Elisabeth Badinter : « De plus en plus de femmes osent évoquer leur mal de mère »<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Badinter publier "Messieurs, encore un effort..."
Elisabeth Badinter publier "Messieurs, encore un effort..."
©Hélène Bamberger / DR

Atlantico Litterati

Elisabeth Badinter publie « Messieurs, encore un effort… » aux éditions Flammarion-Plon.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

Voir la bio »

Depuis trente ans, Elisabeth Badinter martèle que le féminisme islamique n’existe pas, que le foulard est l’expression de la soumission des femmes et de leur infériorité et que, à ce titre elle le combat. Comme elle a combattu toutes les formes d’oppression de la femme, qu’elles soient religieuses, sociétales, familiales. » (Valérie Toranian ( extrait d’un article publié dans  « La Revue des deux mondes » en octobre 2022).Philosophe, écrivaine ( voir sa bibliographie dans nos « Repères » ci-dessous)  et  noble figure  du féminisme universaliste, Elisabeth Badinter-est tout sauf sectaire. Désavouée par les néo-féministes intersectionnelles de « Metoo » et autres fans de Sandrine Rousseau, Elisabeth Badinter - dans tous ses livres, entretiens et discours a toujours- au contraire de ces militantes- prôné la solidarité des genres, accordant aux hommes et aux femmes le même respect et une semblable bienveillance.L’homme blanc pour elle n’est pas un grand méchant loup. Avec « Messieurs, encore un effort »… son nouvel essai, la philosophe s’interroge  surla maternité, qui n’est pas assez « partagée » entre mères et pères, si bien que la France connait une dénatalité inquiétante, à l’œuvre dans tous les pays industrialisés. Elisabeth Badinter  exprime en douceur un problème grave qu’évoqua dans Le Figaro du 15 janvier dernier, Nicolas Pouvreau-Monti (co-fondateur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie). Celui-ci  évoquait « l’hiver  démographique de la France », « qui aura bientôt  plus besoin de cercueils que de berceaux ».  Le poids de l’enfant, tout ce qu’il implique comme  travaux et sacrifices pour les femmes devenant mères sont un fardeau tel que les hommes devraient tout naturellement partager ce poids si bien que leurs compagnes vivraient dix fois mieux cette lourde charge qu’est la maternité pas si « naturelle » que les clichés le disent. Elisabeth Badinter fait le lien entre la dénatalité à l’oeuvre  dans les pays industrialisés et la victoire, en ces mêmes lieux, de la femme sur la mère. “Ne vaudrait-il pas mieux parler d'une fabuleuse pression sociale pour que la femme ne puisse s'accomplir que dans la maternité ?” s’était interrogée Elisabeth Badinter  dans son premier ouvrage ( 1980) : « L'Amour en plus » ( Flammarion) :« La dénatalité est  provoquée par  l’incomplétude  du féminisme ; si les hommes nous aidaient d’avantage,nous ferions sans doute  plus d’enfants », note-t-elle à propos de la dénatalité. « Messieurs encore un effort… » (Flammarion-Plon). Ce nouvel -et retentissant- essai d’Elisabeth Badinter sonne juste et parle vrai.Et demême que Simone de Beauvoir révolutionna le destin des femmes par sa formule  : « On ne naît pas femme, on le devient », de même Elisabeth Badinter impose-t-elle dans l’inconscient collectif  des femmes ses doutes ontologiques quant à l’« instinct maternel ».Il lui semble- chiffres en main- que les femmes tiennent de plus en plus à leur réalisations professionnelles.  Leurs compagnons ou maris, sans les aider beaucoup, en tous cas pas assez pour que la maternité soit une fête, ou même un plaisir, disent admirer la force de leur instinct maternel.  Une dévotion féminine à l’enfant  qui arrange surtout les hommes.« À parcourir l'histoire des attitudes maternelles, naît la conviction que l'instinct maternel est un mythe. Nous n'avons rencontré aucune conduite universelle et nécessaire de la mère. Au contraire, nous avons constaté l'extrême variabilité de ses sentiments, selon sa culture, ses ambitions ou ses frustrations. Comment, dès lors, ne pas arriver à la conclusion, même si elle s'avère cruelle, que l'amour maternel n'est qu'un sentiment et comme tel, essentiellement contingent ? (…)L'amour maternel ne va pas de soi. Il est "en plus »  affirmait déjà Elisabeth Badinter en  1980 dans « L’amour en plus »/Flammarion) Elle finit  aujourd’hui d’affranchir les Françaises en brisant encore un peu plus les clichés du patriarcat : « l’on n’est pas tout à fait femme si l’on n’est pas mère, »  pensent et disent les hommes. « L’instinct maternel ? Pure construction sociale ! », rétorque Elisabeth Badinter : «  On n’est pas mère, on le devient - mais demoins en moins»,  ajoute l’écrivaine-philosophe dans « Messieurs, encore un effort »… : «Certes, nombre de femmes peuvent trouver leur épanouissement  personnel dans la maternité totale, mais bien d’autres souhaitent conserver une certaine forme  d’autonomie. A lire les statistiques, il semble qu’elles sont de plus en plus nombreuses dans les pays développés à faire,elles aussi, le calcul des plaisirs et des peines de la maternité ».Elisabeth Badinter ajoute : « Aujourd’hui (…) des mères osent parler à des journalistes, à des sociologues et à des psychologues. Certes, elles ne révèlent pas leur identité, mais elles s’autorisent à confier leur mal de mère à un étranger, voire à un forum en ligne comme celui de l’association « Maman Blues ». D’autres parlent devant une caméra à visage découvert, non sans un certain courage. La plupart affirment qu’elles aiment leurs enfants, mais détestent les devoirs maternels qui leur ôtent toute liberté. Si elles avaient su…( Le Monde/2023) «  Ces femmes sont certes minoritaires- en particulier en France- mais à elles seules, elles tournent la page de l’identification naturelle de la femme et de la mère.Ce faisant, elles ouvrent la porte à d’autres femmes en incarnant un nouveau choix de vie, impossible à revendiquer il y a peu de temps encore » (Page 64/Elisabeth Badinter/ « Messieurs encore un effort… » ( Flammarion-Plon). Le contraste- saisissant en effet- entre la légende qui définit la femme  comme mère avant tout, et le ressenti des femmes d’aujourd’hui valorisant par l’ambition et la réussite professionnelle  les qualités de la femme en elles plutôt que les vertus de la « maman » (babil qui revient  en boucle sur les écrans  :  « maman »,  le mot du petit enfant lorsqu’il nomme sa mère : « maman ! », gazouille-t-il alors, et c’est  charmant. Beaucoup moins charmant est l’usage qui est fait de ce babil par des adultes oubliant le vocable « mère »et parlant de « maman », sans doute  pour   ajouter du charme à la mère et mettre un peu de douceur dans un monde de brutes ?)

Parmi les meilleurs moments du nouvel essai d’Elisabeth Badinter, le rappel des inégalités hommes-femmes : « les progrès sont d’autant plus lents qu’ils concernent l’intimité des couples et la persistance des problématiques de genre. La principalesource des inégalités, qui engendre les autres, est le non- partage des tâches ménagères et parentales. Les femmes en font toujours plus que les hommes. » (…)Et toutes les études constatent que c’est l’arrivée des enfants qui pèse le plus lourds sur les femmes. En 2019, DominiqueMeurs et Pierre Pora, deux chercheurs en économie, n’hésitent pas à titrer leur étude : « Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes en France : une lente conversion freinée par les maternités ». Comment envisager la maternité si le fameux « instinct maternel » n'est plus- selon Elisabeth Badinter- qu’une construction sociale », si bien que plus les femmess’épanouissent dans le travail en une vie en tous points semblable à celle des hommes, moins elles peuvent s’investir dans ce sacerdoce qu’est la maternité telle qu’elle est vécue par la plupart des mères ? Mères qui se donnent à cent pour cent à leur enfant, dans un altruisme certes admirable mais qui exige et sous- entend le sacrifice total ou partiel d’une existence professionnelle au féminin, ou à tout le moins la continuité d’une carrière-malgré l’enfant et au prix d’un épuisement que les hommes ne connaissent pas en tant que pères ET hommes de carrière(s).»

En conclusion, un livre qui va faire penser, et parler. Un texte nécessaiere, donc. Une Française intelligente et belle qui, toujours et partout, force l’admiration. Un regard pertinenent et très « gonflé » sur la maternité et les mères :ces éternelles perdantes ( voir notre extrait)…

Une écrivaine extrêmementatteinte par la mort de son mari, le courageux et brillant Robert Badinter. Co-auteur avec elle d’une très bonne biographie de Condorcet.

Bravo pour cet essai et votre courage, chère Elisabeth BADINTER, avec tous nos vœux de grand succès.

Annick GEILLE

Repères / Elisabeth Badinter (sources Babelio)

Élisabeth Badinter est l’une des trois filles du publicitaire Marcel Bleustein-Blanchet. Agrégée de philosophie, figure du féminisme universaliste, elle a été maître de conférences à l'École polytechnique.Elle est la présidente du conseil de surveillance de Publicis depuis 1996.Elle est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de Non-violence. Elle a également été nommée membre du conseil scientifique de la Bibliothèque Nationale de France, en qualité de personnalité qualifiée, en 1998 et 200O .

Ellevient de perdre son époux Robert Badinter,avocat, universitaire, essayiste et homme politique, grâce auquel la peine de mort n’existe plus en France.

Bibliographie ( source Wikipedia

·L'Amour en plus : histoire de l'amour maternel (xviie – xxe siècle), Paris, Flammarion Traduit en 28 langues, cet essai s’est vendu en France à plus de 400 000 exemplaires1.

·(Émilie, Émilie: L'Ambition féminine au XVIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1983 )

·Les Remontrances de Malesherbes (1771-1775), Paris, Flammarion, 1985 (

·L'Un est l'autre: des relations entre hommes et femmes, Paris, Editions Odile Jacob, 1986 )

·XY, de l'identité masculine, Paris, Hachette, 1992 )

·Les Passions intellectuelles, Paris, Flammarion

1.Désirs de gloire (1735-1751), 1999

2.L'Exigence de dignité (1751-1762), 2002

3.Volonté de pouvoir (1762-1778), 2007

·Fausse Route, Paris, Hachette, 2003 

·Madame du Châtelet, Madame d'Épinay, Paris, Flammarion, 2006 

·Je meurs d'amour pour toi, Paris, Tallandier, 2008 

·L'Infant de Parme, Paris, Fayard, 2008 

·Le Conflit, la femme et la mère, Paris, Flammarion, 2010

·Le Pouvoir au féminin, Paris, Flammarion, 2016 

·Les Conflits d'une mère : Marie-Thérèse d'Autriche et ses enfants, Paris, Flammarion, 2020 

·Messieurs, encore un effort, Flammarion-Plon, 2024

Extrait pour les lecteurs d’Atlantico de « Messieurs encore un effort… » par Elisabeth Badinter.

Mères : les éternelles perdantes

« A quelquesexceptions près, la majorité des femmes qui ont eu des enfants avant les années1970 ne se posaient pas la question du désir d’enfant.Pour la plupart d’entre elles, être mère allait de soi. Avec la contraception et le droit à l’avortement, tout a changé mais on ne s’en est pas rendu compte tout de suite. Du slogan féministe : « Un enfant quand je veux si je veux »,on n’a retenu que la première partie de la revendication . Les femmes les plus diplômées, mais aussi toutes celles qui sont attachées à leur indépendance financière et à leur liberté, ont entamé un chemin au cours duquel elles ont abordé des questions peu connues de leurs mères et grand-mères. Il ne s’agissait plus seulement des difficultés économiques que peut représenter la venue d’un enfant, mais de faire le calcul des plaisirs et des peines qui accompagnent sa venue.

Si lestatut de la femme a évolué depuis le siècle dernier, celui de l’enfant aussi : c’est comme si le pouvoir avait changé de camp. Et l’on aboutit à ce paradoxe que la libération de la femme ne libère pas la mère du XXIème siècle. Bien au contraire.Aujourd’hui dès lors qu’une femme choisit d’avoir un enfant, elle éprouve un sentiment deresponsabilité inconnu par le passé. Elle se doit d’d’être la mère idéale d’un enfant heureux dont il faudra développer toutes les potentialités, physiques, psychiques et créatives. Et gare à l’échec !

Vous êtes à lui ( à cet enfant NDLR) corps et âme. Ce que certaines féministes américaines appellent « Mère Totale » ( « Total Motherhood »),concernant en prioritéles classes moyennes ou supérieures. Dans les années 1980 commence une révolution dans la maternité qui trouve son aboutissement aujourd’hui. Une fois encore, la femme doit s’incliner devant la mère. (Copyright Elisabeth Badinter/ « Messieurs, encore un effort… » (Flammarion Plon)

COPYRIGHT ELISABETH BADINTER : «  MESSIEURS, ENCORE UN EFFORT... » (FLAMMARION - PLON) 14 euros 90 / TOUTES LIBRAIRIES et « LA BOUTIQUE »

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