : une révolution bien tempérée" de Philippe Raynaud, aux éditions Desclée de Brouwer (2/2).

Philippe Raynaud

Philippe Raynaud

Philippe Raynaud est professeur de science politique, agrégé de philosophie et docteur en science politique. Membre de l'Institut d'études politiques de Paris, il enseigne à l'université de Paris-II Panthéon-Assas. Il a publié de nombreux ouvrages et articles concernant en particulier le libéralisme et la pensée républicaine en Europe et en Amérique.

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On aurait pu éviter beaucoup de contresens sur Emmanuel Macron si l’on s’était donné la peine de lire son livre et, surtout, les quelques substantielles interviews qu’il avait données avant même le début de la campagne présidentielle. On y aurait notamment découvert que sa sensibilité à la dimension « jupité- rienne » du pouvoir ne correspondait ni à un gadget de communication, ni à un simple trait de caractère narcissique ou autoritaire, mais reposait sur une réflexion assez profonde sur la nature du pouvoir et sur les difficultés propres de la politique française. Le texte le plus intéressant de ce point de vue est sans doute l’entretien publié dans l’hebdomadaire Le 1 en 2015, sous le titre : « Macron, un philosophe en politique », où il évoque sa formation philosophique. On y voit d’abord que cet homme, en qui Régis Debray voit la quintessence du « démocrate » au sens américain, est en fait parfaitement conscient des faiblesses symboliques de la démocratie, et n’hésite pas sur ce point à faire l’éloge de la figure française de la République :

La République française est une forme d’incarnation démocratique avec un contenu, une représentation symbolique et imaginaire qui crée une adhésion collective. Or, on peut adhérer à la République. Mais personne n’adhère à la démocratie. Sauf ceux qui ne l’ont pas3 .

Mais ce républicain a ceci de particulier qu’il est conscient que, en France, la République elle-même souffre depuis sa fondation d’une incapacité foncière, structurelle et non épisodique, à surmonter l’incomplétude qui définit la démocratie :

La démocratie souffre d’une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce malentendu4 .

Emmanuel Macron appartient donc à cette espèce particulière de républicains qui, non contents de célébrer ensemble le souvenir du Sacre de Reims et celui de la Fête de la Fédération, comme le souhaitait Marc Bloch, pensent également que quelque chose s’est perdu entre 1789 et le 21 janvier 1793, que la République n’a jamais réussi à remplacer : la figure du roi, dont aucun chef d’État républicain ne donnera jamais l’équivalent. Plus encore, le roi dont il est question ici n’est pas celui des monarchies constitutionnelles contemporaines, qui représente les « génies invisibles de la cité » (Guglielmo Ferrero) sans intervenir dans le gouvernement : c’est bien du roi de France dont il s’agit, c’est-à-dire d’un monarque capable d’exercer ce que le juriste Georges Burdeau appelait le « pouvoir d’État ». Ce qui est en effet le plus remarquable ici, c’est la manière dont Emmanuel Macron glisse d’une analyse qui souligne l’« incomplétude » de la démocratie à des exemples d’ailleurs très différents (Napoléon, de Gaulle), mais qui expriment l’un et l’autre un appel à un renforcement de l’efficacité gouvernementale et de la puissance étatique.

Tout cela conduit très logiquement à une critique de la tradition républicaine antérieure à 1958, dont François Hollande est, au moment où il parle, le digne héritier. Le jeune ministre se situe clairement dans la ligne de ceux qui, sous la IIIe et la IVe République, dénonçaient la faiblesse du pouvoir exécutif, en déplorant la préférence des Français « pour les principes et pour la procédure démocratique plutôt que pour le leadership », en plaidant pour l’introduction dans la vie politique française d’« un peu plus de verticalité ». Tel est l’erreur ou la faute de François Hollande, que son successeur devait éviter : le président a progressivement perdu sa dignité quasi royale en devenant « normal » et cette désacralisation de la fonction présidentielle se paye par une perte d’autorité et d’efficacité gouvernante. La volonté de restaurer non seulement l’autorité mais le pouvoir du président était donc dès l’origine au cœur du projet d’Emmanuel Macron et elle s’accompagnait d’ailleurs d’emblée d’un regard assez dédaigneux sur le « bavardage législatif » des assemblées parlementaires5 . De manière bien française, le refus de compenser ce qu’a d’anomique l’individualisme libéral par un recours assumé à des contrepoids conservateurs conduit naturellement à chercher du côté de l’État le moyen d’une transformation somme toute libérale de la société française. Par là Emmanuel Macron se situe dans la lignée de Turgot, c’est-à-dire des réformateurs qui s’appuient sur l’autorité de l’État non pas pour « diriger » l’économie mais pour bousculer les situations acquises, pour restaurer les finances publiques ou pour atténuer les contraintes inutiles qui pèsent sur l’initiative des acteurs sociaux les plus dynamiques.

Extrait de "Emmanuel Macron : une révolution bien tempérée" de Philippe Raynaud, aux éditions Desclée de Brouwer

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