Revendiquer sa volonté de voir une femme noire en Une de “Elle” est contre productif pour les noirs<!-- --> | Atlantico.fr
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Noemie Lenoir est cosignataire de la tribune publiée dans Le Monde.
Noemie Lenoir est cosignataire de la tribune publiée dans Le Monde.
©Reuters

Noir c'est noir

Plusieurs personnalités (Audrey Pulvar, Rokhaya Diallo ou Noemie Lenoir) ont cosigné une tribune publiée dans Le Monde de mardi pour critiquer la façon dont les femmes noires ont été décrites dans un article publié par Elle. Le magazine féminin serait-il raciste ?

Patrick Lozès

Patrick Lozès

Patrick Lozès a fondé le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) et en était le président jusqu'en mai 2011. Diplômé de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris, il est l'auteur de Les noirs sont-ils des Français à part entière ? (Larousse, 2009).

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Atlantico : La publication dans le magazine Elle d’un article écrit par Nathalie Dolivo intitulé « Tendance : Black Fashion Power, un style loin du street-wear » présentant les looks "mode" des femmes noires, a créé la polémique (il était notamment écrit que"la black-geoisie" avait "intégré les codes blancs sans avoir pour autant oublié [ses] racines" ou que "le chic est devenu une option plausible pour une communauté jusque là arrimée à ses codes streetwear" ). Plusieurs personnalités comme Audrey Pulvar, Rokhaya Diallo ou Noemie Lenoir ont réagi dans les colonnes du journal Le Monde, dans une tribune intitulée "À quand une femme noire en couverture du magazine Elle ?". Quel regard portez-vous sur l'article publié par le magazine Elle (aujourd'hui supprimé de leur site) et sur les réactions qui ont suivi ?

Patrick Lozès : Cette tribune soulève de vraies questions. Il faut parler de ce qui l'a motivée. L’article de Nathalie Dolivo est choquant. Il a suscité beaucoup d’émotions. Beaucoup de gens se sont sentis légitimement choqués.

C’est un article maladroit, plein de clichés et de stéréotypes. Le magazine Elle aurait dû prêter plus d’attention avant de le publier. Mais, le débat est allé trop loin : on ne peut pas qualifier ce texte de raciste. 

On ne peut donc pas mettre sur le même plan des actes de racisme et des maladresses. Ou sinon, on manque de responsabilité et j’irais même jusqu’à dire que l'on est contre-productif.

Il faut quand même reconnaître que certains éléments présents dans l’article de Elle lève tout doute sur son caractère non raciste : l’auteur parle de « classe ineffable », fait référence de manière positive au combat pour les droits civiques ou au mouvement Cotton Club. Le mouvement anti-raciste doit s’interroger sur le succès de son action.

Parce que, pour vous, le bilan du mouvement anti-raciste fait donc figure d'échec ?

C’est difficile à dire. Peut-être que le racisme aurait progressé en France si ce mouvement n’avait pas été là. Mais il me semble que la société française d’aujourd’hui en est revenue de la manière dont on lutte contre le racisme, et peut-être devons-nous collectivement nous interroger.

En ce qui me concerne, je n’ai jamais été membre d’une association anti-raciste, mais toujours de mouvements qui luttaient contre les discriminations. C’est sensiblement différent.

Je ne dis donc pas que le mouvement anti-raciste est un échec, mais à certains moments, nous avons été contre productifs.

La tribune publiée dans Le Monde évoque « ce « racisme structurel » de notre société dont parle si bien Valérie Toranian », la directrice de la rédaction du magazine Elle, qui avait employé cette expression pour faire amende honorable suite à la controverse causée par la publication de cet article. Pensez-vous qu’il existe aujourd’hui en France un « racisme structurel » ?

Le racisme existe dans tous les pays. Est-il supérieur en France par rapport aux autres pays ? Je ne le crois pas. On ne peut pas taxer de raciste une société qui désigne Yannick Noah, Zinedine Zidane et Omar Sy comme ses trois personnalités préférées de l’année !  Du racisme, bien sûr qu’il y en a. L’intolérance existe partout. Mais notre société progresse. Regardez comment depuis une dizaine d’années elle accueille la question de la diversité.

Justement, en matière de diversité, le discours anti-raciste présente régulièrement l’espèce humaine comme un ensemble homogène où il n’existe pas de « noirs » ou de « blancs », mais uniquement des êtres humains sans distinction de race. Ce discours n’entre-t-il pas en contradiction avec un titre tel que « A quand une femme noire en couverture de Elle », qui distingue précisément les femmes noires des femmes blanches ?

Je ne parlerais pas de contradiction, mais plutôt de paradoxe. C’est le paradoxe des groupes minoritaires qui, pour pouvoir parvenir à l’invisibilité, doivent passer par une étape d’hyper visibilité.

Reste qu'il ne faut pas pérenniser des appartenances qui n’en sont pas. Il n’existe pas plus en France de communauté noire que de communauté blanche.

Il n’existe pas de communauté noire en France ?

Non. Les populations noires sont caractérisées par leur extraordinaire hétérogénéité, que l’on peut décliner en autant de segments qu’il existe de classements : religion, situation géographique, catégorie socioprofessionnelle, etc. La convergence mélanique ne signifie aucunement qu’il existe une convergence d’intérêts, de points de vue ou de sympathie naturelle.

Dans ces conditions, pourquoi parler de « femme noire » ?

On peut aussi parler d’un homme blanc, grand ou petit !

On lit toutefois relativement peu dans les médias de tribunes d’hommes grands ou petits qui se plaignent de leur situation sociale…

C’est parce que l’histoire de la société française a amené des comportements spécifiques sur des groupes de population. Je pense qu’il faut faire attention : après l’étape de « conscientisation » légitime consistant à montrer à la société française qu’il existe des discriminations, le moment est venu de ne pas s’enfermer dans une catégorie. Vous savez, je ne suis pas noir du soir au matin ! Je ne suis pas noir tout le temps ! J’aimerais que les uns et les autres sortent de cela. Sinon, nous allons créer des générations de personnes qui pourraient croire que parce qu’elles sont noires, elles n’ont aucune chance de réussite dans la société française.

Il faut aussi comprendre la manière dont nos concitoyens entendent les messages. Lorsqu’on émet un message, il y a à la fois un émetteur et un récepteur. Si l’on se place uniquement du côté de l’émetteur, on se trompe. Il faut faire attention à la façon dont la société française peut recevoir ce genre de tribune publiée dans Le Monde. Soyons responsables.

Quel est le principal problème en France : les discriminations raciales ou sociales ?

En France, le critère de discrimination le plus important est effectivement le critère de classe. Il n’empêche qu’il existe des synergies entre les discriminations d’apparence (je ne pense pas qu’il existe de « races », si ce n’est la race humaine). Il n’y a pas de hiérarchie dans les discriminations. Ce sont toutes des offenses aux individus.

La France avait un vrai retard en matière de discrimination liée à la couleur de peau. Mais la société a évolué.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

NB : l’article publié dans Elle a été retiré de son site web par le magazine qui a publié à la place un texte faisant amende honorable.

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