Élections en Finlande : un bon thermomètre de la montée des populismes et de l’euroscepticisme en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Finlandais étaient appelés à se rendre aux urnes ce dimanche 19 avril pour choisir leur nouveau gouvernement.
Les Finlandais étaient appelés à se rendre aux urnes ce dimanche 19 avril pour choisir leur nouveau gouvernement.
©Reuters

Douche froide

Le parti d'opposition du Centre, associé au mouvement euro-sceptique et populiste des Vrais Finlandais, a remporté dimanche 19 avril les élections législatives en Finlande, dont le prochain Premier ministre devrait être Juha Sipilä, un ex-homme d'affaires.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Les Finlandais étaient appelés à se rendre aux urnes ce dimanche 19 avril pour choisir leur nouveau gouvernement. Le parti d’opposition "Le Centre" associé au mouvement euro-sceptique et populiste des Vrais Finlandais vient de remporter les élections. Il obtiendrait 49 des 200 sièges. Derrière lui, la lutte est serrée : les Vrais Finlandais seraient deuxièmes avec 38 sièges, devant les conservateurs avec 37 sièges, et les sociaux-démocrates avec 34 sièges. Dans quelle mesure cette élection et son résultat illustrent-ils les questions auxquelles les Etats européens sont aujourd'hui confrontés ?

Michael Lambert : Le 19 avril, 4.5 millions de citoyens finlandais étaient appelés à voter pour les élections. Les résultats sont de 21.1% pour le parti du Centre et 17.6% pour le Parti Finlandais (anciennement les “Vrais Finlandais”). Un résultat qui est la conséquence logique de la mauvaise situation économique du pays, avec plus de 9% de chômage, et survient à la suite du traumatisme lié au rachat partiel de Nokia par Microsoft.

Ce dépouillement nous montre plusieurs éléments, dont le rejet du manque de libéralisme dans le pays et un souhait de décentralisation. Helsinki est actuellement entre plusieurs courants idéologiques, coincée entre une Suède historiquement socialiste qui peine à s’en sortir et une Estonie devenue leader dans le domaine informatique et où le chômage est en baisse constante. Les citoyens attendent la mise en place de réformes profondes pour endiguer le chômage, et sont pour la première fois en face de choix identitaires cruciaux pour leur avenir.

Il est question à la fois de se positionner vis-à-vis de la Russie et de son attitude coercitive, de montrer à Bruxelles que l’Union n’a pas pour vocation à stagner mais à innover et créer un espace protectionniste où écouler les produits “Made in Europe”, et surtout de préserver une identité nordique mais radicalement différente des Suédois et des Danois.Helsinki se retrouve donc en pleine crise identitaire, et tente à la fois de faire comprendre à Bruxelles qu’il est temps de renouer avec les grands projets, et surtout d’affirmer la singularité du pays par rapport aux autres Nordiques. Les Finlandais cherchent enfin à déterminer leur place dans le jeu européen et face à Moscou, et mettent en pratique leur pragmatisme là où d’autres pays, comme la Suède, se contentent de faire des déclarations.

La Finlande diffère radicalement des autres pays du Nord de l’Union européenne, de l’Allemagne ou de la France, il serait difficile d’en tirer un exemple dans la mesure ou cette dernière s’affirme par son pragmatisme. Il reste à noter que l’exemple finlandais témoigne de la crise identitaire qui traverse tous les pays de l’Union, peuvent en attester les référendums sur l’indépendance en l’Ecosse et en Catalogne, la montée du Front National en France, ou le mouvement Pegida en Allemagne, pour ne prendre que les plus connus.

Pourquoi la Finlande se laisse-t-elle gagner par l’euro-scepticisme ?

Bruxelles doit se confronter à la baisse de son soft power, et à son absence de smart power. Au moment de la chute de l’Union soviétique, la possibilité de voir l’Europe comme puissance militaire, économique et diplomatique mondiale, était palpable. Les Européens se sont toujours considérés en avance par rapport au reste de l’humanité. Ils attendaient donc de l’Union européenne qu’elle affirme leur position en tant que puissance mondiale, en concurrence avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Plus d’une vingtaine d’années après, les Finlandais constatent que l’Europe de la défense, qui devait proposer une alternative à l’intégration au sein de l’OTAN, n’existe toujours pas. La zone euro, projet fédérateur pour concurrencer les Etats-Unis, peine à décoller. Le principe de l’Union européenne était de permettre, avec les institutions européennes, de positivement influencer les pays du Sud de l’Europe pour leur faire adopter des standards comme ceux du Nord, afin de lutter contre la corruption et améliorer la vie des citoyens. C’est avec une certaine amertume qu’on retrouve aujourd'hui des pays comme le Portugal, l’Espagne, la France, l’Italie, la Grèce, la Roumanie ou encore la Bulgarie, qui plutôt que de prendre comme une opportunité les réformes qui viennent de Bruxelles, en viennent à les contester. Un exemple frappant est celui de la France, qui malgré sa mauvaise gestion remet en cause les recommandations de Berlin et tente de trouver une alternative aux réformes dont Paris à besoin.

On comprend mieux le scepticisme des Finlandais face à l’intérêt de Bruxelles si celle-ci n’influence pas la politique nationale des pays membres.

Le scepticisme d’Helsinki s’apparente davantage à une résignation et à une forme de pessimisme vis-à-vis de la capacité d’influence de l’Union européenne dans son fonctionnement actuel, plutôt qu’une remise en cause de l’idée d’Europe. Les Finlandais sont connus pour leur pragmatisme, et voient mal l’intérêt d’une Union qui peine à évoluer alors qu’elle à tout le potentiel pour s’imposer à l’international.

Peut-on parler d’une douche froide pour ce pays qui a pendant longtemps participé au jeu européen avec une certaine bonne volonté ?

Helsinki a adopté une approche optimiste vis-à-vis de l’Union européenne pendant plusieurs années. Contrairement aux deux autres pays nordiques membres de l’Europe que sont le Danemark et la Suède, la Finlande est une république, ouverte à l’idée d’utiliser le nucléaire comme source d’électricité, et s’est engagée dans la zone euro. Tous ces éléments poussent les citoyens à pencher vers la modernité plus que la tradition, contrairement aux Danois et Suédois, qui dans leurs propos se présentent comme ouverts sur le monde, mais dans la pratique font preuve d’un nationalisme et conservatisme inquiétant. En ce sens, l’engagement d’Helsinki en faveur de l’Union européenne constituait une rupture avec les autres nordiques, souvent plus euro-sceptiques. Il est indéniable que l’entreprise Nokia a également influencé la politique nationale.

Les Finlandais, au départ euro-optimistes, voyaient en l’Union européenne un moyen de renforcer leur situation économique, accroitre la stabilité du pays, avoir accès aux marchés des Etats membres, et surtout engager un dialogue de qualité avec Moscou. Helsinki se voyait déjà comme un acteur incontournable pour la stabilité en mer Baltique et la bonne intégration des pays baltes comme l’Estonie.

Depuis la crise économique de 2007-2008 et le rachat partiel de Nokia par Microsoft, les habitants se rendent compte que Bruxelles n’a pas été en mesure de leur apporter assez de stabilité. Les Finlandais se retrouvent avec une Europe qui n’a pas été en mesure de développer le marché interne afin d’y favoriser la vente des produits “Made in Europe”. Qui plus est, le ralentissement de l’élargissement de la zone euro est contraignant dans la mesure ou Nokia avait pour souhait de produire davantage dans des pays comme la Pologne et la Roumanie, qui n’en sont toujours pas membres. Enfin, depuis les élargissements de 2004 et 2007 aux pays de l’ex-URSS, le dialogue avec Moscou s’est considérablement détérioré, alors qu’Helsinki souhaitait une meilleure entente entre les protagonistes. La Finlande, qui n’est pas membre de l’OTAN, se retrouve ainsi avec une Russie de plus en plus agressive au niveau de ses frontières. L’Union européenne n’a donc pas permis d’améliorer les relations entre la Finlande et la Russie, ce qui pose problème pour les relations commerciales et inquiète la population.

A tous ces problèmes, s’ajoute la mauvaise image de Bruxelles et l’influence grandissante des lobbyistes. De plus en plus de Finlandais constatent l’incapacité des Européens à se mettre d’accord sur les grands projets pour l’avenir de l’Union et l’ingérence des lobbys, ce qui explique la perte de soft power de Bruxelles dans l’espace Nordique. C’est donc une douche froide pour un pays euro-optimiste qui aujourd'hui éprouve une certaine lassitude face au manque d’initiative et d’innovation de la part de Bruxelles. L’espoir de voir un jour l’Europe être un exemple de transparence et de modernité semble mis à mal par les pays du Sud, alors que les pays du Nord avaient bon espoir d’arriver à les influencer via les institutions européennes, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.  

Le cas finlandais fait-il partie de ces signaux qui devraient être pris en considération par Bruxelles ? Est-ce une illustration supplémentaire des faiblesses actuelles, si ce n'est structurelles, de l’union politique et économique ?

Le cas de la Finlande montre la perte de puissance de l’Union européenne en terme de soft power. Après la fin de la Guerre froide, Bruxelles incarnait un exemple de bonne gestion, de lutte contre la corruption et de prospérité économique. C’est ce qui a motivé des pays comme la Pologne et l’Estonie à devenir membres. A ce jour, on constate cependant que l’Union n’est toujours pas une puissance militaire mondiale, que certaines Etats sont réticents à intégrer la zone euro, et le retour du nationalisme dans des pays comme la Grande Bretagne et la France. Sur le papier, l’Europe à pourtant tout à apporter aux Etats membres, avec un potentiel considérable et un rôle de médiateur à jouer entre les Etats-Unis et la Chine, qui semble indispensable pour la sécurité mondiale.

Reste à objecter que dans la pratique, les institutions européennes n’incarnent plus la modernité d’autrefois, et s’apparentent plus à des lieux de reproduction social, avec des élites nationales qui s’y retrouvent et ne se mélangent pas. L’influence des lobbyistes, la mauvaise image de Bruxelles en tant que capitale de la Belgique - avec un chômage conséquent de plus de 19% et une insécurité croissante - ainsi que la mauvaise connaissance du terrain des fonctionnaires européens, alimentent les arguments des euro-sceptiques, mais s’avèrent également être une source de déception pour les europhiles, qui constatent la lenteur et la complexité du système.

Les citoyens Finlandais, au même titre que les Britanniques et les Français, envoient un signe à Bruxelles, lui demandant de se renouveler et d’enfin libérer le potentiel de l’Union, dont tous les Etats membres ont besoin. Le choix de l’euro-scepticisme et du repli national d’Helsinki ne signifient pas un rejet de l’idée d’Europe, mais de la mauvaise gestion et du manque d’ambition de Bruxelles, cette dernière refusant d’assumer son rôle en tant que puissance mondiale.

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