Embrouillamini municipal à Marseille : la part de Rubirola, la part de la gauche<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Embrouillamini municipal à Marseille : la part de Rubirola, la part de la gauche
©NICOLAS TUCAT / AFP

Après Gaudin

La démission de la maire de Marseille va bousculer l'agenda politique de la ville et surtout du Printemps Marseillais.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

Voir la bio »
Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico.fr : Michèle Rubirola a démissionné aujourd’hui de son poste de maire de Marseille. Si sa démission est surtout due à des raisons de santé, on sait aussi qu’elle connaissait des difficultés politiques, notamment sur la question du budget. Assiste-t-on d’une certaine façon aux conséquences de son élection mouvementée ?

Jean PETAUX : Il est difficile de considérer la démission de la maire de Marseille comme une surprise. Le moins que l’on puisse dire c’est que dès son élection, au soir du second tour de ces municipales plus pathétiques que politiques à l’échelle du pays, Michèle Rubirola faisait savoir aux Marseillais qu’elle ne « tiendrait » pas longtemps dans la Mairie donnant sur le Vieux Port et qui fut le Palais municipal de deux de ses prédécesseurs « historiques » : Gaston Defferre et Jean-Claude Gaudin. Sa démission évidemment motivée par des questions de santé, est marquée par une forme de paradoxe car celle qui a donc été, jusqu’au 15 décembre 2020, la  première femme maire de Marseille est loin d’être une novice en politique. Sa trajectoire montre une expérience déjà ancienne et un vrai savoir-faire. Son départ tendrait à prouver qu’on peut aussi en avoir « ras-le-bol » du jeu politique… marseillais de surcroît.

Parallèlement à son engagement professionnel et associatif de « médecin des couches populaires » (ou des « quartiers Nord », comme on veut) où elle a fait preuve d’un militantisme à toute épreuve, présente sur le terrain social avec la volonté d’agir plus que de parler, se distinguant ainsi nettement d’une bonne partie du personnel politique marseillais préférant la « tchatche » aux actes, Madame Rubirola est aussi une « politique » endurcie puisque dès 2002 on la retrouve chez les Verts pour sa première candidature (législatives de 2007) qui date de 13 ans désormais. Aux municipales de 2008 elle devient même adjointe à la maire socialiste du 2ème secteur, Lisette Narducci, qui la rejoindra d’ailleurs avec sa liste lors du « troisième tour » de 2020, autrement dit pour l’élection au fauteuil de maire par une « assemblée municipale » fragmentée et propice à toutes les alliances. Comme l’avait déjà imaginé un certain Gaston Defferre au mieux de sa forme dans la pratique du « gerrymandering » (« charcutage électoral » en bon français) lors de la mise en place du « statut PLM » (Paris-Lyon-Marseille) en 1983. Dans le but, inavoué, pour le ministre de l’Intérieur qu’il était alors, de conserver « sa » ville que tous les observateurs considéraient comme perdue à ce moment-là. 

Michèle Rubirola a aussi  été élue au conseil départemental des Bouches-du-Rhône en 2015, sur le premier canton de Marseille. Son binôme (innovation de ce scrutin) n’est autre alors que le socialiste Benoit Payan qui va se retrouver en juillet 2020 son premier adjoint à la mairie de Marseille. Tout porte à croire d’ailleurs qu’il se voit comme son potentiel remplaçant. Depuis juillet il était son « coadjuteur » ; janvier pourrait le voir installé dans le statut de successeur. A moins que… Pour revenir à la trajectoire politique de Michèle Rubirola, ce n’est pas rien de se faire élire en 2015 au conseil départemental des Bouches-du-Rhône dont le président sortant est l’insubmersible Jean-Noël Guérini, pour la première fois élu dans cette enceinte il y a 38 ans ; président pendant 16 ans ; réélu, quant à lui, sur le deuxième canton en 2015 et ayant dû céder son fauteuil de président à la LR Martine Vassal faisant passer ainsi à droite un département qui n’avait jamais été dirigé par quelqu’un d’autre qu’un homme de gauche.

Malgré un tel parcours, de tels états de services, ayant déjà côtoyé quelques beaux exemplaires issus de la pépinière politique marseillaise, soit comme alliés soit comme adversaires, Michèle Rubirola a sans doute éprouvé une forme de lassitude une fois parvenue sur la plus haute marche du podium qui domine le Vieux Port. Car, en politique, surtout locale, gagner est une chose, gouverner en est une autre. Elle a hésité à démissionner quelques semaines après son élection puis a juré ses « grands dieux » qu’elle ne partirait pas après avoir reconnu publiquement un « passage à vide ». Elle a promis qu’elle s’accrocherait.  Elle redescend de la plus haute marche aujourd’hui sans doute écœurée, certainement fatiguée, forcément saturée.

Virginie Martin : La vie politique est faite de difficultés. On ne démissionne pas pour des questions de dissensions au niveau budgétaire ou autre. La volonté de la majorité était d’ancrer le budget marseillais sur deux axes forts. L’école et le logement. Ces priorités sont classiques à gauche et nécessaires à Marseille : taux de chômage élevé et insalubrité de certains quartiers, rappelons-nous du drame de la rue d’Aubagne. 

La question est comment M. Rubirola va réussir sa démission ! Là est la seule question. 

Car au-delà de sa santé, elle affirmait hier soir, combien elle n’est pas issue du monde politique et que numéro 2 est peut être mieux que numéro 1… !

Les électeurs et électrices du Printemps Marseillais qui avaient vu en M. Rubirola un triple symbole  - femme, écologiste, capable de faire l’union des gauches – sont en partie déçus bien sûr. Le caractère exceptionnel de cette élection n’est plus. 

Par ailleurs, cette démission de M. Rubirola peut rapidement poser la question du processus démocratique. Des voix s’élèvent ici ou là pour dénoncer cette décision et la mise en orbite de Benoit Payan. 

La droite essaye déjà de tirer profit de la situation et Martine Vassal a immédiatement communiqué sur ce sujet : « j’ai mal pour Marseille » a t’elle affirmé. 

Derrière, en bruit de fond, certains voient aussi, dans cet épisode, un refrain local trop connu de petits arrangements entre amis. 

Pourtant, quoi de plus transparent qu’une démission pour raison de santé. Quand F. Mitterrand avait caché une santé défaillante, il avait été critiqué de façon virulente. Quoi de plus transparent aussi que d’assumer que le monde politique est ô combien violent. Il est peut-être temps de le dire. 

Donc le seul enjeu pour elle, après avoir conquis la ville, c’est de réussir cette démission ou plutôt ce changement de poste. 


Atlantico.fr : Les difficultés de Michèle Rubirola sont-elles liées à un contexte marseillais spécifique ou montrent-elles les difficultés pour la gauche de trouver une alliance avec les verts ?

Jean PETAUX : Michèle Rubirola, contrairement à ce que l’on pourrait croire n’est donc pas une de ces élues issues de la « société civile », peu aguerrie au combat politique et découvrant, avec effroi, une fois élue, les « us et coutumes » d’une classe politique locale aux méthodes expéditives et aux réflexes « sados et machos ». Marseille est, de tradition, un bouillon de culture politique, plus foisonnant et réactif qu’ailleurs. Réussir à ne pas se faire dévorer par le Moloch politique local, comme Michèle Rubirola l’a fait, depuis près de 15 ans, est la marque d’un certain sens tactique et acrobatique. Pourtant les Verts eux-mêmes ne l’ont pas ménagée. Ils l’ont fait avec d’autant plus de hargne et de violence qu’ils prétendent faire de la politique « autrement ». Pure galéjade comme on dirait à Marseille. Dans la réalité des faits ils ne réussissent rien mieux que les procès en « pureté idéologique », l’un des traits génétiques de leur sectarisme et de leur gauchisme ontologiques. Jean Birnbaum a écrit récemment sur ce point un texte magnifique sur les résidus de cette « maladie infantile » dans certaines formations « de Gauche ». Désavouée par les « Verts parisiens » pour la large alliance qu’elle souhaitait construire et qui a pris le nom de « Printemps marseillais », Michèle Rubirola a imaginé une « gauche plurielle reconstituée ». Elle a tenu bon. Les procureurs d’hier ont accouru vers les vainqueurs, qu’ils vouaient il y a peu encore, aux gémonies. Mais l’élection ne guérit pas toutes les écrouelles. Et la doctoresse Rubirola n’est pas parvenue à imposer son autorité à ses alliés. En politique ils sont souvent pire que les adversaires. 

Placée à la tête d’une majorité hétéroclite, parcourue de tensions avant même que le sort des urnes ne soit connu au soir du second tour du 28 juin, « forte » de près d’une dizaine de formations partisanes, certaines autant groupusculaires que crépusculaires, Michèle Rubirola, n’étant pas parvenu à recueillir une majorité absolue au sein de l’assemblée municipale avec sa seule liste est obligée, pour gagner, de passer des alliances dont celle avec l’ancienne sénatrice socialiste Samia Ghali qui devient ainsi sa deuxième adjointe à la mairie de Marseille. On peut d’ailleurs imaginer que la lutte va être sévère entre Payan et Ghali pour la succession de Rubirola. Samia Ghali est un pur produit de la vie politique marseillaise. Militante depuis 1984 dans les rangs du PS, elle a tout appris et rien oublié. Quand on passe une alliance avec un calibre comme Samia Ghali, il est préférable, pour reprendre une réplique chère à Audiard : « D’avoir la puissance de feu d’un croiseur ».  A l’évidence, Michèle Rubirola, n’a jamais été vraiment une adepte de l’artillerie de marine. 

Il n’est pas dit que les difficultés qu’elle a éprouvées comme maire de Marseille, en tant que « Verte » à la tête d’une coalition de Gauche, augurent d’une « contagion » dans d’autres grandes villes. Elle n’a pas été la seule à concevoir un tel schéma politique local. A Bordeaux, Pierre Hurmic, lui-même affichant au compteur une « longévité » politique de 27 ans (premier mandat au conseil régional d’Aquitaine en 1992) dont 25 ans dans l’opposition aux trois maires de Bordeaux qui se sont succédés entre 1995 et 2020, a su tisser les fils étroits d’une alliance politique avec d’autres formations que la sienne, EELV. Lui aussi, comme Michèle Rubirola, n’a d’ailleurs pas été ménagé par le « sérail parisien Vert » hostile à sa candidature aux législatives de 2017 sur la 2ème circonscription de la Gironde. Et ce n’était pas la première fois. Un triste hasard veut que la veille du jour où Michèle Rubirola quitte son fauteuil de Maire pour raison de santé, Emmanuelle Ajon, vice-présidente socialiste du Conseil départemental de la Gironde et adjointe au maire de Bordeaux en charge du Logement, avec qui l’écologiste Hurmic a réellement négocié l’alliance avec le PS, décède d’une tumeur au cerveau foudroyante qui l’a emportée en quelques semaines à l’âge de 49 ans. Il n’y aura sans doute pas de conséquences politiques à cette tragique disparition, car l’attelage bordelais « PS – Verts » s’est transformé en un accord de codirection de Bordeaux-Métropole passé avec les maires des communes socialistes à la tête des communes de la périphérie bordelaise. Ce qui n’est pas du tout le cas à Marseille-Métropole où la ville-centre est isolée et minoritaire. 

Pour autant à l’échelle de la métropole bordelaise on a déjà vu une première lézarde apparaître entre « le rose et le vert » sur la tapisserie majoritaire. En jeu : le dossier de l’industrie aéronautique dans la métropole la plus aérospatiale de France (plus que sa voisine toulousaine) puisqu’on y trouve aussi bien Dassault Aviation, Thales, ArianeGroup, SOGERMA, Sabena Technics, Safran et, un peu plus, au sud, le CEA . Les Verts, soucieux de « faire entendre leur différence » ont « calé » sur un dossier particulier. Signe qu’ils ne veulent rien renier de leurs convictions au moment d’exercer le pouvoir. Signe aussi que le PS ne saurait demeurer aussi tétanisé par les Verts qu’un lapin dans les phares d’une voiture (électrique sans doute…) sous peine d’y perdre les quelques soutiens restant encore parmi les dizaines de milliers d’ouvriers de l’aéronautique qui goûtent assez peu les billevesées sucrées de certains Verts pacifistes.

Virginie Martin : L’alliance s’est faite sur des dossiers sur lesquels les gauches peuvent s’entendre. Maintenant, restent les ambitions personnelles et partisanes. Si Benoit Payan (PS) devient maire – ce que souhaite M. Rubirola - , EELV peut réclamer des compensations, puisque ce serait pour le parti une grosse perte réelle et symbolique.  

Une personnalité comme S. Ghali peut aussi voir cela comme un espace dégagé lui permettant de se faire entendre de nouveau. Elle a bien sûr une carte à jouer, même si son historique PS ne sert pas sa cause. 

Il est tout de même à parier que M. Rubirola veuille tenir encore les rennes de sa démission et continue de jouer le trio Payan / Rubirola / Ghali. 

Mais des personnalités comme Olivia Fortin, peuvent le voir différemment bien sûr !

On peut penser que M. Rubirola veuille que cette union des gauches ne s’effondre pas malgré sa démission. Je le répète ce glissement de poste, ou cette permutation entre Payan et elle doit être réussi sans trop de casse. C’est son défi.  


Atlantico.fr : Cette démission peut-elle avoir des conséquences politiques à plus long terme ? 

Jean PETAUX :  La démission de Madame Rubirola risque assez vite d’être rangée au rang des anecdotes de la vie politique marseillaise (qui n’en a jamais manqué il faut bien l’avouer, pour le bonheur des observateurs locaux et nationaux) avant peut-être même de constituer un épisode supplémentaire de « Plus belle la vie », la série culte créée en 2004. Jean-Claude Gaudin dirigeait Marseille déjà depuis… 9 ans ! 

Plus signifiante en termes politiques, la question de la succession de Michèle Rubirola va vite se poser. Selon que l’on assistera à une bataille rangée ou à une « combinaison » dûment scellée entre « associés-rivaux » on trouvera des indices sur l’état des forces de gauche au sein de la majorité municipale. Plus instructive à plus long terme la « nationalisation » de l’enjeu marseillais, avec « à la libanaise », l’intervention (ou pas) de « puissances étrangères » (comprendre ici les états-majors partisans parisiens et nationaux) dans le « jeu politique local » entre Canebière et Vieux Port, dira en quoi le « cas Rubirola » est isolé (ou pas). 

En règle général, l’histoire politique française contemporaine le montre assez précisément, ce qui se passe à Marseille ne se passe pas ailleurs. Et les effets de contextes locaux ne remontent guère jusqu’à Aix. Mais puisque le temps est au dérèglement climatique, il se pourrait que la température politique nationale, déjà fraiche à Gauche, ne baisse encore de quelques degrés, du fait de la transformation du « Printemps marseillais » en « Hiver politico-relationnel ». 

Bulletin météo politique possible, prévision pour les semaines à venir : « Dégradation marseillaise fortement dépressionnaire : avis de forte houle dans les relations entre la France Insoumise, absente du débat politique municipal marseillais lors de la séquence 2020 (malgré la présence sur place d’un certain Jean-Luc Mélenchon comme député des Bouches-du-Rhône) ; les militants communistes encore nombreux à Marseille ; les Verts secoués par la démission de Michèle Rubirola et les différentes nuances socialistes, du rose bonbon au vieux rose en passant par le rose fushia et le rose fané. Risque d’aggravation provoquée par des individus issus de la société civile, siégeant à ce titre dans l’équipe municipale marseillaise, ne comprenant rien à rien et ayant sans doute trop fait confiance à une sommité médicale locale. Possible extension de la dépression marseillaise à l’ensemble du territoire de la Gauche au plan national ».

Virginie Martin : C’est tout l’enjeu en effet. Mais chaque camp de la gauche arc en ciel marseillaise a intérêt que ce glissement de poste, cette demi-démission se passe le mieux possible. Notamment pour rassurer quant au processus démocratique d’une nouvelle élection au sein du Conseil Municipal, pour couper court aux bruits mettant la solidité de cette union des gauches en cause… 

Dans ce contexte, il faut parvenir à rassembler, à rassurer et surtout à faire assez vite afin de clore l’épisode de cette éventuelle permutation entre Payan et Rubirola… cet épisode ne doit pas devenir un tsunami. Là est l’enjeu. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !