Échapper à la crise du logement quand on est une métropole, c’est possible : l’Autriche l’a fait à Vienne <!-- --> | Atlantico.fr
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Vienne est composée d'une très grande majorité de locataires dans la ville (locataires du parc social et ceux du parc privé) et d'un petit segment de propriétaires occupants.
Vienne est composée d'une très grande majorité de locataires dans la ville (locataires du parc social et ceux du parc privé) et d'un petit segment de propriétaires occupants.
©Pixabay

Bombe sociale

La flambée des marchés immobiliers a créé une crise mondiale du logement mais la ville de Vienne semble l’avoir largement évitée.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : La flambée des marchés immobiliers a créé une crise mondiale du logement mais la ville de Vienne semble l’avoir largement évitée. Quels ont été les moyens mis en place et comment expliquer ce phénomène ?

Charles Reviens : Il est difficile de parler d’une « crise mondiale du logement » du fait même de la nature du logement : un bien marqué les particularités sociales, culturelles et anthropologiques propres à son territoire. On se rapproche peut-être un peu plus de la réalité avec juxtaposition ou la simultanéité de crises locales dans différentes parties du monde : crise de la promotion immobilière en Chine (comparable à la crise française des années 1990 ou la crise espagnole des années 2000-2010), baisse de la construction notamment dans le neuf et des achats suite à l’augmentation des taux d’intérêt en France, enjeu structurel de l’impossibilité des jeunes générations à acheter un logement suite à deux ou trois décennies d’augmentation quasiment ininterrompue des prix.

Ce qui est sûr en revanche, c’est que la « crise du logement » (ou la « bombe sociale » du logement) est évoquée en boucle dans les médias depuis plusieurs semaines, même s’il ne faut pas oublier que cette thématique a par ailleurs une dimension de poncif et qu’elle est régulièrement remise au gout du jour par des opérateurs immobiliers qui poussent à la construction dans une logique de keynésianisme éternel ou ceux qui souhaitent la création ou le maintien d’avantages fiscaux en faveur du logement (et au final en leur faveur).

C’est dans ce contexte que la journaliste américaine Francesca Mari nous revient de Vienne pour nous présenter dans un long article pour New York Times Magazine non pas la paradis socialiste mais le paradis viennois du logement social qui semble permettre à la capitale autrichienne des affres logement que connaissent de nombreux autres territoires.

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Le système viennois de logement social, institué sur le dernier siècle est une référence constante de la littérature sur le logement. Ses caractéristiques principales expliquées par exemple dans une étude de 2020 de l’OCDE sont les suivantes.

1) Système généraliste massif : la moitié de la population viennoise vit dans un logement social. Le système est ouvert à des niveaux de revenus élevé (53 000 euros pour une personne seule, 100 000 euros pour une famille de quatre personnes, au final 80 % des personnes sont éligibles) avec un droit au maintien dans les lieux très protecteur pour les locataires qui peuvent rester dans leur logement social indépendamment de l’évolution de leurs revenus. Au contraire le système français s’oriente toujours davantage sur les quinze dernière années vers un modèle résiduel de plus en plus centré sur les populations fragiles. Par ailleurs, les logements sociaux viennois sont répartis sur l’ensemble de la ville sans sur concentration sur certains territoires

2) Système permanent et autoreproducteur : les logement sont gérés par des structures à but non lucratif ou à lucrativité limitée (185 coopératives et associations en charge des 681 700 appartements locatifs) qui doivent réinvestir tous leurs excédents financiers dans la réhabilitation du parc ou la constructions de nouveaux logements. C’est une logique « aide à la pierre » qui a largement laissé la place en France à l’« aide à la personne » suite à la réforme Barre de 1977. Un logement social a vocation à demeurer durablement dans le parc social, ce qui est une différence majeure avec le dispositif allemand où un logement social cesse de l’être une fois que le prêt aidé et la subvention qui ont permis de le construire sont amortis.

3) Modèle économique et loyers basés sur les coûts réels et donc non déterminés par des mécanismes de marché : Les niveaux des loyers sont calculés principalement en fonction des coûts de construction et d’acquisition des logements afin de permettre l’amortissement des coûts sur le long terme. Chaque opérateur de logement social est juridiquement tenu de répercuter ses coûts de construction et d’entretien pour chaque bâtiment dont il a la charge. Les loyers sont de l’ordre de 6 € au mètre carré pour certains logements et 10 € pour les autres.

4) Dispositif de contrôle foncier en faveur du logement social : deux tiers des droits à construire sont dédiés au logement social pour tous les projets de plus de 5 000 mètres carrés de surface habitable. En outre, le foncier n’est pas vendu mais mis à disposition des opérateurs dans le cadre de baux emphytéotiques à long terme.

À l’inverse, si Vienne semble être l’utopie des locataires, est-ce aussi le cas pour les propriétaires ?

Vienne est au moins l’utopie de la journaliste Francesca Mari, qui présente dans son article un écosystème viennois très favorable aux locataires : loyers bas, immeubles correctement entretenus, droit au maintien dans les lieux, absence de ségrégation ou de stigmatisation liée au logement social du fait des règles très larges d’accès au parc, taille massive du parc social et répartition globalement équilibrée sur la ville. Il ne me reste qu’à faire une visite à Vienne pour vérifier si tout cela est aussi parfait et sans défauts que le décrit l’article du NYT magazine.

Concernant les propriétaires, les élus municipaux de « Vienne la Rouge » et leurs successeurs ont fait le choix de sortir des règles du marché la moitié du parc de logements. Cela conduit à avoir une très grande majorité de locataires dans la ville (locataires du parc social et ceux du parc privé) et un petit segment de propriétaires occupants.

Est-ce que d’autres villes développées avec un modèle locatif différent de celui de Vienne ont réussi à aller à l’encontre de la crise du logement ? Si oui, comment ?

Cette question nécessiterait plusieurs volumes encyclopédiques car pour l’enjeu logement la règle « one size fits all » ne fonctionne absolument pas.

Parmi les agglomérations ayant un système logement original et généralement jugé positivement, on peut citer Singapour, dont Housing & Development Board (HDB) possède la très grande partie du foncier de la Cité-Etat et assure le logement de 80 % de la population. Les habitants de Singapour sont massivement propriétaires occupants mais dans le cadre de baux emphytéotiques à long terme octroyés par HDB. Il y a en outre une planification très forte de la répartition des populations dans la ville pour éviter des phénomène de ségrégation.

Il y a aussi l’exemple de Tokyo pour lequel j’avais fait une contribution pour Atlantico en octobre 2020. Cette ville a réglé le problème de l’offre par un volume très importants de constructions nouvelles dans un écosystème marqué par la grande simplicité des règles d’autorisation (pas de permis de construire) et la préférence pour les constructions nouvelles suite à démolitions plutôt que pour les réhabilitations d’immeubles existants.

Le modèle viennois serait-il transposable à d’autres villes et comment ? Sinon, y aurait-il un moyen de contrecarrer la flambée des marchés immobiliers ?

Les exercices de benchmark sont toujours intéressants pour voir comment les choses fonctionnent ailleurs mais ils sont des limites structurelles. Un écosystème logement est une construction complexe construite par sédimentations successives. Le dispositif de logement social viennois construit sur un siècle est donc unique et a vocation à le rester, mais la connaissance de ce dispositif permet la comparaison avec le dispositif équivalent français également massif mais extrêmement différent.

Il y a donc de multiples façons de maîtriser les prix immobiliers, comme les restrictions très fortes sur l’acquisition de logements par les non-résidents en Suisse ou en Thaïlande. Il ne faut pas oublier que de telles orientations produisent des gagnants (les utilisateurs du logement et les gens exclus de la location ou de l’achat) mais des aussi des perdants (les propriétaires et vendeurs d’actifs immobiliers).

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