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Emirats arabes unis : fers de lance de la "Contre-révolution arabe"
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Voisin influent

Alors que le Qatar finance et appuie les Frères musulmans dans le cadre des révolutions arabes, au nom d’une stratégie d’expansion idéologico-géopolitique, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite les accusent de fomenter des complots contre les nations et les régimes monarchiques en particulier.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Les Émirats arabes unis, fédération de micro-Etats dominés par les Britanniques jusque dans les années 1970, située à l’Ouest de Oman et à l’Est de l’Arabie saoudite, sont réputés pour leur relative tolérance, puisqu’on y trouve des églises chrétiennes - chose impossible dans l’Arabie saoudite voisine - et que l’on y ressent pas la moindre trace d’anti-occidentalisme, contrairement à nombre de pays arabo-musulmans. Mais la relative ouverture des Emirats, pays à la pointe de la modernité architecturale et du capitalisme financier, qui laisse souvent penser (à tort) qu’il s’agirait d’un pays « libéral », ne signifie pas que les Frères musulmans et leur projet de « démocratie islamique » y soient les bienvenus…. Bien au contraire.

C’est ainsi que, fin 2012,  plus de 70 militants du mouvement Al-Islah - branche des Frères dans le Golfe - y ont été arrêtés et condamnés. Créé dans les années 1970, Al-Islah était jadis toléré dans les émirats, mais il y a été dissout en 2011 au début du « printemps arabe », lorsque l’appel des Frères à utiliser la démocratie pour démanteler les monarchies est devenu dangereusement subversif. Justifiant ainsi la mise hors la loi des Frères, le chef de la police émiratie, Dhahi Khalfan, a dit tout haut ce que les monarques de la péninsule (exceptée la Qatar) pensent tout bas : "Le Golfe est une ligne rouge et cela vaut pour l’Iran comme pour les Frères musulmans..." "S’ils tentent de saper la sécurité du Golfe, comme ils le font en Jordanie ou ailleurs, ils baigneront dans le sang"… Message on ne peut plus clair !

Selon Dhahi Khalfan, les Frères ourdiraient un « complot international » en vue de démanteler les régimes de la péninsule. Une idée partagée par l’Arabie saoudite, le Koweït et tous les membres du Conseil de Coopération du Golfe, excepté le Qatar, qui ont une même aversion pour la démocratie et les élections libres prônées par les Frères qui représentent la tendance « démocratico-révolutionnaire » de l’islamisme, à l’opposé de la tendance « conservatrice et contre-révolutionnaire » des pétromonarchies. Ceci explique pourquoi dans ses déclarations enflammées reproduites sur Twitter, le chef de la police des EAU a accusé le président égyptien Morsi - issu des Frères musulmans – de participer au « complot » visant à remplacer les dynasties du Golfe par un « néo-califat » dont les Frères musulmans égyptiens seraient le noyau-central avec le Hamas palestinien... A juste titre, le cheikh Abdullah bin Zayed al-Nahyane a rappelé que : « les Frères musulmans ne croient pas en l’État-nation ni à la souveraineté de l’État».

Le démantèlement progressif des Etats-Nations et des monarchies arabes

Bien que partageant avec les wahhabites saoudiens un islam sunnite fondamentaliste, les Frères musulmans veulent en effet établir un Etat islamique universel en utilisant la démocratie, tandis que les monarchies du Golfe jugent l’islam incompatible avec la démocratie libérale à l’occidentale. Ces pétromonarchies « contre-révolutionnaires », certes anti-démocratiques, mais pro-occidentales, veulent avant tout préserver leur stabilité politique, elle-même garante de leurs intérêts géo-économiques. D’où le choix des Saoudiens d’aider les groupes salafistes carrément hostiles à toute forme de démocratie, plutôt que les Frères « révolutionnaires », coupables de vouloir des élections libres.

En fait, le contentieux entre l’Arabie saoudite et les Frères culmina à la fin des années 1990, lorsque le Hamas palestinien (issu des Frères), qui gagna en 2005 les élections à Gaza, se joignit à l’« axe chiite anti-impérialiste « Iran-Syrie-Hezbollah ». Hormis le Qatar - qui les finance et soutient les révolutions arabes partout en dehors de ses frontières mais qui les combat à l’intérieur, l’Arabie saoudite, les Emirats et le Koweït ont totalement rompu avec la confrérie égyptienne depuis 1990 (première guerre du golfe), lorsqu’elle dénonça la guerre contre le régime de Saddam Hussein. La fracture entre les frères et les monarchies du Golfe (hormis le Qatar) atteint son paroxysme avec le « printemps arabe », sachant que ceux qui avaient été jadis accueillis par l’Arabie saoudite lorsqu’ils étaient persécutés sous l’Egypte de Gamal Abdel Nasser ont depuis participé à toutes les contestations subversives. Pour l’Arabie saoudite et les Emirats, les succès électoraux des Frères musulmans en Egypte, en Tunisie ou ailleurs constituent donc un réel danger, comparable à la subversion chiite iranienne dans la région. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’Arabie saoudite a accueilli deux dictateurs arabes victimes de révolutions récupérées par les Frères : l’ex-Raïs égyptien Hosni Moubarak et l’ex-Président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali.

Depuis 2011, les Emirats et l’Arabie sont donc, chacun à sa manière et selon ses intérêts, les fers de lance de la Contre-révolution, réprimant la révolte populaire chiite, tout aussi subversive que celle des Frères, puisqu’elle menace la dynastie sunnite à Bahreïn depuis mars 2011. Le voyage du Président égyptien Morsi en Iran en août 2012 a confirmé ces craintes. Quant à un autre vainqueur des révolutions arabes et chef des Frères musulmans tunisiens, Rached Ghannouchi (leader du parti Ennahda au pouvoir à Tunis), il a déclaré, à l’occasion d’une visite aux Etats-Unis, en décembre 2011, que le « printemps arabe éradiquera les émirs du Golfe… »… ce à quoi le quotidien saoudien Al-Riyad a répondu ironiquement que cela ne concernait pas, bien sûr, l’émir du Qatar…

Le jeu dangereux du Qatar

Il est vrai que le Qatar, coincé entre l’ennemi iranien chiite à l’est, qu’il convient de ménager, et l’Arabie saoudite amie à l’ouest mais un peu envahissante, voit dans les Frères musulmans au pouvoir en Tunisie, à Gaza, en Egypte et au Maroc (et bientôt en Syrie peut être) un relais de politique extérieur, un moyen de compenser le minuscule territoire qatari (dépourvu d’armée). D’où aussi l’importance du « soft-power » que constitue Al-Jazeera, où prêche depuis 1970, le téléprédicateur égyptien (naturalisé qatari) Youssef Al-Qaradaoui, théologien culte des Frères, dont l’influence sur l’islamisation du « printemps arabe » a été énorme, grâce notamment à son émission « La charia et la vie ».

Le Qatar joue donc à fond la carte des Frères, contrairement aux Emirats et à l’Arabie saoudite, effrayés par leur capacité subversive. La visite de l’émir du Qatar al Thani au Caire, en août 2012, durant laquelle il a déposé 2 milliards de dollars à la Banque centrale égyptienne, tout comme sa visite à Gaza, où il a rencontré le gouvernement Hamas, à qui il a également octroyé un prêt important, ont confirmé cette alliance entre le Qatar et les Frères, malgré l’avis général du Conseil Coopération du Golfe. Mais si cette stratégie révolutionnaire-subversive a jusque là plutôt réussi au Qatar et a au contraire mis les Emirats, le Koweït, Oman, Bahreïn et la dynastie des Saoud dans l’embarras, on ne peut exclure qu’elle se retourne un jour contre le régime de Doha, comme cela est en train de se produire dans la monarchie jordanienne…

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