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Edouard Philippe annonce une bataille contre une "récession historique" : quelle efficacité attendre des armes choisies ?
©Philippe LOPEZ / POOL / AFP

Relance post-déconfinement

Le Premier ministre a dévoilé les nouvelles règles de la phase 2 du déconfinement, le 2 juin, qui doit permettre de "faire face à la crise économique". Edouard Philippe a précisé que "le pays va devoir se battre contre l’impact d’une récession historique".

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Jacques  Garello

Jacques Garello

Economiste libéral - Président de l'ALEPS - Professeur émérite à l'université Aix-Marseille III - Fondateur du groupe des Nouveaux Economistes

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Atlantico.fr : Quelles sont les armes économiques que le gouvernement compte utiliser pour combattre la crise économique née du Covid 19 ? Sont-elles efficaces ?

Michel Ruimy : L’allocution d’Edouard Philippe sonne la reprise pour le secteur du tourisme-loisirs, frappé de plein fouet par la crise sanitaire. Il s’agit d’un nouveau départ, compte tenu de la forte intégration des métiers de la filière. Désormais, pour beaucoup de professionnels, une course contre la montre s’est engagée : il leur faut préparer les établissements à l’accueil de vacanciers dans un contexte de nouvelles normes sanitaires. De l’autre côté, la levée des incertitudes devrait, d’une manière générale, donner un nouvel élan aux réservations. En dépit de l’assurance faite, mi-mai, par le Premier ministre que les Français pourront partir en vacances en juillet-août en France, la demande avait tout juste frémi quand elle n’était pas atone. Pour autant, peut-on affirmer qu’avec ces mesures, le tourisme est sauvé ? Rien n’est moins sûr.

Ces nouveaux assouplissements des contraintes sanitaires vont dans le bon sens mais elles demeurent insuffisantes pour plusieurs raisons. Les activités de tourisme sont saisonnières. Après avoir raté les pics des vacances de février et de Pâques, il ne faut pas manquer celui de l’été car le tourisme est une activité de ventes. Tout ce qui ne peut être vendu, ne peut être rattrapé. Alors même si les commerces ouvrent à 50%, les charges, dimensionnées pour une activité pleine, sont là. La saison n’est donc pas sauvée même si les tarifs aériens risquent d’être plus accessibles que les années précédentes. D’autant que les vacances s’anticipent dans un climat de confiance et les Français ne sont pas tout à fait sereins. 

Ensuite, si ces mesures sont favorables pour le reste de la France, la situation de la capitale est problématique. Etant en zone orange, la capitale se prive de la population étrangère, à fort pouvoir d’achat, qui passe son séjour dans des hôtels de luxe, qui vient à Paris pour des activités culturelles... dans un contexte où la prédominance de la France en termes de destinations touristiques internationales tend déjà à baisser de façon progressive. La reprise d’activité de ces établissements est prévue dans trois semaines alors que les autres villes européennes sont déjà en activité. Ce retard important prive de débouchés un grand nombre d’artisans de la terre et de la mer. Combien de petites entreprises vont-elles supporter le choc de la rentrée ? La saison risque d’être, au final, simplement moins pire que celle qu’on envisageait hier.

Enfin, la mesure des 100 km a été prise pour agir sur notre psychologie. « La liberté va enfin devenir la règle et l’interdiction l’exception ». Désormais, le Premier ministre joue sur la psychologie inverse car la première a presque trop bien marché : lever les peurs sanitaires qui persistent dans l’opinion et inciter à la reprise d’activité. Les Français sont invités à retrouver la « vie d’avant » dans la limite du sanitairement raisonnable.

Jacques Garello : Aujourd’hui le gouvernement entend résoudre la plupart des difficultés en promettant des milliards d’euros qu’il n’a pas. Il prétend que la santé et la relance passent avant toute considération financière. « Pas de faillite, prise en charge des chômeurs, relocalisation » : trois slogans qui doivent rassurer toutes les victimes d’un confinement disproportionné.

Mais d’où viennent les milliards ? De l’Europe à qui l’on demande de répondre à une conjoncture exceptionnelle par une solidarité exceptionnelle. C’est oublier que les déficits budgétaires et les dettes publiques  n’ont rien à voir avec le Covid 19 (le dernier budget français en équilibre date de 1974). C’est oublier aussi que l’Europe n’a pas d’autres moyens que ceux que leur accordent les pays membres de l’Union. Or, nombre de pays « frugaux » (Hollande, Autriche, Suède et Danemark) se refusent à couvrir l’irresponsabilité des pays débiteurs structurels : les fourmis n’ont cure du chant des cigales et les envoient danser quand la bise est venue. 

D’autre part Madame Lagarde  a fait aussi la promesse de financer à hauteur des dépenses engagées pour compenser les dépenses engagées à cause de la récession créée par la « crise » sanitaire (1.350 milliards d’euros à cette heure) mais cette manne providentiel n’a aucune contrepartie réelle et ne peut déboucher que sur l‘inflation à deux chiffres à moyen terme.
D‘ailleurs les premières mesures spectaculaires du plan gouvernemental ne concernent pas la masse des artisans, commerçants,  auto-entrepreneurs, TPE et PME, mais les grandes sociétés dont l’Etat est actionnaire ou parrain. Après Air France et la SNCF dont la gestion est catastrophique depuis des années voici le tour de l’industrie automobile : 8 milliards (dont 5 milliards de prêt à Renault, déjà en lourd déficit depuis deux ans). A l’occasion de sa visite à Valéo mercredi le Président a  annoncé les primes pour l’achat de véhicules propres. La prime au remplacement est une grande tradition depuis les « baladurettes ». Mais une fois les voitures achetées sur-le-champ le marché revient à ce qu’il était auparavant : une demande insuffisante face à l’offre. On a reculé pour mieux sauter.

L’efficacité des mesures prises est donc nulle, mais la loi du marché et le critère de rentabilité n’intéressent pas la classe politique, désireuse par priorité de démontrer qu’elle a bien la situation en mains. Démonstration utile en campagne électorale.

La stratégie gouvernementale sur le plan économique a-t-elle permis d'anticiper les nombreuses faillites d'entreprises et les nombreuses pertes d'emplois que va connaître le pays au cours des prochains mois ?

Michel Ruimy : En fait, l’ampleur, la durée et la forme de la crise sanitaire étant inconnues, ses conséquences économiques sont immenses et, à bien des égards, historiques. Face à une situation inédite, il est impossible d’apporter une réponse car personne ne sait comment évoluera la pandémie et, en conséquence, comment l’économie redémarrera. 

L’intensité du problème en Europe prête cependant peu à l’optimisme. Il n’est pas certain que l’Allemagne, très dépendante des exportations, sera l’un des moteurs de la reprise. De manière générale, les gouvernements des pays industrialisés en font beaucoup pour soutenir les entreprises et les ménages. Malgré tout, les dégâts seront inévitables. La plupart des PME et des petites entreprises dégagent très peu de marges financières. Elles n’ont pas de quoi tenir pendant des semaines voire des mois. Les faillites seront nombreuses. Le niveau d’emploi français ne sera préservé que si l’appareil entrepreneurial de notre pays subsiste.

Le redressement de l’économie française risque de prendre du temps et les comptes de l’Etat devraient sortir durablement plombés de cette période trouble. La publication du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité du mois d’avril (+ 850 000 personnes environ par rapport à mars) sonne l’urgence. C’est la première vague. La seconde viendra peut-être en septembre, où l’on observera l’empreinte durable mais non finale de la crise qui nous touche. Déjà, face aux prévisions, toujours plus inquiétantes, pour l’activité économique et l’emploi, l’exécutif privilégie les annonces d’urgence : « Ségur de la Santé » pour l’hôpital, plan tourisme, plan automobile et bientôt un plan aéronautique.

Jacques Garello : Il est curieux d’observer que le gouvernement a choisi la stratégie du patriotisme économique plutôt que celle de la compétitivité. Chercher à relocaliser sur le territoire national des usines, des centres de recherche, des laboratoires est paradoxal quand on sait pertinemment que ces établissements ont quitté le sol français parce que les conditions de production étaient lamentables en France, avec des charges fiscales, sociales, réglementaires, financières, bien trop élevées par rapport aux pays étrangers.  Aujourd’hui la mondialisation  a instauré une concurrence institutionnelle : ce qui fait la compétitivité ne se joue pas seulement sur la qualité  de la main d’œuvre ou la masse des investissements, mais sur l’environnement institutionnel façonné par les lois et les politiques du pays. En France les institutions ont découragé et tué  l’esprit d’entreprise, la fiscalité est désincitative, la réussite est pénalisée, les signaux et les ajustements du marché sont impossibles à cause des rigidités administratives, syndicales, et du poids du secteur public. Il est couramment admis que le secteur de la santé doit être amélioré, mais ce ne sont pas les milliards qui manquent : le budget de la santé publique est égal en France et en Allemagne, mais les Allemands ont cinq fois plus de lits d’hôpitaux. L’hôpital public français emploie 34 % de son personnel à des tâches purement administratives. Il sera aussi longtemps désorganisé et sous-équipé qu’il sera organisé comme un  service public avec un personnel soumis au statut de la fonction publique. 

Quelles solutions doivent être prises pour faire face à cette crise à venir ?

Michel Ruimy : La phase 2 du déconfinement commence par une interversion : on parle davantage de Pôle emploi que de Conseil scientifique. Alors que toute prise de parole exécutive était, depuis deux mois, précédée d’une parole médicale, celle d’Edouard Philippe concerne aujourd’hui une hausse du chômage d’autant plus impressionnante que les plans sociaux sont à venir. L’économie et la crise « historique » anticipée viennent officiellement de prendre le pas sur la crise sanitaire, en termes de préoccupation affichée par le gouvernement. Relancer l’activité sans relancer l’épidémie, telle est la problématique du gouvernement.
De plus, alors que le niveau de la demande à venir reste, pour le moment, assez obscur, les conséquences de la pandémie sur les chaînes de valeur ne sont pas vraiment plus claires. Dès lors, faut-il pousser fort pour rattraper le temps perdu, avec le risque d’augmenter les coûts dans le vide si la demande ne suit pas ou, au contraire, adopter une stratégie défensive, et prendre le risque de se faire damer le pion par les concurrents plus agressifs ? Tel est le dilemme du gouvernement. 

Dans ce contexte, il faut attendre encore quelques temps. Après la présentation prochaine de différents plans (aéronautique, bâtiment, secteur du livre), le 3ème projet de loi de finances rectificative depuis le début de la crise sera dévoilé le 10 juin avec, vraisemblablement, des mesures sur l’apprentissage et l’emploi des jeunes car une résorption lente du chômage sera très dommageable pour l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Quant au plan de relance, il viendra au début du mois de septembre et devra tenir compte également de l’urgence sociale. 

Si la pandémie revient, le choc sera terrible. Il n’y aura pas de place pour la nuance. Un mouvement d’opinion sera tellement massif, tellement fort, tellement puissant, que le couple exécutif sait que son destin politique est lié à la réussite de la sortie de crise. Il faut éviter la deuxième vague, ou au moins la contenir.

Jacques Garello : Il est habituel de dire qu’en France on a tout essayé. On a tout essayé, sauf ce qui marche ; c’est vrai pour la santé, pour les transports, pour les retraites, pour le pouvoir d’achat, pour l’éducation, pour le logement, etc. Ce qui marche dans la plupart des pays « riches » c’est un secteur public réduit au minimum (les missions régaliennes de l’Etat), c’est le principe de subsidiarité (ne recourir à l’Etat central qu’à titre subsidiaire, éviter le jacobinisme pour redonner l‘initiative aux pouvoirs locaux, ne recourir à la contrainte que lorsque le libre contrat n’est pas possible). Le contexte institutionnel souhaitable est celui qui développe la liberté et la responsabilité personnelles, qui respecte la propriété privée et la gouvernance responsable des entreprises, qui rémunère à leur juste valeur les travailleurs, les épargnants, les entrepreneurs. Ce contexte est souvent appelé « libéral », il crée progrès personnel et harmonie sociale,  mais il n’existe pas en France.  Les Français sont persuadés que tous leurs maux viennent de « l’ultralibéralisme », alors même que le pays ploie sous la charge de l’étatisme, du collectivisme, du jacobinisme et du socialisme. Réformer nos institutions  pour libérer les Français : la « récession historique » (E.Philippe) devrait nous y conduire. 

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