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Emmanuel Macron 1 - Opposition(s) 0 : ce qui se cache vraiment derrière la première manche du quinquennat
©AFP

Premier Set, Mr Macron

Alors qu'il avait connu un été difficile, Emmanuel Macron voit sa cote de popularité remonter... faute d'adversaire pour proposer une quelconque alternative.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Selon un sondage Kantar Sofres Onepoint pour le Figaro, Emmanuel Macron a regagné 4 points de popularité auprès des Français au cours de ce derniers mois. Selon un sondage Elabe, il apparaît que la France Insoumise perd 7 points dans son rôle de 1er opposant au Président. Dans quelle mesure la faiblesse de l'opposition peut-elle expliquer cette remontée d'Emmanuel Macron, faute d'alternative ? En quoi cette absence de propositions concrètes participe-t-elle de ce phénomène ?  

Eric Deschavanne : L’élection présidentielle a forgé une situation politique qui me paraît relativement durable, par-delà les aleas de la conjoncture et des sondages : le premier tour a fait apparaître une quadripartition des forces politiques qui s’ordonne en fonction d’un double clivage – le clivage droite/gauche et le clivage populismes/partis de gouvernement. La position d’Emmanuel Macron est à la fois fragile et solide : fragile, parce sa base électorale, si on la mesure par son score du premier tour de la présidentielle, est très mince ; solide néanmoins, parce les trois autres forces qui composent ce paysage politique éclaté – au sein duquel il occupe de surcroît la position centrale – ne peuvent faire alliance. 

Depuis la présidentielle, le débat politique met aux prises Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Or, Macron n’a rien à redouter de ce côté-là. Ce combat achève de réduire en miettes les restes du Parti socialiste, en vertu de la mécanique du « casse-noix » mise en place à l’occasion de la campagne présidentielle. Les socialistes sont plus que jamais invisibles et inaudibles. La droite est encore en phase de décomposition-recomposition - l’attention médiatique se focalisant sur Laurent Wauquiez, dont la stratégie de conquête du leadership par la droite favorise de fait le dessein macronien d’annexion du centre-droit. Il n’est pas impossible qu’à terme cette vaste force centriste et centrale constituée par Emmanuel Macron connaisse un reflux mais, pour l’heure, elle lui assure une bonne assise dans l’opinion.

Cette force centrale apparaît actuellement comme la seule force politique crédible. La droite n’est pas encore en état de marche et les deux populismes sont en panne de crédibilité, pour des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles. Structurellement, le populisme est protestataire : il se nourrit de prises de position en rupture avec la politique mainstream qui lui interdisent dans le même temps d’espérer le ralliement d’une majorité d’électeurs. Tout va bien pour lui tant qu’il n’est pas sommé d’apporter la preuve de sa capacité à gouverner. C’est la cause profonde de la petite tragédie vécue par Marine Le Pen et le Front National lors de la campagne du deuxième tour de la présidentielle. Le Front national n’a jamais paru à la fois aussi fort et aussi inutile que durant la dernière présidentielle. Dans une campagne mouvementée, riche en rebondissements et en surprises, il aura représenté l’élément de stabilité. Rien ne s’est passé comme prévu, hors le destin du FN : on prévoyait qu’il serait présent au second tour, il le fut, et qu’il serait battu au second, il l’a été. Aussi fort soit-il dans l’opposition, un parti populiste ne peut aspirer à autre chose qu’à être un parti d’opposition. Marine Le Pen a erré, parce qu’elle a désespérément tenté de sortir de cette nasse, d’abord en essayant de se normaliser, en mettant de l’eau dans son vin sur la question de l’euro, puis à l’inverse, en surjouant le populisme lors du débat avec Emmanuel Macron. La présidentielle fut donc pour le FN une petite victoire à la Pyrrhus dont il ne s’est pas encore remis. 

Jean-Luc Mélenchon, à l’inverse a connu - grâce en réalité à l’effondrement du PS - une petite dynamique sur laquelle il a surfé après la présidentielle. Mais celle-ci se heurte à des limites évidentes : aux antipodes du FN sur les questions de l’immigration, de la sécurité et de l’identité, il ne peut bénéficier de l’affaiblissement de celui-ci à travers un phénomène de vases communicants ; contesté du sein même de la gauche sur son rapport à l’islam et à la laïcité, sur son rapport à l’Europe, sur la crédibilité de son programme économique, ainsi que sur sa complaisance à l’égard de certains régimes peu démocratiques, sa marge de progression à gauche paraît faible. Tout compte fait, le déclin de la popularité de France insoumise s’explique : Mélenchon n’a cessé de polémiquer ces derniers mois avec des forces de gauche : avec les syndicats recherchant des compromis sociaux, avec Manuel Valls à propos de l’idéal républicain, avec LREM à propos de l’idéal européen, avec les socialistes, considérés comme des socio-traîtres qui ne savent pas vraiment où ils sont, et même avec les communistes. Il s’est constitué une clientèle électorale solide tout en se marginalisant dans le champ politique. Quoique plus solide sur le plan intellectuel, il n’apparaît pas politiquement plus crédible que Marine Le Pen. 

Edouard HussonIl faut bien entendu être prudent dans le pronostic. En novembre 2007, qui aurait parié sur la défaite de Sarkozy en 2012?  A l’époque, déjà, un président français avait neutralisé une partie de l’opposition en lui prenant des ministres. On appelait cela « ouverture ». On ne peut pas conclure  des mésaventures actuelles des opposants à Macron qu’il ne se dressera personne d’ici deux ou trois ans. Vous avez cependant raison de souligner combien l’opposition est inconsistante. Mélenchon est un bon tribun et son résultat de la campagne présidentielle a amené à le surestimer. Mais il est devenu, de fait, inexistant dès l’entre-deux-tours, puisqu’il n’a jamais appelé ouvertement à refuser les deux candidats de second tour, ce qui aurait été sa seule chance de se glisser dans le costume de l’opposant privilégié. Mélenchon est empêtré dans sa grille de lecture néo-marxiste. Il ne comprend pas le monde qui émerge, celui de la Troisième Révolution industrielle. Il faudrait qu’il fasse un peu plus qu’être un utilisateur astrucieux des réseaux sociaux le temps d’une campagne. Il faudrait se demander ce que peut être l’industrie française du nouveau siècle, comprendre que pour peser dans le monde de demain, ce sont moins « les bras » que « les cerveaux » qui vont compter. On doit passer de la formation de la « main d’oeuvre » à celle du « cerveau d’oeuvre ». La droite non plus ne peut pas le comprendre car elle est obnubilée par l’Europe, pour ou contre. 

Les différentes polémiques qui ont pu agiter les débats politiques de ces derniers mois ont plutôt eu tendance à se focaliser sur les "mots" qui décrivent le réel, et non pas sur les moyens d'agir sur cette réalité. En quoi cette focalisation perpétuelle sur la forme (dont la polémique au Burkina Faso ou le tutoiement de Bernard Kouchner sont des exemples) plutôt que sur les moyens d'agir, peut-il participer à cette réaction de lassitude des Français ? 

Eric Deschavanne : Il y a deux raisons qui expliquent l’actuelle résistance d’Emmanuel Macron dans l’opinion. Le première, évoquée ci-dessus, est l’éclatement et le manque de crédibilité de l’opposition. La seconde tient au fait que l’opinion publique n’est pas aussi sensible aux aléas de la conjoncture et du débat politiques que ne le sont les médias et le petit nombre de ceux qui s’intéressent de près à la vie politique. Qu’ils aient ou non voté pour lui, la plupart des Français considèrent que maintenant qu’il est à la barre, il faut laisser Emmanuel Macron gouverner. Il y a à cet égard un bon sens populaire qui correspond à la logique de la démocratie représentative : la reddition des comptes intervient à la fin du mandat, non durant ses premiers mois. Lassitude n’est pas le mot qui convient : il y a une indifférence profonde de la population à l’égard des « mots » et des thèmes qui nourrissent les polémiques quotidiennes que les médias mettent en scène. Eventuellement, on y assiste en spectateur, voire on y participe, mais sans prendre cette agitation de surface au sérieux. Dans le cadre de la démocratie médiatique, qui convoque pour cela chaque semaine les instituts de sondage, la reddition des comptes est exigée à tout moment. C’est cette logique médiatique qui est irréelle, mais l’opinion n’en est pas tout à fait dupe.  

Edouard Husson : Il y a plusieurs plans à distinguer. Il y a une tendance irrépréssible des médias à vouloir faire bref et sensationnel. C’est rarement propre à susciter un débat qui porte sur les vraies questions et les traite de manière approfondie. D’où l’importance en politique donnée aux petites phrases, aux querelles de personnes et, aussi, aux affaires. Cependant l’évolution des moyens et supports de la communication n’est pas linéaire. La radio a trouvé une nouvelle vie après l’émergence de la télévision et elle a réussi à préserver, en partie, un approfondissement des questions. Internet a été une autre manière de prendre en étau le média du XXè siècle finissant.  Ce que la Toile garantit - jusqu’à maintenant - c’est une vraie liberté de l’information. Internet, c’est aussi la multiplication, quasiment à ,l’infini, de l’information. Acteurs politiques et journalistes sont souvent dépassés par le nouvel âge de l’information. L’information classifiée qu’ils ont est-elle si originale que cela? Quand il faut affronter une masse d’infos, comment les traiter? Le coup des « fake news » est une belle manipulation: on cherche à trouver des raisons et le moyen de contrôler les flux d’informations. Le drame du spectacle qu’offre la classe politique française - et plus généralement le système dirigeant français - c’est que les acteurs continuent à mimer les comportements de la fin du XXè siècle, les petites polémiques stériles, les querelles de personnes, les scandales politiques, au lieu de parler aux Français du monde en mutation qui les entroure. Macron est le seul, sans doute, à parler du fond. Son approche est limitée, j’en conviens, mais son atout par rapport au reste de la classe politique c’est qu’il parle des mutations en cours et tâche d’expliquer aux Français ce qui les attend. 

Plus largement, ne peut-on pas y voir une forme de symptôme global de l'occident ? En quoi les espoirs suscités par Barack Obama, ou ceux suscités par Emmanuel Macron, ou à l'inverse les peurs provoquées par Donald Trump, n'aboutissent en réalité qu'à des transformations "à la marge" dans le regard de l'électorat ?

Eric Deschavanne : Il existe une contradiction structurelle des démocraties, que l’on trouve par conséquent partout en occident : les démocraties donnent aux peuples la possibilité d’exprimer leurs revendications et leur impatience à voir leur situation s’améliorer ; dans le même temps, et pour les mêmes raisons, tous les intérêts peuvent se faire entendre dans l’espace public, notamment lorsqu’ils sont perturbés par une action entreprise par l’Etat. Autrement dit, aucun régime politique n’est conduit autant que la démocratie à valoriser l’idéal de la réforme ; aucun n’est en réalité autant que la démocratie contraint au conservatisme. Les régimes autoritaires ont plus de liberté pour agir tout en ayant le loisir d’ignorer la volonté de changement des peuples.

Face aux tendances lourdes de l’Histoire, le pouvoir politique, quel qu’il soit, n’a de toute façon qu’une marge de manœuvre extrêmement faible : il peut accompagner un processus, l’accélérer ou y résister, mais il y a peu d’exemple d’inversion du cours de l’histoire. Tous les grands penseurs de l’Histoire -  Hegel, Marx et Tocqueville notamment – ont dénoncé l’illusion politique, l’illusion volontariste que cultivent par essence les démocraties. L’abstentionnisme, les réactions de rejets, la lassitude et le dépit manifestés à l’égard des politiques sont à la mesure de cette illusion volontariste : la désillusion fait nécessairement suite à l’illusion ; à la longue, elle devient indifférence. Telle est la scansion naturelle des démocraties : chaque grande élection nationale fait renaître l’espérance de changement et l’illusion que cette fois-ci, c’est la bonne, avant que le gouvernement investi ne s’englue dans les contraintes du réel et que, dans l’opinion, l’espérance laisse place au dégoût. 

Le secret d’Emmanuel Macron, à cet égard, est peut-être de porter avec énergie et optimisme une promesse de changement assez ténue. Les gens ont compris qu’il n’y avait pas grand-chose à attendre mais que ce président avait un cap, une volonté et qu’il croyait à sa méthode. Ils attendent donc avec peu d’illusions, peu d’espoir et pas mal d’inquiétudes. La force de Macron, c’est que son potentiel déceptif est assez faible. 

Edouard Husson : Ce sont des questions complexes. Le poujadisme est une tentation constante. C’est faire injure aux hommes politiques que de les présenter comme globalement compromis ou servant des intérêts autres que celui du pays. Nos pays occidentaux ont une classe politique qui n’est pas plus médiocre que le reste des milieux dirigeants. Ils peuvent s’appuyer sur une haute fonction publique de qualité. Le problème de l’époque où nous sommes, c’est le fait que les schémas anciens ne marchent plus. Le système de l’étalon dollar vacille; et l’euro avec lui. L’Union Européenne a été une idée neuve mais elle ne l’est plus et l’auto-satisfaction de Bruxelles dès qu’il s’agit de mettre en valeur la capacité à « travailler en réseau » est pathétique tant elle a peu intégré de la révolution digitale. Le retour de la Russie au premier plan de la diplomatie; le projet OBOR (One Belt. One Road) de la Chine, le développement de l’intelligence artificielle, la gouvernance des villes dites intelligentes, la procréation artificielle etc.... voilà des sujets majeurs, dont nos classes politiques ne -débattent que lorsqu’il y a une urgence; et par conséquent elles le font mal. Encore une fois, Macron est le seul, pour l’instant à tenter de dire quelque chose sur ces questions et, plus généralement, sur le changement d’époque. Ce n’est qu’un début, il faut que la politique reprenne ses droits; il est nécessaire que sur tous les grands sujets il y ait un débat articulé et nourri entre des options qui s’affrontent. La politique doit réaffirmer son autorité en mettant fin à la domination des approches technocratiques. Macron, dès qu’il ne fait pas attention, laisse libre cours au haut fonctionnaire qui ne sommeille jamais complètement en lui. Il lui faut des opposants qui l’amènent sur un terrain politique. 

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